Le collège Sainte-Marie de Montréal, tel qu'il était à l'époque où Honoré Mercier y faisait son cours classique. L'édifice du collège a été démoli dans les années 1970. L'église du Gesù, derrière, a toutefois été préservée. La photo de Mercier le montre vers l'âge de 19 ans, à l'époque où il fréquentait le collège. (Sources : collège Sainte-Marie : BANQ ; Honoré Mercier : Paul Desjardins s.j. et Léon-Mercier Gouin, Deux aspects d'Honoré Mercier, Montréal, 1940. Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
― Honoré Mercier, un destin tragique qui reste le nôtre ;
― Honoré Mercier en France (1891).
Nous avons cru utile de publier cette troisième glanure au sujet de Mercier et qui fait découvrir cette fois-ci le tempérament de chef qui était déjà le sien dès l'âge de dix-sept ans, alors qu'il était étudiant au collège Sainte-Marie, rue Bleury à Montréal, et dont plusieurs traits significatifs se manifesteront dans les combats politiques qu'il mena à la défense des droits de la nation canadienne-française.
Les extraits qui suivent ont été trouvés dans un ouvrage fort intéressant mais qu'à peu près plus personne ne lit depuis très longtemps, publié en deux tomes dans les années 1940 et dont le titre est Le collège Sainte-Marie de Montréal, du Père Paul Desjardins s.j. (1895-1975), qui relate l'histoire de cette importante institution d'enseignement que pilotaient les Jésuites et qui eut une influence marquante sur la formation de nos élites dirigeantes dans divers domaines d'activité. Quelques passages sont également tirés d'un texte publié en 1940 par le même Père Desjardins.
Les faits exposés dans les extraits de ces publications ne semblent pas avoir été repris ni même cités dans les quelques ouvrages biographiques consacrés à Mercier, malgré leur intérêt réel pour la connaissance sur la formation du caractère et des convictions du chef politique d'envergure majeure pour notre nationalité que deviendra Honoré Mercier.
C'est donc pour préserver d'un oubli quasi assuré ces précieuses informations sur la jeunesse de ce grand chef d'État de chez nous, que ces glanures les font remonter à la surface, dans l'esprit de la devise qu'adopta en 1861 notre première revue littéraire nationale, les Soirées canadiennes :
Le 20 mai 1858, prend naissance au collège le premier Conseil des Jeux. Les jeux n’avaient pas été négligés jusque-là. Leur importance pour maintenir la bonne humeur et l’ardeur au travail, comme aussi pour tremper les caractères, était depuis longtemps reconnue. Le Père Vignon, pour sa part, dès son arrivée à la préfecture du collège en 1855, avait toujours veillé à ce que rien ne fût laissé à l’improvisation sur ce point. Sous le nom de conservateur des jeux, un élève était chargé de l’organisation. Son rôle ne se bornait pas seulement, comme pouvait le laisser croire son titre, à prendre soin du matériel ; c’est à lui qu’il incombait de coordonner les bonnes volontés, de former des équipes, de diriger des joutes, d’arbitrer au besoin les inévitables conflits… tâche délicate par moments, et qui demandait une autorité souple et ferme à la fois, pour imposer ses décisions sans trop blesser les susceptibilités et les caprices.
Au printemps de 1858, la charge de conservateur des jeux vient d’être confiée à Honoré Mercier, malgré la présence au pensionnat d’élèves plus âgés et plus anciens que lui. Mercier a dix-sept ans, il n’est encore qu’en Versification, mais il a déjà pris sur son entourage l’ascendant d’un chef. En lui, l’orateur commence à se révéler ; il ose parler, et sait trouver les mots qui entraînent. On trouve de lui, aux archives du Conseil des jeux, ce portrait tracé par le rhétoricien Charles Lacoste :
« Vers le 25 mars 1858, les élèves, depuis longtemps en proie à l'ennui par le manque d'amusements, décident de faire des réformes et de se procurer des jeux capables de les distraire pendant la morte-saison. Sur ces entrefaites, un jeune homme se présente : sa figure pâle et vive annonce la décision ; ses yeux gris et perçants dénotent l'ardeur qui l'anime dans toutes ses actions; sa démarche gracieuse, son extérieur digne, ses manières engageantes lui concilient la faveur de ses compagnons d'étude. Il leur parle, et dès lors il prend sur eux un empire souverain ; il leur montre ce qu'ils ont à faire, demande des secours, prélève des contributions et, sans écouter les murmures de ceux qui aiment à se sucrer la bouche, il se présente à eux en maître, en énergique conservateur des jeux. Alors tout change de face. Reconnaissant de la confiance que mettent en lui les Pères et les élèves, il se livre tout entier à sa tâche, stimule le courage des uns et des autres et, toujours à leur tête, leur rend le temps plus agréable et plus court. Le voyez-vous sur le champ de bataille? La sueur inonde son front, ses membres sont fatigués, il est à demi-mort: n'importe ! Il lui faut obéir aux pulsations de son cœur, il faut vaincre, il faut se divertir en ami et en brave ! Tel est M. Honoré Mercier, élève de Versification. Il parle, et ses paroles sont recueillies avec avidité. Il a de la déférence pour tous ; aussi tous l'aiment et le chérissent ».
Devenu chef incontesté du parti de la réforme, Honoré Mercier entreprend bientôt de s’adjoindre des collaborateurs, et de partager avec eux honneurs et responsabilités. En cela, il cède, semble-t-il, à un mouvement d’opinion.
« De tous temps et en tous lieux, écrit l’archiviste Auguste Genand, la discorde n’a pu voir la tranquillité régner là où il y a quelque réunion d’hommes. Ennemie acharnée de tout ce qui tient à l’ordre, elle envoie la querelle et tous ses attributs, qui combattent la justice et la concorde, et qui finissent enfin par triompher. C’est ce qu’ont voulu éviter les élèves du collège Sainte-Marie. Jugeant impossible qu’un seul homme suffise à les gouverner, ils résolurent de s’en rapporter, dans leurs contestations, à un conseil suprême qui serait pour eux ce qu’est un corps législatif pour une nation. Le 20 mai 1858, les élèves sont rassemblés dans la grande salle de récréation par le nouveau conservateur des jeux. Plusieurs jeunes orateurs prennent tour à tour la parole ; tous démontrent l’utilité, l’avantage et même la nécessité de nommer un conseil dont les décrets serviraient à maintenir l’ordre et la bonne entente parmi nous. Dix candidats sont alors proposés pour remplir cette charge importante. Les suffrages sont donnés par la levée des mains. M. le conservateur des jeux ayant fait remarquer qu’il fallait un chef suprême pour diriger les autres dans leur devoir, il fut unanimement créé Président du Conseil, et Général-en-Chef, quand il s’agirait de combat ».
Forts de leurs nouveaux titres, Mercier et les membres de son Conseil organisent le jour même un grand combat, une partie de ballon, qui se déroulera le 24 mai au pied du Mont-Royal. Pour susciter l’émulation dans les classes, on assimile aujourd’hui les exercices scolaires à des joutes sportives. Les jeux de balle-au-camp, de crosse, de hockey, voire même les courses de bicyclettes, d’automobiles ou d’avions, servent de cadre à des concertations. En 1858, c’est l’inverse qui a lieu. Pour stimuler l’ardeur au jeu, la littérature, l’histoire et l’éloquence sont mises à contribution ; les grandes joutes sont précédées de discours, discours de l’arbitre, ou Général-en-Chef, discours des capitaines d’équipe, que des chroniqueurs recueillent pour les inscrire ensuite aux archives du Conseil, avec le récit détaillé du combat et les réflexions qu’ils en dégagent. C'est ainsi que nous fut conservé le premier discours de Mercier :
« Dans l'après-midi du 24 mai, lisons-nous aux archives, les élèves de la première cour étaient divisés en deux camps, ayant à leur tête l'un, M . Charles Lacoste, l'autre, M. Ephrem Moreau, tous deux soumis au Général-en-Chef, Honoré Mercier. Les dispositions prises de part et d'autre, le général-en-chef, tenant les deux drapeaux croisés devant lui en signe d'alliance, parla ainsi aux combattants : Mes amis, vous comprenez facilement pourquoi, en ce moment, je réunis ces deux drapeaux que vous allez porter durant la bataille, et pour l'honneur desquels vous allez combattre. Oh! mes amis, évitez toute dispute et toute querelle ; car vous le savez comme moi, si des différends s'élèvent entre vous, c'en est fait : tout le plaisir que vous auriez pu avoir s'enfuirait, et il ne vous resterait plus que la honte d'avoir mal fait, en agissant contre les lois de tout brave soldat. Faites honneur aux drapeaux dont vous vous servez pour la première fois. Ayez confiance en vos généraux, et n'oubliez pas, après le combat, de songer aux vaincus : partagez entre vous la récompense que donne le Père Vignon ».
Il est intéressant de trouver sur les lèvres de l'orateur de dix-sept ans l'appel à la loyauté et à l'union que, quelque trente ans plus tard, le Premier Ministre lancera à ses compatriotes : Cessons nos luttes fratricides ! Unissons-nous ! La formule aura varié, sous la dictée de l'expérience, mais la pensée du jeune homme sera restée la même, de la nécessité d'être unis de cœur, malgré les divergences d'opinion.
Auguste Genand concluait ainsi son rapport du combat du 24 mai : « En présence de tant d’ardeur et d’enthousiasme dans le combat, en présence de tant d’honneur et de franchise dans les procédés, une pensée dominante m’a frappé : c’est que, lorsque dans l’enfance on montre de si belles dispositions pour des choses aussi simples, on ne peut manquer de trouver plus tard le même courage et la même ardeur, quand il s’agira de maintenir l’honneur de la Patrie et de la Nationalité, ou quand il s’agira de conquérir la Liberté ».
L’ardeur sportive des jeunes n’est pas moindre aujourd’hui ; elle trouve même un champ plus vaste où s’exercer, et des moyens plus variés. Mais le mirage du record individuel, la publicité, et même l’appât du cachet d’amateur, n’ont-ils pas quelque peu rabaissé les motifs dont elle s’anime?
L’impulsion donnée par Mercier se maintient en pleine vigueur jusqu’à la fin de l’année. En plus des grands combats à la montagne, il organise aussi les jeux au collège même ; grâce aux cotisations prélevées par le Conseil, la récréation se voit doter en juin d’un jeu de quilles : « grand amusement pour les élèves, qui ont contribué dix-huit dollars», note le Père Dealy. La période des examens de fin d’année modère seule quelque peu les grandes joutes sportives. Mais au matin du 6 juillet, une proclamation du Général-en-Chef vient ranimer l’ardeur guerrière : il faut clore dignement l’année par un grand combat.
Le Champ-de-Mars, à Montréal, en 1830. Son aspect à l'époque où Mercier y organisa des "combats" avec ses confrères étudiants du collège Sainte-Marie ne devait être guère différent de cette vue. (Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
«
C’est le moment plus que jamais, dit Mercier, de montrer cette ardeur, ce
courage et cette bravoure que vous avez toujours déployés lorsqu’il s’agissait
de combattre et de défendre l’honneur de vos drapeaux. Vous avez livré
plusieurs combats au pied du Mont-Royal, mais la campagne qui vous servait de
champ de bataille ne vous était pas favorable : il vous fallait un terrain
qui n’eût d’autre destination que les combats. Eh bien, braves, vos vœux sont
comblés, car le vaste Champ-de-Mars, qui vous est bien connu, est à votre
disposition. Ce champ a servi à des exercices militaires, mais aucun combat
comme les nôtres ne s’y est encore livré. Mes amis, jeudi, ce sera un champ de
bataille où s’illustreront tous ces braves à qui j’ai l’honneur de parler… Je
vous y conduirai tous, et vous combattrez avec ce courage que des hommes comme
vous peuvent seuls déployer… Nos archivistes écriront vos hauts faits, et la
postérité de ce collège connaîtra votre courage ; vous serez l’honneur de cette
maison, comme vous aurez été la gloire de votre Général-en-Chef. Plus tard,
lorsque, ayant quitté ce collège, vous vous rencontrerez, vous pourrez dire
avec plaisir et avec honneur, non pas comme les soldats de Bonaparte : J’étais à Austerlitz, mais comme les
braves de Mercier : Nous étions au
Champ-de-Mars ! ».
Extraits de : Paul Desjardins s.j., Le Collège Sainte-Marie de Montréal, tome 2, Montréal, Collège Sainte-Marie, 1945, p. 14-17 ; Paul Desjardins s.j., Honoré Mercier, collégien (1854-1862), dans Deux aspects d’Honoré Mercier, Montréal, Collège Sainte-Marie, 1940, p. 9-12.
Le célèbre mot d'ordre « Cessons nos luttes fratricides et unissons-nous !», qui est inscrit sur cette plaque apposée sur le monument en mémoire d'Honoré Mercier sur la pelouse de l'Assemblée nationale du Québec, a originellement été prononcé lors des festivités de la Saint-Jean-Baptiste, en 1889. Pour prendre connaissance du texte intégral de ce discours historique de Mercier, cliquer ICI. |
Honoré Mercier, vers l'âge de 25 ans, époque où il était rédacteur en chef au Courrier de Saint-Hyacinthe, qui existe toujours et est le plus ancien journal de langue française en Amérique. (Source : BANQ) |
Honoré Mercier, à l'apogée de sa vie politique. Cette photo n'a jamais été publiée. (Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec ; Musée de la civilisation du Québec. Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Le Père Firmin Vignon, jésuite, qui fut recteur du collège Sainte-Marie à l'époque où Honoré Mercier y était étudiant, et qui est mentionné dans les extraits présentés ci-haut. (Source : BANQ) |
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