lundi 20 février 2017

Nérée Beauchemin et Rodolphe Duguay, ou la lumière des gens et choses simples de chez nous

Le poète Nérée Beauchemin et le peintre Rodolphe Duguay

En décembre 2015, ces Glanures vous présentaient Nérée Beauchemin, «chantre de l'intime patrie», l'un des poètes les plus touchants et les plus authentiques de ce qu'on appelait de son temps la littérature «canadienne-française», et aujourd'hui «québécoise». Cette Glanure a été l'une des plus appréciées du public lecteur, comme en ont témoigné les nombreux messages que nous avons reçus, et ce, sans doute parce que l'oeuvre de Beauchemin se situe au plus près de nous, descendants de la Nouvelle-France.

Pour un aperçu de la poésie de Nérée Beauchemin, voyez ces poèmes présentés par les Poésies québécoises oubliées :

- Une sainte
- France
- Une correspondance poétique

- La bonne France

Nous avons trouvé depuis de très beaux et éclairants écrits de l'abbé Albert Tessier au sujet de Nérée Beauchemin. L'abbé Tessier est en lui-même un personnage fort intéressant, ne serait-ce que parce qu'il a été l'un des pionniers du cinéma québécois, comme on peut le constater ICI, et ce, sans mentionner ses oeuvres sur notre histoire nationale, de même que le fait que c'est lui qui a baptisé «Mauricie» le coin de pays qui longe la rivière Saint-Maurice, de Trois-Rivières jusque par-delà La Tuque. 

Le premier écrit de Tessier sur Beauchemin dont vous pouvez prendre connaissance dans la présente glanure est extrait des mémoires qu'il publia en 1975, l'année précédant son décès. Il y raconte comment il a fait redécouvrir la poésie de Nérée Beauchemin, qui était alors cachée dans les tiroirs du sympathique mais trop discret poète-médecin d'Yamachiche. C'est d'ailleurs l'abbé Tessier qui a financé l'édition du recueil Patrie intime, qui assura la renommée de Beauchemin. Pour tout dire, sans l'initiative de Tessier, on peut présumer sans trop se tromper que Nérée Beauchemin ne serait jamais sorti de l'oubli dans lequel il était confiné jusqu'alors. 

Nous avons pensé qu'il pourrait valoir la peine de mettre en relief le récit de ce qui aura été une belle aventure littéraire, sans laquelle il est fort probable que l'oeuvre de Beauchemin ne se serait pas rendue jusqu'à nous. Voici comme l'abbé Tessier raconte le tout : 


"Un peu avant de mourir, l'abbé Gélinas m'avait demandé de rendre visite au poète oublié, Nérée Beauchemin : «Vous réussirez peut-être à le décider de publier un recueil de ses meilleures pièces. Des centaines de poèmes dorment dans ses tiroirs, et c'est bien dommage pour notre littérature...»

Dès le premier contact, sans préambule, j'exposai au docteur Beauchemin le voeu de son ami, l'abbé Gélinas, et j'exprimai le désir de jeter au coup d'oeil sur son trésor caché. Le procédé était peut-être cavalier, mais le docteur-poète ne s'en formalisa pas. Il se prêta gentiment à ma demande et il me lut quelques-uns de ses poèmes préférés. Quant à lancer un deuxième recueil, pas question : «J'ai publié mes Floraisons matutinales en 1897. J'en ai vendu à peine cinquante exemplaires. Je n'ai pas le goût ni les moyens de risquer un autre échec». Je n'insistai pas ; avant de le quitter, je lui demandai combien il lui restait d'exemplaires des Floraisons matutinales dans son grenier. 

Nérée Beauchemin discutant de son recueil Patrie intime avec l'abbé Albert Tessier
devant le porche de sa résidence de la rue Sainte-Anne, à Yamachiche, vers 1928.
(Photo parue dans Troisième centenaire trifluvien, édition 1934 de l'Almanach trifluvien, p. 158)

Je connaissais l'esprit ouvert du Secrétaire provincial, l'honorable Athanase David. Je savais aussi que Nérée Beauchemin n'était pas du bon côté en politique. Je rappelai au ministre libéral que son père L.-O. David et Nérée Beauchemin avaient participé ensemble à l'inauguration du monument au poète Crémazie. Je lui exposai mes projets et lui demandai d'acheter le reliquat de l'édition de 1897. Très chic, l'honorable Athanase David me fit remettre un chèque de $250 à l'ordre du docteur Beauchemin et me promit une commande de $500 pour le volume projeté. 

Quand je remis le chèque à Beauchemin, ses mains tremblaient d'émotion. Il me fut facile ensuite d'obtenir son adhésion. Je pouvais lui promettre qu'il ne perdrait pas un sou ; j'assumais tous les risques financiers. Lui, il recevrait tous les surplus des recettes... s'il y en avait ! 

Je me demandais dans quelle mesure le doux Beauchemin accueillerait des réserves ou même des critiques. Les poètes sont chatouilleux d'ordinaire. Comme Cyrano, souvent «leur sang se coagule» à la pensée qu'on puisse «changer une virgule» à leur texte. Il n'en fut pas de même avec Beauchemin. Il me remit ses poèmes, dactylographiés ou manuscrits ! Je ne connaissais rien aux lois de la littérature rimée. Il me fallait donc me fier à mon instinct pour établir un choix. À part quelques timides restrictions, Beauchemin accepta la sélection et l'agencement proposés. 

Patrie intime vit le jour en 1928. Le poète presque octogénaire y révélait une fraîcheur d'âme et une simplicité enfantines. Une dédicace exprime bellement son humilité et sa bienveillance : «Ô cher maître, ô saint ami, c'est par le miracle d'une divine amitié, et non par la magie des doctes muses, que les ailes closes se sont ouvertes, et que s'envole, et vole et vole, le coeur du vieil enfant que je suis». 

En juillet 1927, un artiste rencontré à Paris, le peintre nicolétain Rodolphe Duguay, était revenu au pays nicolétain après un séjour de sept années en Europe. Il y avait, entre lui et Beauchemin, une étonnante parenté d'âme. À la suggestion d'un ami, le Père Vincent Bélanger, franciscain, il fut convenu de les associer dans un hommage commun, au cours d'une cérémonie publique. On inventa pour la circonstance un Prix d'action intellectuelle par la poésie et la peinture, soit un tableau de Rodolphe Duguay à présenter à Nérée Beauchemin. 

La remise eut lieu le 11 novembre 1928 dans la salle de l'Hôtel de ville des Trois-Rivières. Un public de choix avait répondu à l'invitation. Nérée Beauchemin, tout menu et discret, laissait tomber l'avalanche de compliments qui s'abattait sur lui comme une averse de fleurs. Les Universités de Québec et de Montréal y allèrent de doctorats d'honneur. La voix onctueuse de Mgr Camille Roy et celle plus rugueuse du chanoine Émile Chartier chantèrent tour à tour la gloire de l'obscur poète. Monsieur le chanoine Antoine Camirand, de Nicolet, apporta le salut de l'Alma Mater du poète et de Duguay, Jean Bruchési, celui de la Société des Poètes. 

Sans dire mot à personne, de peur de faire chou blanc, j'avais adressé les deux volumes de Beauchemin aux académiciens René Bazin et Georges Goyau. La réponse de l'Académie arrivat en retard et faillit être renvoyée à la docte Assemblée avec mention : destinataire inconnu. Heureusement qu'un employé des douanes eut la bonne inspiration de me téléphoner avant de retourner le colis contenant la médaille d'or Richelieu, adressé simplement : Nérée Beauchemin, poète, Trois-Rivières".

Extrait de : Albert Tessier, Souvenirs en vrac, Montréal, Les Éditions du Boréal Express, 1975, p. 147-151. 


Puis nous avons déniché dans l'édition 1934 de l'Almanach trifluvien, consacrée au tricentenaire de Trois-Rivières, un autre écrit du même abbé Albert Tessier, alors qu'il était préfet des études au Séminaire Saint-Joseph. Dans ce texte lumineux que ces Glanures sont ravies de sortir de l'oubli en le publiant pour la première fois sur le Web, Tessier présente la parenté d'esprit et de valeurs qu'il a perçue entre le poète Nérée Beauchemin et le peintre et sculpteur Rodolphe Duguay, qu'il a également côtoyé et dont il s'efforça, tout comme il le fit pour Beauchemin, de faire connaître les oeuvres. Préparez-vous à passer un bon et beau moment de lecture : 


BEAUCHEMIN-DUGUAY 

par l'abbé Albert Tessier



«Pourquoi cette persistante pensée 
que Duguay est un autre Beauchemin 
mais broyant des couleurs ? » 
          - J.-Eugène Lapierre


"Le nom de Rodolphe Duguay a été révélé pour la première fois au grand public le 11 novembre 1928, lors de l'apothéose faite à Nérée Beauchemin. À cette occasion, les admirateurs du poète octogénaire n'avaient pas trouvé, pour honorer sa vie harmonieuse, d'hommage qui parût plus expressif que l'offrande d'une toile de Rodolphe Duguay. 

Aujourd'hui, le témoignage pieux que le R. P. Gonzalve Poulin rend à la mémoire du chantre de la patrie intime se présente sous le même signe et il allie officiellement pour la deuxième fois, l'art de Duguay à celui de Beauchemin. La beauté sobre du bois gravé qui orne la page-couverture de cet ouvrage Nérée Beauchemin, par le R. P. Gonzalve Poulin, pages Trifluviennes, série B. No 5 — de même que la ferveur mystique du fusain qui nous révèle mieux qu'une longue dissertation l'âme inspirée du poète, montrent avec quelle plénitude émouvante ces deux personnages se rencontrent et s'harmonisent. 

La brochure du P. Gonzalve Poulin sur Nérée Beauchemin
avec une gravure de Rodolphe Duguay sur la couverture.

Pour moi, qui m'honore d'avoir connu assez intimement Nérée Beauchemin et de fréquenter régulièrement Rodolphe Duguay, cette association fraternelle revêt un sens profond et met en relief une parenté d'âme qui honore ces deux purs artistes. 

Rarement les deux hommes se sont touchés d'aussi près par les pointes supérieures de l'âme et ont présenté de plus frappantes affinités de goûts, de principes  de pensée, de façons de vivre. Une simple visite suffisait à révéler ces traits communs et à manifester chez ces deux hommes même simplicité de vie, même fraîcheur d'âme, même sincérité absolue, même souci de mesure et d'équilibre. Dans le salon clos d'Yamachiche, comme dans l'atelier-ermitage de Nicolet, flottait la même atmosphère recueillie, sereine, reposante ! 

Le salon de Beauchemin donnait l'impression d'une solitude claustrale. Dans la demi-clarté de la pièce, les propos tranquilles et nuancés du Maître troublaient à peine le silence, l'immobilité de l'air. On retenait d'instinct sa voix...

En haut, résidence de Nérée Beauchemin, à Yamachiche, années 1910 
(photo parue dans Troisième centenaire trifluvien, édition 1934 de
l'Almanach trifluvien, p. 158) En bas, la même maison en 2016
(photo : Daniel Laprès).


Avec des gestes retenus, à pas rapides et feutrés, le Maître allait d'un tiroir à un autre, en tirait des calepins, des liasses de feuilles, qu'il apportait et posait sur un coin de la grande table. Les mains pâles, souples malgré la vieillesse, tournaient les pages, déplaçaient les feuilles aux coins fatigués, triaient les pièces favorites. Et les poèmes défilaient...

Il fallait insister pour en obtenir la lecture. Avec une pudeur un peu craintive, le poète se dérobait. Ses hésitations n'avaient rien de ce qu'on appelle la modestie à crochet !  Il éprouvait une répugnance réelle à exhiber ses œuvres, dont il s'exagérait les lacunes et les faiblesses. Lorsque nous nous risquions à commenter un passage, à souligner une trouvaille heureuse, sa figure s'illuminait d'une satisfaction où la vanité n'entrait pour rien. Notre appréciation, en le rassurant, lui apportait la joie de l'artiste qui peut se rendre le témoignage d'avoir exprimé un peu de l'émoi sacré que la beauté éveille en lui. Cette satisfaction mettait un éclair de bonheur enfantin dans ses yeux doux de vieillard. 

Il n'y avait chez lui ni pose, ni prétention, ni manie capillaire ou vestimentaire d'artiste ! Il était la simplicité même, dans ses habits comme dans ses manières. Un peu de timidité donnait à sa courtoisie un cachet archaïque cadrant on ne peut mieux avec le décor des meubles et des tentures du salon. Parfois je discutais certains passages de ses poèmes. Il s'animait un peu, exposait ses vues avec chaleur, mais sans entêtement. Ces discussions sont peut-être les souvenirs les plus nets que je garde de mes visites chez Beauchemin. Elles m'ont révélé tout ce qu'il y avait de pesé, de mûri, dans l'oeuvre de ce poète minutieux, et m'ont prouvé dans quelle mesure exceptionnelle ce vieillard était droit, équilibré, modeste. 

Plaque apposée sur la résidence de Nérée Beauchemin,
à Yamachiche, au coin des rues Sainte-Anne et Nérée-Beauchemin.

(Photo : Daniel Laprès)

Ainsi, durant la préparation de son ouvrage Patrie intime, il a retranché des pièces auxquelles il tenait et sacrifié des strophes aimées, tout simplement parce que je lui en exprimais le désir et lui assurais, avec le candide aplomb des inexpérimentés, que ces coups de sarcloir amélioreraient son volume ! 

Toutes ces qualités composaient un ensemble touchant et mettaient autour de l'homme une atmosphère grave, épanouissante. 

Même impression auprès de Duguay. Son atelier, perché sur la berge de la paisible rivière Nicolet, s'abrite sous les arbres, et des vignes l'enveloppent comme pour l'isoler des bruits du dehors. La salle de travail, lumineuse, aérienne, s'orne de dessins, de toiles, de gravures, de fusains, de pastels. Il y en a sur les murs, sur les chevalets, dans les coins, partout !  La lumière y joue, avive des teintes, souligne des jeux d'ombre et de clarté, met de l'allégresse dans l'air, une allégresse calme, posée, pleine de mesure et d'équilibre. 

Rodolphe Duguay peignant un paysage de Mauricie.
(Photo parue dans Troisième centenaire trifluvien,
édition 1934 de l'Almanach trifluvien, p. 159)


Beauchemin a chanté dans ses vers les menues choses de l'existence. Il choisissait par système les sujets les plus simples, les moins frappants par eux-mêmes. «Le poète est un créateur», répétait-il souvent. «Il tire la Beauté de rien. Avec des sujets insignifiants en apparence il doit produire des œuvres d'art».

Duguay obéit au même souci dans le choix des thèmes qui fixent son attention. Il s'applique à éliminer la surcharge, l'exceptionnel, le tourmenté. 

Dans cette sobriété sûre d'elle-même, l'art du peintre rejoint celui du poète. À Yamachiche j'écoutais, ravi, des vers paisibles aux sonorités reposantes où chantait dans la lumière l'âme simple des gens et des choses de chez nous. À Nicolet, je retrouve la même âme, saine, peu compliquée, transposée sur la toile par le jeu magique du pinceau ou du crayon. 

Le R. P. Gonzalve a mis en belle lumière l'influence du milieu sur l'âme et sur l'art de Beauchemin. On pourrait faire une démonstration semblable pour Duguay. 

Beauchemin avait écrit : 

          Mon rêve n'a jamais quitté 
          Le cloître obscur de la demeure
          Où, dans le devoir, j'ai goûté
          Toute la paix intérieure. 

Duguay pourrait lui aussi répéter la même affirmation. Fidèle à sa terre, à son foyer modeste, il l'est par toutes ses fibres. Même durant ses longues années d'études artistiques à Paris, l'emprise de la petite patrie intime s'exerçait en permanence sur son âme. Aux murs de son atelier on retrouvait des scènes canadiennes et, à voir la flamme qui dansait dans ses yeux en parlant du pays, on sentait que les paysages et les gens de chez nous continuaient d'enchanter ses visions d'artiste. 

Cette fidélité aux choses familiales joue sans doute un rôle prépondérant dans ces deux vies. Camille Jullian n'a-t-il pas écrit : «Être chez soi, près d'un foyer, sur une terre que l'on aime, à la vue des paysages qui caressent toute notre vie, voilà qui fait les poètes et voilà qui fait les savants». Et aussi les artistes. 

L'âme de Duguay, comme celle de Beauchemin, s'est épanouie dans l'enveloppement discret d'une nature calme, parmi des gens aux moeurs simples, à travers la trame d'une vie sans complications. Elle y a gagné une puissance tranquille, sûre d'elle-même, qui s'exprime dans des oeuvres sobres, équilibrées, dépouillées de toute surcharge, de tout maquillage. 

Le paysage nicolétain offre des particularités marquées. Il respire la sérénité et la mesure. Il y a quelque chose d'enveloppant dans cette succession de plaines calmes et de collines aux lignes adoucies, qui se développent dans une alternance harmonieuse, selon un rythme grave qui s'élève et invite au recueillement. La lumière joue librement dans ce paysage ordonné. Elle s'accroche aux bouquets d'arbres, aux sapins ramassés au ras du sol et au panache opulent des ormes qui déploient leurs feuillages dans l'air bleu. Elle flotte partout, aérienne et vibrante, même dans le creux des côteaux où elle sommeille mêlée d'ombre violacée. 

On peut dire que cette lumière subtile et impalpable a littéralement ensorcelé Duguay. Presque tout son art s'emploie à la saisir, à l'exprimer sur la toile. Le thème de ses divers tableaux n'est qu'un prétexte : c'est la lumière que ses pinceaux impatients essaient de capturer ! 

À cette poursuite, faite surtout de contemplation devant des paysages et des personnages aimés, Duguay s'est créé un état d'âme posé, grave, méditatif. Sans rien de concentré ni d'austère toutefois : il est la cordialité et la simplicité mêmes. Sa figure, ronde et jeune, est habituellement détendue et souriante. Une flamme, narquoise, joue dans les yeux clairs et droits. 

Il éprouve, à l'égal de Beauchemin, une répugnance invincible pour la publicité, pour la louange indiscrète, pour le tapage. Avant de le mettre en confiance, il faut l'assurer de notre sincérité. Les compliments ampoulés l'agacent et l'énervent. Sa timidité tourne à la brusquerie lorsque des visiteurs en veines d'amabilités l'accablent d'hommages. Vous le trouverez au contraire en pleine forme si vous analysez et critiquez les oeuvres qu'il vous montre, et si vous en signalez les lacunes et les faiblesses. Il devient alors expansif, émet des théories, précise ses formules d'art, exprime ses ambitions, ses rêves ! Pour lui, l'art n'a été qu'une longue et décevante poursuite. Il cherche depuis au-delà de vingt ans et ses meilleures réussites ne le satisfont pas parce qu'il juge tout en fonction de l'idéal inaccessible qu'il s'est fixé. 

Cette incertitude, ces sévérités excessives, mettent un autre point de contant (sic) entre Duguay et Beauchemin et elles nous amènent à ce qui uniformise et domine leur vie : le culte fervent, inquiet, respectueux, de la Beauté. Pas cette Beauté de surface, bâtie souvent de toutes pièces pour satisfaire les engouements passagers de la mode, mais cette Beauté profonde, inaltérable, qui se cache partout autour de nous, sous les gestes les plus humbles comme dans les moindres choses, et qui ne se laisse capter qu'à force de pureté d'âme, de sincérité et de méditation. 

[...] Par leur sagesse de vivre, par cette faculté de se faire de grandes joies avec des petites choses, Beauchemin et Duguay nous donnent aussi d'autres leçons plus modestes mais fort précieuses. Ils nous apprennent à puiser autour de nous les parcelles de bonheur, de beauté, que la vie met à notre portée. Ils ont demandé à leur existence modeste, à leur foyer, à leur région, tout ce qui fait leur force, leur noblesse et leur bonheur. Et les menues choses de la vie courante, que nous négligeons et méprisons, leur ont donné ce qu'il y a de plus grand et de plus noble ici-bas !" 

Extrait de : Troisième centenaire trifluvien, édition 1934 de l'Almanach trifluvien, p. 157-159. 


Pour découvrir l'oeuvre de Rodolphe Duguay, visitez ICI le site de sa maison et de son atelier. Quant à Nérée Beauchemin, on peut encore se procurer son recueil Patrie intime sur commande dans toute bonne librairie. 



Tombe de Nérée Beauchemin, à l'entrée du cimetière d'Yamachiche.
(Photo : Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)

dimanche 12 février 2017

Olivar Asselin, pourfendeur du crétinisme doré et du repos moisissant

Olivar Asselin (1874-1937)



Né le 8 novembre 1874 à Saint-Hilarion de Charlevoix et mort à son domicile du 4283 de la rue Saint-Hubert, à Montréal, le 18 avril 1937, Olivar Asselin fut un penseur parmi les plus percutants que le Québec aura produits. Que ce soit en tant que journaliste, conférencier ou écrivain, Asselin était un polémiste redoutable et sans pitié pour la bêtise et la suffisance des élites de son temps, dont la médiocrité, la prétention et la renonciation à la défense de la patrie, voire la collusion envers ce qui la détruit, sont fort semblables aux attitudes et agissements de la caste aussi insipide que parasitaire des semi-lettrés qui nous tiennent lieu d'élite médiatisée en cette deuxième décennie du 21e siècle. 

Ardent défenseur des droits de notre peuple, Asselin pourfendait l'attrait pour la médiocrité qui, alors que quatre-vingt ans ont passé depuis sa mort, continue de miner notre nationalité de l'intérieur. Asselin le disait clairement : le mal est d'abord en nous-mêmes, et pour s'en sortir il faut se secouer et développer tout en la rehaussant constamment notre vie intellectuelle, ce qui est une condition incontournable de notre redressement politique, social et économique. Ne serait-ce que pour cette raison, Olivar Asselin est l'un de ces quelques auteurs de chez nous qu'il serait bon de revisiter afin de nous laisser toucher par sa vive intelligence, sa verve incisive et son audace intrépide, trois traits de caractère dont la scène intellectuelle québécoise d'aujourd'hui éprouve un cruel besoin, tellement, sauf pour ce qui est de rarissimes exceptions qui confirment la règle, y font loi la bien-pensance la plus niaiseuse, la plus plate et la plus déssechante pour l'esprit. 

Pour un aperçu de la vie du personnage somme toute complexe mais fascinant et inspirant qu'était Olivar Asselin, voyez ICI la synthèse biographique écrite par Hélène Pelletier-Baillargeon, qui a également signé une monumentale biographie d'Asselin en trois tomes (voyez au bas de la présente Glanure). 

Pour mieux saisir la portée de l'oeuvre et de la pensée d'Asselin, ces Glanures vous proposent la lecture, ci-dessous, de l'article que l'écrivain et critique littéraire Rex Desmarchais consacra au redoutable polémiste pour souligner, en 1940, le troisième anniversaire de sa mort. Ces Glanures ont d'ailleurs déjà présenté un texte de Desmarchais consacré à Jules Fournier, le meilleur ami et compagnon d'armes qu'Asselin aura connu. Nous sommes donc en familière compagnie. Puis nos Glanures ont sélectionné pour vous quelques écrits caractéristiques d'Asselin, que vous trouverez également ici-bas. 

L'écrivain Rex Desmarchais a publié l'article reproduit
ci-dessous dans son recueil d'essais France immortelle.


OLIVAR ASSELIN

par Rex Desmarchais 


Le troisième anniversaire de la mort d'Olivar Asselin ! Examinant ces jours derniers les rayons de ma bibliothèque, j'ai retrouvé, entre Mon encrier de Fournier et Pages de critiques d'Harvey, le mince recueil posthume d'Olivar Asselin : Pensée française

Ce volume d'à peine deux cent pages (tiré à mille ou deux mille exemplaires ?), voilà donc tout ce qui subsiste d'une pensée qui fut vigoureuse et originale, d'un art d'écrire très pur, d'un combat intellectuel qui s'est poursuivi sans défaillance durant trente années ! Le dur polémiste, l'homme d'esprit pénétrant et de coeur généreux est aujourd'hui renfermé, contenu en deux cent pages ! Destin bien propre à suggérer de sombres réflexions sur la vanité de penser, d'écrire, de consumer sa vie au service d'une cause ; à répandre sur tout enthousiasme une lourde mélancolie. 

Recueil posthume (1938)
d'écrits d'Olivar Asselin

Aucun homme ne s'est battu avec plus d'énergie, n'a servi ses compatriotes avec plus de clairvoyance et d'amour. Entouré de couards, de prudents médiocres et de faux sages, il n'a pas craint, en toute circonstance, de payer de sa personne, de s'offrir aux coups, de provoquer le scandale du courage. 

«La vie d'Asselin ne fut pas heureuse», m'ont affirmé des gens avec une curieuse certitude. Et d'abord, qu'en savent-ils ? Qu'en savons-nous ? Le bonheur ne réside peut-être pas exclusivement dans le crétinisme doré et le repos moisissant. 

Asselin n'a jamais eu de fortune et sa vie n'a jamais connu le calme. Dix ans avant sa mort, il ne s'est pas retiré à la campagne pour planter et arroser le carré de choux de ses rêves. Asselin n'a jamais rêvé à une fin paisible dans la décrépitude et le ramollissement. Il avait rêvé d'autre chose, quelque chose d'un peu plus élevé. En dépit des déceptions éprouvées, des épreuves subies, des obstacles rencontrés, il croyait au relèvement des Canadiens-français. 

Olivar Asselin avec sa fiancée Alice Le Boutillier, sur
le bord du Saint-Laurent, 
Trois-Pistoles, vers 1901.

 
(Source : 
Marcel-Aimé Gagnon, Olivar Asselin, toujours vivant,
Québec, Presses de l'Université du Québec, 1974 ; 
cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Rien, ni son analyse aigüe de nos maux ni sa connaissance des conditions nationales ne purent lui arracher sa foi dans nos destinées. Cette foi, c'était sa raison de vivre, toujours agissante sous les apparences de la désillusion et du pessimisme. C'était sa raison de vivre ; c'était aussi la raison ultime, méconnue de la plupart, de ses rudes coups de boutoir, des violences qu'on lui a tant reprochées, des ironies caustiques et des railleries sanglantes dont il n'obtint pas, même mort, le pardon. Combien ont compris la grandeur, l'ingrate grandeur, du rôle de violent par excès d'amour?

* * *

Il méritait le pardon, il était digne de la reconnaissance de ses compatriotes parce qu'il a servi avec ténacité leurs intérêts supérieurs, parce qu'il les a aimés d'un amour qui n'excluait pas la lucidité. Mais l'envie et l'amour-propre blessé ont dit qu'il n'était qu'un dénigreur des siens, lui ont fait grief d'avoir étalé les haillons et la nudité d'un peuple loqueteux et nu. 

Ce reproche, la médiocrité en accable tous ceux qui aiment assez pour vouloir pallier aux défauts et aux misères de l'objet aimé. Le patriotisme d'Asselin n'a pas su garder la juste mesure, entendons la mesure des lâches et des habiles. Nous jugeons très beau, très intelligent, très digne d'affection celui qui célèbre nos qualités et tait nos défauts, exalte nos vertus et voile nos vices. 

Les Canadiens-français savent se montrer magnifiques pour les héros du passé. Il n'y a aucun danger que ceux-ci troublent leur quiétude, secouent leur torpeur. On peut couvrir de fleurs Dollard et monter en épingle son héroïsme. À la suite de ces témoignages de vénération, tous peuvent dormir tranquilles, chacun sachant bien que cette apothéose ne dérangera pas les petites habitudes de personne, ne changera rien à rien. Les gens pourront continuer à parler et à écrire mal, à se tenir mollement, à se contenter de peu, à estimer leur avilissement [comme étant] un pinacle de gloire et de perfection. [...] 

Les occasions de mourir pour la patrie ne se présentent pas tous les jours. Mais chaque jour nous offre des occasions de vivre pour elle, de vivre en sorte qu'elle ne meure pas.

Les héros d'hier et d'aujourd'hui prennent part à notre vie, agitent des problèmes qui nous affectent, proposent des réponses à des questions actuelles. Leur conduite indique une ligne à la nôtre. Ils sont imitables immédiatement, pour chacun de nous. Et c'est ce qui nous les rend beaucoup moins agréables que ceux d'autrefois. 

Olivar Asselin, son épouse et ses enfants, au parc Jeanne-Mance, à Montréal,
entre les rues Rachel et Marie-Anne, années 1910. Certains édifices de
l'avenue de 
l'Esplanade derrière eux sont toujours tels quels de nos jours.

(Source : Marcel-Aimé Gagnon, Olivar Asselin, toujours vivant,
Québec, Presses de l'Université du Québec, 1974 ; 
cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Olivar Asselin a commis tout au long de sa vie le crime irrémissible : il a crié sur les toits des choses qu'il ne faut pas dire. Il a poussé l'imprudence jusqu'à les écrire. Et dans une langue limpide, châtiée, vraiment française.

Il a dit des choses qu'il ne faut pas dire. Parce que si elles sont dites, un frisson éveillera la somnolence canadienne-française, un ferment nouveau travaillera la masse pâteuse. L'ordre établi sera troublé, d'heureuses digestions seront détraquées, de merveilleuses satisfactions de soi connaîtront l'inquiétude. Des gens se regarderont, commenceront à s'interroger anxieusement : «Peut-être ne sommes-nous pas aussi parfaits que nous le croyions ? Peut-être certains changements seraient-ils désirables si nous voulons atteindre à une condition meilleure, accomplir de plus larges destinées ?»

Cette inquiétude féconde, ces questions ne cesseront plus d'émouvoir les anciens lecteurs d'Olivar Asselin. Il a su les faire passer de la satisfaction stagnante au mécontentement de soi, qui est principe d'analyse, de recherche, stimulant pour l'esprit. Parce qu'il a eu l'audace admirable de poser en pleine lumière les vérités qu'il ne faut pas dire. 

* * * 

Olivar Asselin a consacré au journalisme de combat la majeure partie de sa vie. Il a beaucoup écrit : dans Le Nationaliste, dans L'Action, dans Le Canada, dans L'Ordre, dans La Renaissance, etc. Il a laissé de nombreuses plaquettes, maintenant à peu près introuvables. 


Où dénicher aujourd'hui ces études, ces articles ? La plupart sont enfouis dans de vieux journaux, perdus pour le public. (Note des Glanures : Ces journaux peuvent maintenant être consultés en ligne, il suffit de cliquer sur chacun des titres mentionnés dans le paragraphe précédent). Les remettre au jour, les réunir, les classer exigerait une tête d'archiviste intelligent. C'est une tâche impossible au profane. Elle relèverait d'un spécialiste. Le résultat vaudrait plus que l'effort fourni et le temps dépensé. 

Asselin n'a point cessé de répandre, sur des problèmes toujours actuels, peut-être plus actuels que jamais pour nous, les clartés de sa vive intelligence. Et il s'exprimait, personne ne lui a contesté ce mérite, en français. 

Quelques hommes de bonne volonté ont songé, un jour, à élever un monument à Olivar Asselin. Louable intention ! Ce bon serviteur de la nation mérite les honneurs de bronze sur la place publique. 

(Dans le coin sud-ouest du cimetière Notre-Dame-des-Neiges, le promeneur peut voir une plaque de granite d'environ deux pieds de hauteur que termine une petite croix. Sur les bras de cette croix sont gravés en lettres noires un nom et deux dates. Que cette simplicité est belle ! Quel exemplaire contraste fait la modeste pierre d'Olivar Asselin avec les énormes et affreux mausolées que se sont fait ériger de prétentieux imbéciles, et sur lesquels on lit la liste de leurs titres plus grotesques les uns que les autres !) 

Mais le plus honorable monument que la gratitude puisse élever à la gloire d'un écrivain, n'est-ce pas d'imprimer son œuvre dans une bonne édition ? Des écrits épars, ensevelis, d'Olivar Asselin, il serait possible de tirer quatre ou cinq volumes intéressants, vivants, dispensateurs de lumière. Un asselinien décidé n'oserait-il pas entreprendre, mener à bonne fin cette tâche ? En servant la mémoire d'un noble esprit, il servirait la nation. (Note des Glanures : Rex Desmarchais ayant écrit ce texte en 1940, force est de constater, de déplorer aussi, que depuis tout ce temps ce voeu de publication des oeuvres d'Asselin n'a jamais été réalisé).

Le léger volume Pensée française est d'une insuffisance manifeste. M. Gérard Dagenais, qui a préfacé et composé le recueil, a eu la main heureuse dans le choix des articles et des fragments qu'il a reproduits. Cependant, il ne pouvait accomplir un miracle et concentrer en deux cents pages l'essentiel de la production d'une intelligence comme celle d'Asselin. D'ailleurs, une série de quatre ou cinq volumes permettrait de classer les études, les articles, les fantaisies, les billets, etc., par ordre de sujets. On pourrait réserver un volume aux questions politiques, sociales et économiques, un autre aux débats littéraires et linguistiques, un troisième aux problèmes d'enseignement, un quatrième aux considérations sur l'histoire, etc. 

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Les simples suggestions que je viens de formuler me sont venues à l'esprit en découpant le dernier ouvrage posthume de la belle «Collection bainvillienne» : L'Allemagne, tome II, sixième volume de la série. Et ce livre, édité avec soin et avec goût, me propose une autre réflexion. Elle me servira de conclusion. 

Les Français, qui sont immensément riches en biens de l'esprit, ne laissent rien perdre de leurs trésors spirituels. Ils éditent avec intelligence et avec dévotion les œuvres de leurs grands écrivains disparus. Aucune miette du banquet ne se perd. Nous, qui sommes très pauvres, nous laissons sombrer nos biens intellectuels les plus précieux. Olivar Asselin est pour le moins aussi important pour nous que Jacques Bainville pour les Français. 

Et nous nous prétendons Français ! Si quelqu'un des nôtres nous traite de barbares, notre amour-propre se hérisse, nous levons contre lui nos bras armés des pierres de la lapidation. Pourquoi ne pas plutôt rentrer en nous-mêmes et reconnaître de bonne foi (à la fin des fins) qu'entre le Français et le Canadien-français il y a, aujourd'hui, bien plus qu'un océan ?

La sincérité envers soi-même, c'est le point de départ du perfectionnement. On s'apercevra qu'Asselin avait enseigné cela aussi, si l'on se donne la peine de ramener au jour ses meilleures pages. 


Extrait de : Rex Desmarchais, France immortelle, Montréal, Aux Éditions Libres, 1941.


Funérailles d'Olivar Asselin, Montréal, avril 1937. Le cortège est au coin des rues
Saint-Hubert et Rachel, e
n direction de l'église Saint-Jean-Baptiste où ont eu lieu
les funérailles, suivies de l'inhumation au cimetière Notre-Dame-des-Neiges.

(Source : Marcel-Aimé Gagnon, Olivar Asselin, toujours vivant,
Québec, Presses de l'Université du Québec, 1974 ; 
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QUELQUES CITATIONS
 D'OLIVAR ASSELIN :


« En lisant le Nationaliste le dimanche, vous songez peut-être comme il doit être facile de laisser sa plume courir sus à tous les abus et comme il est étrange que notre petite bande, fuyant le monde extérieur, ait établi dans la presse canadienne-française une sorte de chouannerie[...] Mes jeunes amis, ce qui vous arrive de nous chaque semaine, ce n'est pas la substance de notre âme ni la fleur de nos facultés, c'est l'instinctif éclat de rire devant la sottise, l'irrépressible cri de dégoût devant la lâcheté, l'imprécation devant le triomphe insolent de la force brutale sur la raison impuissante ». 
— Le Nationaliste, 30 septembre 1906

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« Le nationalisme est la politique de l'avenir dans les pays comme le nôtre, où tous les éléments d'une forte civilisation se sont développés sur une terre riche et féconde ». — Le Nationaliste, 6 mars 1904

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« Le premier devoir de la race canadienne-française est de se donner un gouvernement qui pense pour elle, qui agisse pour elle ». — Le Nationaliste, 19 juin 1904

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« Nous avons fait nos premières concessions et subi nos premières défaites quand nous formions la moitié du pays. Durant toutes ces années de 1873 à 1911 qu'on pourrait appeler l'époque des capitulations, jamais nous ne nous sommes montrés si lâches, si veules, si menteurs aux ancêtres et à nous-mêmes, qu'aux environs de 1890, alors que nous étions encore le tiers de la population. 
Il suffira d'un coup d'œil sur tout ce passé de honte pour nous convaincre que nous avons été nous-mêmes nos pires ennemis. La fierté qui crée l'union nous fait défaut ; nous avons été les uns aux autres des délateurs. L'Histoire, qui se répète depuis les origines de l'humanité, ne se détournera pas de son cours. Ravis, presque étonnés d'avoir échappé au cataclysme de 1760 et aux cent ans d'orages qui suivirent, nous nous sommes abandonnés à une vie toute végétative, sur une terre humide encore et molle du déluge.
Les agressions dont nous étions l'objet, nous les regardions comme de simples incidents, des accidents peut-être, mais des accidents sans importance, quelquefois même d'heureux accidents, en ce que, habilement exploités, ils pouvaient faire arriver au pouvoir des hommes de notre choix. [...] Nous ne gagnerons pas, avec quelques discours ou avec quelques misérables tactiques électorales, la sécurité qui n'est venue aux Magyars, aux Flamands, aux Tchèques, qu'après des siècles de résistance aux flots mouvants et sans cesse renouvelés de la barbarie. Le creuset nous dévorera comme il a en partie dévoré l'Écosse et l'Irlande, ou il nous tiendra jusqu'au jour où, désormais insensibles au feu, nous en sortirons forts comme l'acier. 
Les temps de paix pastorale sont passés. Finie, cette enfance idyllique que nous avons, avec l'optimisme naïfs des peuples jeunes, pris pour la phase héroïque de notre existence parce que le gouvernement britannique — qui ne demandait pas mieux — s'est un peu fait prier avant d'acheter notre fidélité avec les immunités de notre Église et autres concessions qu'il ne pouvait nous refuser sans nous jeter dans les bras des Américains. 
[...] C'est à notre existence même qu'on en veut, et nous serons d'autant plus attaqués que nous serons plus dignes de vivre. [...] Mais que les attaques continuent ou non, et n'importe combien de temps elles continuent, nous aurons gagné la bataille du jour où nous nous serons réhabilités à nos propres yeux ». 
Pourquoi je m'enrôle, Discours prononcé au Monument national, à Montréal, le 21 janvier 1916

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« L'isolement vaut mieux qu'une mauvaise alliance, et d'ailleurs l'isolement temporaire, qui peut toujours prendre fin par les multiples jeux de la politique, et l'isolement définitif, sont deux choses. L'isolement, que les profiteurs de la politique s'appliquent à nous présenter comme un suicide, mais aussi comme un acte d'hostilité envers nos concitoyens anglais, n'a rien d'une politique agressive, s'il est clair que nous y cherchons uniquement la sauvegarde de notre dignité, que nous entendons d'ailleurs en profiter pour faire sur nous-mêmes, en vue d'une réconciliation toujours désirable, un de ces retours nécessaires aux nationalités comme aux individus après les périodes les plus ardentes, et que nous ne demandons qu'à y mettre fin dès que la vie commune sera devenue possible. 
Voilà les principes qui devront nous inspirer désormais dans nos relations avec le Canada anglais. Il y a chez nous des gens qui s'épouvantent à la pensée de ce que demain nous apportera. Je crois au contraire qu'il n'est jamais mauvais de prendre contact avec la réalité ».
 Pensée française, p. 112.

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« J'ai pu parfois blesser des honnêtes gens, mais toujours mon intention fut de lever la main sur la canaille. Lorsque j'ai frappé des gens probes, j'ai reconnu mon erreur et je leur ai rendu justice ». 
— Le Devoir, 12 septembre 1911

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« Nous disons pensée française par opposition à la pensée anglo-saxonne, parce que la langue française implique une pensée française, c'est-à-dire une certaine façon de sentir, de raisonner, de juger, propre à la race française. C'est cette manière de sentir, de penser, de juger, que nous devons tenir à l'honneur de cultiver en nous, sans laquelle nous, de sang français, nous serions, dans l'ordre intellectuel, des bâtards ou des dégénérés ». — L'Action, 26 juillet 1913

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« Le parler populaire, qui en tout pays est censé être l'expression la plus fidèle du génie de la langue, est devenu au Canada français un jargon informe, échappant à toute règle et résultant d'influences contradictoires, la plupart antifrançaises.  
[...] Notre langue s'appauvrit aussi pour une autre raison, qui est que nos lectures habituelles sont du galimatias
La rédaction de la réclame dans les journaux ne diffère guère de celle de nos enseignes. C'est le même dévergondage dans les mots, la même imprécision dans la pensée, le même mélange inintelligible de français et d'anglais en des phrases qui n'ont au demeurant rien de l'un ou de l'autre ». De nos besoins intellectuels, p. 7 et 15.

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« L'erreur constante des réformateurs est de s'imaginer que la réforme est une affaire permanente, et de ne pas savoir quand s'arrêter. Tout abus qui a duré longtemps a des chances de durer longtemps, car le peuple, comme toutes les bonnes bêtes, ne raisonne pas, et pour lui faire prendre conscience de ses malheurs il faut lasser son endurance à l'extrême. Le réformateur sera acclamé s'il s'en prend à des abus dont tout le monde se plaint ; où s'il se tue, c'est à vouloir enseigner entre l'assez bien et le mieux à des gens qui savent juste discerner entre le très mal et le très bien.
Le réformateur intelligent est celui qui, la place balayée, sait rentrer chez lui jusqu'à la prochaine épidémie, quitte à rappeler de temps en temps à la plèbe, par quelques paroles opportunes, qu'il vaut mieux prévenir que guérir ».
 Collier's Weekly, 13 mai 1911

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« Le fripon intelligent est parfois moins dangereux pour la société que l'imbécile honnête homme ». — L'Ordre, 28 mars 1934

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« Il y a des gens qui jetteraient leurs amis aux cannibales juste pour prouver leur largeur d'esprit». L'œuvre de l'abbé Groulx, 1923.

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« [Honoré Mercier (1840-1894), premier ministre du Québec] était un esprit qui, par la prescience, sinon la complète intelligence, des besoins de ses compatriotes, dépasse la commune mesure des hommes politiques de son époque. En colonisation, en instruction publique, en agriculture, en droit constitutionnel, sur tous les sujets où notre petit peuple commençait à penser, celui-là eut des idées justes. Et il ne lui vint jamais à l'esprit qu'avant de prendre position sur un sujet politique le peuple canadien-français dût nécessairement prendre l'avis des Anglais ». — L'Ordre, 18 novembre 1934

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« L'originalité qui consiste à faire fi des idées, à cultiver obstinément le lieu commun, à ignorer dans ses écrits le dictionnaire et la grammaire, n'est pas, ne sera jamais, que je sache, de celles qui confèrent aux œuvres littéraires le caractère national ». Pensée française, p. 143.

* * *

« Faudra-t-il donc toujours expliquer l'insignifiance de notre production littéraire — insignifiance que seules quelques pharaonesques momies s'obstinent à nier — par la jeunesse de notre peuple et le poids de ses soucis matériels ? Un peuple jeune n'est pas vieillot, du moins ne devrait pas l'être. Et quant à l'encouragement que reçoivent les lettres, et au loisir qu'on a de les cultiver, ils sont, à tout prendre, les mêmes au Canada qu'en France. 
L'atmosphère, l'ambition, l'ardeur au travail, la richesse du vocabulaire, et certaine joie de l'esprit que peut seule donner la culture habituelle des idées : tout cela nous manque ; mais n'est-ce pas notre faute ? Si dans l'ordre intellectuel, comme autrefois nos ancêtres dans l'ordre physique, nous faisons nos délices du "gros lard", n'est-il pas fatal que nous soyons de temps en temps un peu scorbutiques, un peu endormis, ou un peu épais ? Décidément, nous ne cherchons pas toujours assez loin la cause du mal... » — Le Canada, 29 septembre 1933

* * * 

« Il y a dans les Écritures et dans la liturgie catholique des passages où le Messie-Rédempteur est comparé à l'agneau sacré des sacrifices ; partir de là pour prétendre que la suppression de l'agneau dans nos processions serait un acte anticatholique, c'est un peu forcer la note. Les premiers chrétiens se reconnaissaient au signe du poisson : s'ensuit-il qu'on ne pourrait plus dire du mal du maquereau sans manquer de respect à l'Église ? Faudra-t-il désormais éviter de qualifier de requin un usurier et de petit poisson un malhonnête homme ? 
On peut vouloir le maintien de la tradition chrétienne dans nos sociétés nationales, et souhaiter que le glorieux labarum de Constantin : In hoc signo vinces, remplace un jour dans nos défilés l'agneau devenu chez nous, bien moins qu'un symbole religieux, l'emblème de la soumission passive et stupide à toutes les tyrannies ».
 — Le Sou de la Pensée française, p. 14-15.

* * * 

« On compte maintenant une cinquantaine de millionnaires canadiens-français, paraît-il. Au point de vue national, mettons, pour être généreux, qu'il y en a bien trois qui ne sont pas des abrutis — et encore, ne nous demandez pas de les nommer !
Si les Juifs étaient persécutés au Canada, tous les millions des Workman, des Davis, des Vineberg, des Cohen et des Jarvis y passeraient, avant qu'on acceptât l'injustice ; ce n'est pas chez cette race admirable qu'on perd le coeur en acquérant un million ! Les trois ou quatre millionnaires irlandais d'Ottawa ont offert de doter à eux seuls, pour les siècles, l'université de cette ville, si l'on voulait en faire une institution anglaise.
Chez nous, quand on a de grippe et de grappe amassé son petit million, l'on n'a plus que deux ambitions : aller habiter dans le voisinage d'Ontario Avenue, et pouvoir donner ses filles à des Anglais ». 
— Le Sou de la Pensée française, p. 26-27.


Olivar Asselin a publié un grand nombre de brochures reproduisant ses
discours et articles. Notez sur Le Sou de la Pensée Française la mention :
« L'auteur a voulu, en publiant cette Feuille, servir la vérité et faire rager
les crétins ». Sur la deuxième brochure on voit la dédicace d'Asselin à
un juge Pelletier. Selon l'ouvrage de Pierre-Georges Roy Les juges de
la province de Québec
, paru en 1923, il y avait alors deux juges
Pelletier vivants : Honoré-Cyrias Pelletier (1840-1925) et Louis-Philippe
 Pelletier (1857-1921), lequel avait présidéau procès de la fameuse
affaire «Aurore, l'enfant martyre».  

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir. Collection Daniel Laprès)

Asselin a consacré un discours, dont il fit paraître le texte sous forme de livre,
en défense de l'œuvre historique de Lionel Groulx, lors de la controverse
ayant éclaté autour de la publication du roman L'appel de la race. On voit
la signature d'Asselin à l'intérieur du livre (collection Daniel Laprès) En 2007,
la biographe d'Asselin, Hélène Pelletier-Baillargeon, a réédité ce texte aux
éditions Fides. Ce livre est toujours disponible, voyez ICI.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Six ouvrages pour connaître la vie et la pensée d'Olivar Asselin. Le
premier est une brochure publiée par le Dr Joseph Gauvreau,
ami d'Asselin et militant nationaliste. Le second est une synthèse
de l'oeuvre d'Asselin écrite par le philosophe et écrivain Hermas
Bastien
, lui aussi militant nationaliste, un an après la mort d'Asselin.
Marcel-Aimé Gagnon a consacré quant à lui deux ouvrages à Asselin,
une biographie parue en 1962 et une étude parue en 1974. Ces
quatre premiers ouvrages sont épuisés depuis longtemps mais
peuvent encore être trouvés en librairie d'occasion. Claude-Henri
Grignon
, auteur du célèbre Un homme et son péché, a consacré
à Asselin un ouvrage dont Victor-Lévy Beaulieu a assuré la
publication en 2007 aux éditions Trois-Pistoles, sous la direction
de Pierre Grignon.
 Enfin, les éditions Typo ont publié un recueil
de textes d'Asselin sur la liberté de pensée ; le livre est toujours
disponible chez l'éditeur ou dans toute bonne librairie, voyez
ICI.

L'historienne Hélène Pelletier-Baillargeon a consacré à
Olivar Asselin une
monumentale biographie en trois
tomes, encore disponibles aux éditions Fides. 



Olivar Asselin est mort le 18 avril 1937 à sa résidence
du 4283 rue Saint-Hubert, à Montréal.

(Image : StreetView)