mardi 20 août 2019

Robert Choquette sur la poésie : « Au narcissisme, je préfère le don »

Robert Choquette (1905-1991)

(Source : Archives des lettres canadiennes-françaises,
tome IV, Montréal, éditions Fides, 1969, p. 389)


   Robert Choquette était l'un des plus importants écrivains québécois du XXe siècle. Fils de Joseph-Alfred Choquette et d'Ariane Payette, il est né le 22 avril 1905 à Manchester (New Hampshire). Sa famille revint à Montréal en 1913 et l'inscrivit au Collège Notre-Dame, puis, de 1917 à 1921, au Collège de Saint-Laurent, où il entreprit ses études classiques. Il étudia ensuite au Collège Loyola de 1921 à 1926.

   Journaliste à The Gazette en 1927, Robert Choquette assuma un peu plus tard la rédaction de la Revue Moderne, tout en étant secrétaire et bibliothécaire à l'École des Beaux-Arts de Montréal. La fondation de Radio-Canada marque un tournant dans sa carrière : il sera l'un des principaux écrivains à alimenter le nouveau réseau de radio-romans. Il fut également l'auteur de nombreux téléromans.

  En 1942-43, il fut invité comme écrivain-résident au Smith College de Northampton (Massachusetts). Revenu au pays, il se consacra entièrement à la littérature. Auteur de nombreux recueils de poésies et de romans, il fut lauréat, entre autres, de trois prix David (1926, 1932, 1955), du prix de poésie de l'Académie française (1954) et du prix Edgar Poe (1956). En 1962, il fut proclamé « Prince des poètes du Canada français ». Membre fondateur, en 1944, de l'Académie canadienne-française (devenue l'Académie des lettres du Québec), il y siégea jusqu'à sa mort. 
   
   En avril 1937, Robert Choquette a épousé Marguerite Canac-Marquis. Il est mort à Montréal le 22 janvier 1991. 

(Source principale : Dictionnaire des oeuvres littéraires du Québec, tome 2, Montréal, éditions Fides, 1987, p. 76-77). 

Pour en savoir plus sur Robert Choquette, cliquer ICI.

De Robert Choquette, les Poésies québécoises oubliées ont publié : Ode à la libertéHymne à l'été et Le chant du coureur-de-bois.

Robert Choquette sur la poésie : 


Ce qu'est pour moi la poésie ? Autant demander ce qu'est la vie, et la mort, et l'amour, et l'âme. 

La poésie ? Pour arriver à un semblant de réponse, je me reporte à mes dix-sept ans, quand je l'ai découverte, quand la route banale que je parcourais s'est transformée soudain en chemin de Damas. J'évoque l'éblouissement où j'ai vécu pendant des mois, le sentiment et même l'impression physique que mon coeur était devenu un grand oiseau en moi prisonnier, et qui m'étouffait en ouvrant les ailes, un vaste oiseau impatient d'espace. L'adolescent découvrait son ciel intérieur et il voulait en faire part aux hommes, le chanter aux quatre coins du monde ; il voulait donner son âme en partage. 

La poésie, c'était l'apaisement de cet instinct si naturel à l'homme d'exprimer ses pensées, ses sentiments, ses émotions, fût-ce pour lui seul, pour les coordonner et les posséder mieux, ou seulement pour abolir le poids du silence. C'était l'instinct non moins naturel qui porte l'homme à communiquer une pensée qu'il estime importante ou précieuse, un sentiment qui le nourrit, une émotion qui l'exalte ou l'étreint.

Ayant pratiqué les poètes anglais pour le moins autant que les poètes français, j'étais lyrique et romantique à l'excès. Même si l'adolescent n'est plus, même si Dionysos est un dieu du matin, est-ce encore cela, pour moi, la poésie ?

Plus qu'hier, j'attache de l'importance à la forme et crois que le poète doit se doubler d'un artiste. Mieux qu'hier je crois que le vers doit être musical. Mais d'abord et surtout et avant tout, je crois à l'importance du rythme, nerf de la poésie. Je veux toujours l'élan, mais moins le mors aux dents. Je sers les écrous à l'éloquence. Au lieu de répandre le lyrisme à grande eau, je veux qu'il passe par le tuyau d'arrosage.

Ainsi, j'accepte mal, non chez les autres, mais pour mon usage, le recours au vers libre et l'abandon de la rime. J'en ai tenté l'expérience, en catimini, et je n'étais pas heureux. Enclin à une certaine indolence, j'ai intérêt à travailler le marbre plutôt que la cire. Et puis, je crois au pouvoir incantatoire du vers régulier comme je crois au pouvoir hypnotique des vagues, où les jeux de l'écume multiplient les détails, mais dont le mouvement de l'avant se déroule dans un cadre défini.

J'aime les poèmes qui s'adressent à tous les hommes, et beaucoup moins, quel que soit le talent de l'auteur, les oeuvres volontairement obscures, qu'il faut déchiffrer comme un puzzle et dont le plaisir qu'en tirent les initiés est basé sur la vanité d'avoir compris. 

Grave lacune, sans doute, je ne cherche pas l'originalité, mais plutôt la clarté et la simplicité. De tout mon instinct, je repousse le culte de la névrose, quand ce n'est pas de la démence, le m'as-tu-vu souffrir, l'étalage du subconscient à la manière dont la pieuvre expulse son estomac et digère en plein jour. 

Je refuse le nom de poésie aux balbutiements qu'on entend chez le psychiatre. Au nom de la vie, si éphémère soit-elle, je refuse l'à-quoi-bon, la tour d'ivoire, l'abdication du monde extérieur. Rien ne me paraît plus risible que l'auteur qui marmonne que tout est vain et comme il lui tarde d'être au cimetière, mais il s'arrache les cheveux s'il ne trouve pas un éditeur. 

Ce que la poésie ne doit pas être, à mon avis, c'est un produit de laboratoire, fabriqué par l'intelligence et s'adressant à la seule intelligence. Elle est faite, essentiellement, d'émotion et d'imagination. Elle doit transmettre au lecteur ou à l'auditeur un ébranlement de l'être tout entier. 

Le poète doit être un créateur d'espoir malgré tout, ― ou, si l'on préfère, un soutien, un consolateur. 

Sur quoi je me tais. Sans doute trahirai-je ici une autre lacune, mais je m'attarde rarement à chercher ce qu'est la poésie. Je préfère mordre dans une pomme qu'en dénombrer les pépins. Je préfère marcher à m'observer marchant. Aux pourquoi et aux comment, je préfère l'acte. À l'air raréfié auquel aspirent certains poètes, je préfère le grand air à pleins poumons. Au narcissisme, je préfère le don. À la poésie pure, je préfère la poésie pleine. 

Tiré de : Archives des lettres canadiennes, tome IV : La poésie canadienne-française, Montréal, éditions Fides, 1969, p. 390-391.  


Le texte de Robert Choquette, ci-haut, est
tiré de cet ouvrage collectif paru en 1969.

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Robert Choquette à l'époque où, dans sa
vingtaine, il dirigeait La Revue moderne,
à la fin des années 1920.

(Source : Mon magazine, mars 1926)

Robert Choquette a été au moins deux fois le sujet de dessins
 de  Robert LaPalmel'un  des plus grands caricaturistes québécois.  
À gauche, sur la couverture de l'édition d'octobre-novembre 1947 de
  la revue La Nouvelle relèveet à droite en première page de l'édition
du 12 novembre 1934 du journal L'Ordre, d'Olivar Asselin.

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Ce témoignage touchant de sincérité et de beauté est paru dans Le Devoir
du 8 février 1991, à l'occasion du décès de Robert Choquette.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'image pour l'agrandir)
Quelques-unes des nombreuses œuvres publiées par Robert Choquette.

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Deux œuvres de Robert Choquette encore disponibles de nos jours en
librairie sont Élise Velder (cliquer ICI) et Le sorcier d'Anticosti (cliquer ICI).

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