dimanche 13 août 2023

La chapelle des hirondelles

À gauche, ce qui subsistait en 1903 de la chapelle des hirondelles,
qui à l'origine était une grotte considérablement plus vaste. Il
semble que même ce résidus se soit depuis effondré, comme on
le constate sur la photo de droite, prise en juillet 2023 sur les
flancs du cap Tourmente, à l'endroit désigné sous le nom de
« Pierrier ». Aucun souvenir de la chapelle aux hirondelles
n'est de nos jours rappelé sur le site du cap Tourmente. 


(Photo de gauche : Fonds d'archives du Séminaire de Québec ;
photo de droite : Daniel Laprès, 17 juillet 2023)­.


   Si vous vous rendez sur le site du majestueux voire mythique cap Tourmente, vous n'y trouverez pas la moindre mention d'une « chapelle des hirondelles » qui se trouvait jadis sur les flancs dudit cap, et qui ravissait les visiteurs et habitués de l'endroit. Il s'agissait d'une grotte plutôt vaste où des nuées d'hirondelles venaient s'abriter. 
   La majeure partie de la grotte s'est effondrée vers 1868, comme le décrit le texte présenté ici-bas, tandis qu'une partie de celle-ci a subsisté au moins jusqu'au début du 20e siècle comme en font foi les photos présentées ci-dessous. De nos jours, il ne semble plus rien en rester. Il est hautement probable que le site nommé « pierrier » soit constitué des débris de la « chapelle des hirondelles ». 
  Il est bien dommage sinon triste que l'administration du site du cap Tourmente ait omis de rappeler le souvenir de la chapelle des hirondelles, un nom beaucoup plus poétique et évocateur que « pierrier » qui, en vérité, ne signifie pas grand chose. Mais comment en être étonné, puisque de nos jours, et ce, particulièrement au Québec, tout concourt à affadir notre vision du monde et à étouffer la vie de l'esprit. 
   Heureusement toutefois, un texte dont la brièveté n'enlève rien à sa beauté littéraire nous redonne cette chapelle des hirondelles. Son auteur est le jeune abbé J.-Patrick Doherty, mort à 33 ans en 1872, et qui était selon nous l'une de nos meilleures plumes françaises de cette époque. Semant toujours la joie autour de lui malgré l'implacable maladie qui l'emporta si prématurément, on disait qu'il était le « boute-en-train » du clergé de Québec. Quant à ses dons littéraires, l'écrivain Arthur Buies partageait tout-à-fait notre avis, malgré l'anticléricalisme frénétique dont il fut atteint durant une partie de sa vie, Buies a en effet évoqué « le talent descriptif, doux, folâtre et original de l'abbé Doherty, […] un Irlandais par l'origine, mais un vrai Gaulois par la forme, par l'éducation, la tournure d'esprit ». Puis, rappelant que dans notre pays, « on conserve l'esprit de nos pères, l'ironie qui ne blesse pas et qui amuse », Buies mentionne que l'abbé Doherty « avait au plus haut degré cette teinte fine et doucement piquante qui est comme le parfum des fleurs après un orage ». 
   Vous découvrirez donc ci-dessous la description en cinq paragraphes de la chapelle aux hirondelles par l'abbé Doherty. Et plus bas encore, nous avons pensé vous présenter l'article paru dans Le Courrier du Canada du 19 juin 1872 au sujet du recueil des textes de l'abbé Doherty publié deux mois après sa mort, et ce, à cause non seulement de la beauté de l'écriture de l'auteur anonyme de cet article dont, malheureusement, on ne trouve plus l'équivalent à notre époque, ni du même calibre intellectuel ni de la même tenue littéraire, mais aussi parce qu'il met en relief les valeurs aptes à élever les esprits et les cœurs qui animaient l'abbé Doherty et son ami intime, l'abbé Louis-Honoré Paquet, à qui nous devons le bonheur de lecture que nous offre ce recueil paru il y a donc plus de 150 ans et qui était jusqu'à présent maintenu dans un total oubli, comme si ce petit bijou de littérature produit chez nous n'avait jamais existé.
   D'ailleurs, l'abbé Doherty a lui-même écrit : «... ces beautés sont hélas ! du genre de toutes celles que nous trouvons sur la terre : elles passent, et passent bien rapidement; et si je ne puis arrêter les ravages du temps, je me crois au moins en conscience d'arracher, en autant qu'il m'est possible, leur souvenir de l'oubli ». 
  C'est donc l'une des beautés littéraires produites par le sympathique et talentueux abbé Doherty que nous avons l'honneur d'arracher de l'oubli, et que l'on peut désormais découvrir ci-dessous... 

L'abbé J.-Patrick Doherty (1838-1872)

(Source : Fonds d'archives du Séminaire
de Québec. Colorisation : Hotpot.ai)

Pour une présentation plus exhaustive de l'abbé Doherty, 
voyez cette glanure qui sort de l'oubli sa captivante 
description d'une ascension du cap Tourmente par des 
élèves du Petit Séminaire de Québec (cliquer sur l'image) :

La chapelle des hirondelles

Un texte de l'abbé J.-Patrick Doherty


29 juillet 1868. — Nous sommes allés prendre les bains à la chapelle des hirondelles, au pied du Cap. Cette chapelle était une caverne assez considérable, taillée dans le rocher abrupte, par la main puissante de la nature. Une autre main, non moins puissante, celle du temps, est venue effacer cette œuvre, dont les ruines forment un immense monceau de pierres de toutes grandeurs au bord de l’eau.

   Depuis des siècles, les contours de cette grotte se dessinent sur les flancs de la montagne. Longtemps avant que Colomb eut cinglé vers le Nouveau-Monde, le sauvage venait s’y prosterner, avec un respect mêlé d’effroi, devant le terrible Manitou qui y avait fixé sa demeure, et dont la colère déchaînait les tempêtes si fréquentes en ce lieu.

     Les Français y vinrent enfin. Le démon de la grotte dut prendre la fuite devant le signe sacré qui brillait sur leurs étendards, mais non sans épuiser contre eux tous les efforts de sa rage désespérée. Ce fut en souvenir de cette lutte effroyable que la montagne reçut le nom de « Cap Tourmente ».

     Plus tard, les successeurs de Monseigneur de Laval s’y rendirent souvent pendant le repos des vacances. D’innombrables troupes d’hirondelles avaient pris la place du Manitou, et, comme ces saints prêtres savaient que ces petits oiseaux, par leur babil interminable, chantaient, à leur façon, les louanges de Dieu, ils appelèrent la grotte « La Chapelle des hirondelles ».

     Le sauvage avait disparu ; les générations de zélés missionnaires et de joyeux écoliers s’étaient succédées avec rapidité, et la chapelle était toujours là, avec sa voûte gothique et ses colonnes élancées. Mais, si solides que furent ses assises, elle aussi devait disparaître à son tour. Le jour arriva : la goutte d’eau avait miné le dernier appui, la masse s’écroula, et sus ruines gisantes disent aujourd’hui, avec je ne sais quelle muette éloquence : « Rien ne demeure ici-bas : le roseau s’incline, le rocher se brise, et toi, ô homme, qui contemple ces débris, tu passeras aussi ».

Source : L'abbé Doherty : ses principaux écrits en français, Québec, Imprimerie Augustin Coté et Cie, 1872, p. 123-125. 

Ce qui restait de la chapelle des hirondelles en 1904.

(Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec)

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Cliquer sur la couverture pour accéder au contenu.

Sur le recueil de textes 
français de l'abbé Doherty

(Juin 1872)


     Voici un des plus charmants ouvrages que nous ayons vu depuis des années. C’est une bonne œuvre et une belle œuvre. Car il honore la mémoire d’un saint prêtre, d’un homme qui a passé sur la terre en faisant le bien, d’un caractère aimable entre tous, d’un talent peut-être le plus facile, le plus spirituel et le plus original de notre littérature canadienne. On ne pouvait élever à la mémoire de l’abbé Doherty un monument plus digne de lui. Ce n’est pas un somptueux mausolée ; ce n’est pas une construction majestueuse qui frappe par ses grandes et sublimes proportions : c’est le portrait vivant, animé d’une riche et brillante nature ; c’est une mosaïque charmante, qui reproduit avec un suave coloris tous les traits de cet esprit ingénieux et fécond. C’est l’aimable peinture de ce cœur si tendre, si profondément bon, de cette imagination si gracieuse et si séduisante qui a passé au milieu de nous en traçant de lumineux sillons trop vite effacés ; comme ces feux éblouissants allumés le soir pour nos fêtes, et qui, après avoir un instant ravi les yeux, vont « se noyer dans le firmament ».

     Ce petit livre est court. C’est son seul défaut. Sur un peu plus de cent vingt pages, il n’en est pas une qui ne soit bien écrite ; plusieurs sont délicieuses.

   Au commencement se trouve un portrait de l’abbé Doherty. Bien peu de copies ont fidèlement conservé les traits et l’expression. Et peut-être n’était-ce guère facile. Sur cette figure mélancolique et souriante, grave et douce, triste et joyeuse à la fois, il y avait une âme tout entière. Et quelle âme ! Elle réfléchissait tous les généreux sentiments, toutes les belles passions, et les plus légères émotions y imprimaient leur trace : comme les eaux d’un lac pur et tranquille où se peignent l’azur du ciel et tous les objets d’alentour, où peuvent creuser des rides une feuille qui tombe, un vent qui soupire, une fleur qui s’y penche. Quelques copies ont cependant rendu, sinon l’expression entière, du moins les contours et les lignes principales. Elles ont gardé le vase ; le parfum n’y est plus.

Portrait de l'abbé J.-Patrick Doherty 
commenté au paragraphe précédent.

     Ce qui vaut infiniment mieux que le portrait, c’est l’avant-propos qui le suit, c’est la biographie tout entière. Il n’est guère possible d’écrire avec une simplicité plus élégante, avec une émotion plus vraie et plus contenue, avec plus d’habilité et de naturel à la fois. L’auteur sait écrire comme il sait parler, avec un art parfait.

     Non seulement on reconnaît à chaque page l’habile écrivain et l’ami sincère qui pleure son ami, mais, ce qui est mieux encore, chaque trait qu’il dessine peint admirablement une ligne de cette figure aimable que tous comprirent et que lui seul peut-être pouvait si bien rendre. Le ton général de la biographie est celui d’une émotion triste et douée à la fois, de la douleur consolée par la foi et l’espérance, de l’ami qui parle de son ami absent avec la douleur d’une absence qu’il ne croit pas éternelle, qui le ressuscite devant lui, qui le contemple avec amour et raconte avec charme sa douce illusion. Il suit avec une religieuse émotion chacun de ses pas, retrace avec délices chaque ligne de cette figure si chère. Et cette biographie n’honore pas moins le caractère de l’auteur que son talent.

     L’ouvrage aurait pu être plus long ; il ne pouvait être mieux fait. Tous ceux qui ont aimé l’abbé Doherty, c’est-à-dire tous ceux qui l’ont connu, y retrouveront cet esprit intarissable, « ce type unique et charmant de gracieuseté et de finesse ». Ses anciens compagnons de collège y reverront le plus aimable et le plus aimé des confrères ; ses nombreux élèves, celui qui mieux qu’aucun autre sut gagner leur affection et laisser dans les âmes un souvenir que le temps n’effacera pas. Ses auditeurs croiront encore entendre cette éloquence toujours facile, toujours pure et limpide qui jaillissait de son cœur et coulait dans les âmes comme un fleuve d’onction et de paix. Ses amis y retrouveront ce cœur tendre et fidèle qui a tant aimé leurs âmes, et tout le monde, un homme unique doué des dons les plus rares, un prêtre, enfin, en qui s’alliaient avec un charme indéfinissable, comme en la personne du divin maître, une énergie indomptable et une inépuisable bonté.

     Cette biographie occupe trente pages, toutes également bien écrites, avec une pureté de langage, une élégance de style et une délicatesse simple et sans fard, malheureusement trop rares aujourd’hui. L’auteur n’a pas voulu étendre davantage un récit où il aurait pu semer encore tant de charmants détails. Il a jugé, avec ce goût délicat qui est un des traits caractéristiques de son talent, qu’un homme ne se peint jamais si bien que par lui-même et à son insu.

    Les écrits de l’abbé Doherty occupent près de cent pages. « Il est impossible de rien trouver nulle part de plus joli, de plus spirituel ». Il y en a treize. Plusieurs sont des chefs-d’œuvre de narration qui rappellent la finesse de La Bruyère et la grâce de Sévigné. Il en est de sérieux et de graves ; ce ne sont pas les moins beaux. Un plus grand nombre sont légers et badins ; et presque tous sont des chefs-d’œuvre de verve comique, de plaisanteries fines et délicates et de vrai sel attique.

     Il en est un qui réunit tous les tons et tous les styles ; c’est le plus long et l’un des plus beaux : le récit de voyage de Saint-Joachim que firent les élèves du Séminaire, le 5 juin 1867 (cliquer ICI). Descriptions fraîches et brillantes, réflexions graves et douces, interrompues par des tableaux pittoresques et des dissertations badines, propos légers, traits comiques, figures éclatantes et hardies, images riantes et gracieuses, style enchanteur qui peint toutes les pensées et tous les objets, tantôt grave et doux, tantôt léger et sautillant, tantôt mollement cadencé, incisif comme la satire, enjoué comme la comédie ; toutes les couleurs y sont jetées sans confusion, avec cette merveilleuse richesse de la nature qui prodigue ses trésors sans jamais les épuiser.

     Les deux premiers morceaux du recueil qu’il écrivit encore écolier sont deux scènes d’un cloître, une sépulture et une procession. Le premier est plein d’une douce mélancolie, le second d’une paix sereine, tous les deux d’une émotion religieuse. Comment, encore assis sur les bancs du collège, à cet âge où les autres savent à peine revêtir d’une élégance banale des idées plus communes encore, ce jeune homme avait-il appris à manier avec une si merveilleuse facilité une langue étrangère ? Où avait-il trouvé si jeune ce style doux, recueilli, facile, qui coule harmonieux comme un ruisseau limpide entre deux rives fleuries ? Ce n’était pas un talent ordinaire qui savait rendre avec ce charme original et cette ravissante harmonie les douces et suaves impressions d’une âme religieuse. Ce n’était pas une âme vulgaire qui devinait si jeune les joies saintes du cloître et s’enivrait déjà du parfum mystérieux des solitudes chrétiennes.

     Et le charmant procès de cet homme condamné à mort pour avoir les dents trop longues et convaincu de « propensions anthropophages » parce qu’il a mangé un « valet » et s’est dit « rassasié » d’une personne ? Le brillant discours de l’orateur qui relègue au second rang le Pro-Corona et la cour entière laissant là le condamné pour courir au dîner !

     Il n’y a pas moins d’esprit dans la plaisante énumération qui commence « la fête du 15 août » et la peinture si variée et si vraie de tous les assistants. Et après ces jeux d’esprit, ce style grave et sérieux plein d’une religieuse émotion, cette procession qui s’avance avec des chants au milieu des rues illuminées et s’arrête devant l’oratoire de la Vierge qu’il décrit avec un si pieux amour. — « Pour ma part, dit-il, j’aurais pu y passer la nuit, et je crois que je n’y serais pas demeuré seul ». Tout l’homme est dans ces deux lignes. C’est bien là cette âme pieuse, si sainte dont nous avons tant de fois vu le recueillement religieux au pied des tabernacles.

     « La fête du 15 août » est suivie d’un petit proverbe dont il raconte l’origine avec ce sel attique et cet enjouement qui n’appartiennent qu’à lui.

     Mais le chef-d’œuvre de verve et de fine plaisanterie, c’est le « Procès à la salle de Liesse ». Il y a là une foule de traits que Racine et Molière n’eussent pas dédaignés. Jamais on n’a raillé avec plus d’esprit les tribunaux et les avocats.

     « Le malheureux, dit-il, est entouré de tous les secours auxquels il a droit de par la grande charte de la constitution britannique, à savoir : un avocat qui souvent ne sait rien ; un juge qui souvent ne peut rien ; des « jurés » qui souvent, très souvent, n’entendent goutte à l’affaire, c’est ce qui s’appelle : être jugé par ses pairs ».

    Il faudrait tout citer. L’anecdote qui suit est un chef-d’œuvre de grâce et d’esprit. Jamais on n’a plus parfaitement possédé ce style vivant et pittoresque qui rend tous les traits de la pensée et embellit tout ce qu’il touche. Qui a jamais peint avec tant de fraîcheur, et avec une si piquante originalité la brise matinale du mois d’août ?

   Les « zéphirs », sont un charmant badinage ; « La chapelle des hirondelles » une mélancolique légende qui en son genre n’est pas inférieure.

     Je m’arrête ici. L’analyse de toutes les beautés serait bien plus longue que l’ouvrage lui-même. Nous n’avons peut-être rien de comparable, rien du même genre dans notre littérature, et bien des pages fort vantées des écrivains de la vieille France pâliraient auprès.

     Nous le répétons, ce petit livre n’a peut-être qu’un défaut, celui d’être trop court. C’est tout ce qui l’empêcherait de mettre l’abbé Doherty au premier rang de nos écrivains. Espérons que celui qui a su élever à sa mémoire un si beau monument achèvera son œuvre, et par la publication des œuvres anglaises de l’abbé Doherty le placera au rang que lui mérite son merveilleux talent. Espérons aussi que le public encouragera des publications qui font tant honneur à notre littérature.

 Source : Le Courrier du Canada, Québec, 19 juin 1872.

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L'appellation de « chapelle des hirondelles » sur le site 
du cap Tourmente était bel et bien courante au 19e siècle, 
comme en fait foi cet article relatant un accident tragique 
et ayant paru dans La Gazette des campagnes du 16 
décembre 1861 (cliquer sur l'article pour l'élargir) :   



Cet extrait d'un article paru dans La Gazette de 
Québec le 19 septembre 1825 prouve également 
qu'il y avait sur les flancs du cap Tourmente une 
grotte nommée  « chapelle des hirondelles » 
(cliquer sur l'extrait pour l'élargir) :