Honoré Mercier (1840-1894) Photo : Studio Livernois, Québec |
Premier ministre du Québec de 1887 à 1891, Honoré Mercier fut l'un des plus grands chefs d'État que le Québec aura produits. Ardent défenseur de nos droits et de notre nationalité, il était un tribun très populaire durant la majeure partie de sa carrière politique, mais il aura fini ses jours dans une infinie tristesse, après avoir été trahi et outrageusement calomnié, comme hélas nous avons trop souvent tendance à le faire au Québec envers ceux qui nous appellent à nous assumer, à nous dépasser, à nous élever.
Pour tout dire, Mercier a vu sa réputation lâchement attaquée par une sale cabale et il perdit alors le peu de fortune qu'il avait, y compris ses «chers livres», comme il l'avait déclaré dans son dernier discours à l'Assemblée législative, où, miné par la maladie qui allait sous peu l'emporter, il confronta en pleine face ceux qui, le plus souvent tapis dans l'ombre, s'étaient acharnés à lui porter nuisance. En fait, cette cabale ignoble a littéralement eu la peau de Mercier, qui n'avait que 54 ans quand il est mort, peu après.
La tragédie que subit alors Mercier est malheureusement trop semblable à celle qui, encore de nos jours, continue de frapper le peuple canadien français comme on disait du temps de Mercier, ou québécois comme on dit de nos jours. Nous avons effectivement trop souvent tendance à rabaisser et diffamer ceux qui, sur la scène politique ou dans d'autres sphères déterminantes, nous appellent à nous ressaisir et à nous secouer les puces, voire à nous botter le derrière. Et comme si ce n'était pas déjà assez, nous confions trop souvent les rênes de notre destinée nationale à des médiocres, à des minables, pour ne pas dire à des québécophages, comme on n'en a vu que trop tout au long de notre histoire, même récente.
Saurons-nous produire de nouveaux Honoré Mercier ? Ces Glanures ont déjà présenté plusieurs figures de semblable stature. Mais on dirait qu'il devient de plus en plus difficile d'en trouver. Et si on en voit de temps en temps émerger ça et là, on se dépêche de leur taper dessus, que ce soit de face ou par derrière, afin de les écoeurer comme il faut, comme le montre trop bien ce qui est arrivé à Mercier.
Pour bien illustrer le destin tragique de Mercier, lequel, malheureusement, reflète trop bien celui de notre nationalité, j'ai cru bon de vous présenter un chapitre entier d'un curieux livre paru en 1895, «Sensations de Nouvelle-France», lequel est attribué à l'écrivain français Paul Bourget, mais dont le véritable auteur est le linguiste Sylva Clapin, né à Saint-Hyacinthe en 1853 et décédé à Ottawa en 1928.
Clapin, qui est l'auteur du premier dictionnaire canadien-français, vivait alors au Massachusetts, comme bien des travailleurs et intellectuels canadiens français du temps. Il avait été passablement irrité du fait que Paul Bourget, dans le récit qu'il publia en France de son voyage en Amérique du Nord, avait complètement omis de mentionner son séjour au Québec, où pourtant il fut reçu de manière grandiose.
Clapin décida alors de pasticher le style littéraire de Bourget en décrivant un séjour imaginaire de celui-ci en nos contrées québécoises, puis de publier le tout sous le nom de l'écrivain français, ce qui offusqua le premier intéressé, qui choisit toutefois de passer outre.
Il demeure que le livre de Sylva Clapin alias Paul Bourget, dont on peut lire l'intégralité sur le très utile site Beq.ebooksgratuits, est un formidable coup de poing quant à notre condition nationale et aux tendances auto-destructrices qui gouvernent trop souvent la conduite de notre peuple. Et cela, on ne le voit pas seulement dans le chapitre consacré à Honoré Mercier. Il s'agit d'une lecture essentielle, dont plusieurs passages percutants n'ont absolument pas perdu de leur actualité. En somme, une dure lecture, dont on ne sort pas indemne. Vous voilà prévenus.
Vous trouverez donc ci-dessous la prose bouleversante et poignante que Clapin rédigea sur Honoré Mercier alors qu'il était entré en agonie. Puissions-nous être le plus nombreux possible à méditer sur le sens profond du tragique destin de Mercier et à en tirer les conséquences. Il est bien vrai que l'Histoire nous enseigne... si du moins on se donne la peine de lui prêter l'oreille.
Sylva Clapin (1853-1928) Photo parue dans le magazine "Le monde illustré", décembre 1900. |
Livre d'où est tiré l'extrait qui suit. Le véritable auteur est Sylva Clapin et non Paul Bourget. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Lundi, 29 octobre
Un long gémissement traverse aujourd’hui le Canada français : « Mercier se meurt ! Mercier va mourir ! » Cela revient, va, court à tout instant, avec une persistance de plainte navrée, cette plainte des douleurs sourdes, angoissantes, qui remonte naturellement des cœurs devant le premier effleurement de la mort.
Pour un grand nombre, aussi, me dit-on, l’agonie de M. Mercier se double, au Canada, de ce remords d’une intensité crucifiante, qu’on éprouve toujours devant la dépouille de l’homme envers qui l’on sait avoir mal agi de son vivant. Comme on voudrait alors, enfin, dire au pauvre mort, qu’on l’a mal jugé, mésestimé ! Avec quelle allégresse mouillée de larmes on recevrait de sa bouche l’assurance de l’oubli, du pardon !
Pour un grand nombre, aussi, me dit-on, l’agonie de M. Mercier se double, au Canada, de ce remords d’une intensité crucifiante, qu’on éprouve toujours devant la dépouille de l’homme envers qui l’on sait avoir mal agi de son vivant. Comme on voudrait alors, enfin, dire au pauvre mort, qu’on l’a mal jugé, mésestimé ! Avec quelle allégresse mouillée de larmes on recevrait de sa bouche l’assurance de l’oubli, du pardon !
Mais, hélas ! rien plus ne doit fuser à travers ces lèvres à jamais scellées. Rien plus ne peut tomber
de ce regard éteint, à jamais refermé en dedans
sur le grand «Au delà». C’est l’immuabilité
éternelle qui commence, cette immuabilité des
choses prodigieuses qu’on sait être
inexorablement closes à notre faible
entendement. Et de cela, pour avoir été
quelquefois si durs au pauvre mort, et de savoir
que désormais rien plus de nous ne peut
l’atteindre, le toucher, et en faire jaillir le pardon,
les âmes bien nées en gardent toute leur vie une
plaie saignante, que dis-je ! souvent même vont
jusqu’à en mourir.
Et comme si la nature ne voulait pas rester étrangère au deuil général, toute la nuit dernière les arbres se sont tordus dans le déchaînement d’une effroyable tempête, soudain venue du nord, et les rafales de la pluie ont fait rage. Du coup, ce qui restait de feuilles a été balayé, et ce matin c’est, tout autour de moi, d’un lugubre empoignant, sous la menace de neige de gros nuages noirs courant ça et là affolés, l’air restant quand même d’une netteté étrange, comme lavé à grande eau, puis avivé par le froid, ce froid des régions du Grand Nord qui s’en vient ici en maître, en souverain, que l’on sent souffler sans obstacles depuis les solitudes boréales.
* * *
Et comme si la nature ne voulait pas rester étrangère au deuil général, toute la nuit dernière les arbres se sont tordus dans le déchaînement d’une effroyable tempête, soudain venue du nord, et les rafales de la pluie ont fait rage. Du coup, ce qui restait de feuilles a été balayé, et ce matin c’est, tout autour de moi, d’un lugubre empoignant, sous la menace de neige de gros nuages noirs courant ça et là affolés, l’air restant quand même d’une netteté étrange, comme lavé à grande eau, puis avivé par le froid, ce froid des régions du Grand Nord qui s’en vient ici en maître, en souverain, que l’on sent souffler sans obstacles depuis les solitudes boréales.
Et bientôt,
je le sais, ce sera pour de bon l’hiver canadien,
l’infinie congélation, partout, des blancheurs
immaculées, sous des cieux profonds, lumineux,
faits de ce bleu intense qui semble celui-là même
des abîmes cosmiques.
Ce sera plus tard une histoire bien triste à écrire, bien dramatique aussi, que celle de M. Honoré Mercier, il y a peu de temps encore Premier Ministre de cette Province, homme d’état excellemment doué, aux envolées très hautes, et sur qui avaient semblé se concentrer un moment toutes les destinées du peuple canadien-français.
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Ce sera plus tard une histoire bien triste à écrire, bien dramatique aussi, que celle de M. Honoré Mercier, il y a peu de temps encore Premier Ministre de cette Province, homme d’état excellemment doué, aux envolées très hautes, et sur qui avaient semblé se concentrer un moment toutes les destinées du peuple canadien-français.
Puis subitement, devant une misérable question de chiffres – une accusation de détournement de
fonds dont il fut plus tard reconnu innocent –
toute cette puissance, à grande peine édifiée,
s’affaissa, s’effondra comme un château de
cartes.
Puis le peuple d’ici, grand enfant comme
toujours, brutal aussi comme souvent l’enfant,
s’acharna sur lui, le piétina, jusqu’à ce que tant
d’ingratitude eut enfin raison de cet homme –
qu’on m’a dit s’être montré pourtant d’une
grandeur de demi-dieu, dans le temps même de
son plus grand accablement – et le jeta sur cette
couche de misère, d’où maintenant le malheureux
ne se relèvera plus.
Et c’est de cela qu’il se
meurt, de toute cette ingratitude, tout son être
angoissé d’un étonnement profond, douloureux,
immense, cet étonnement des messies à l’heure
du martyre, devant les exagérations de la férocité
et de la bêtise humaines.
Je n’ai rencontré M. Mercier qu’une seule fois, et cela durant l’été de 1893. À cette époque, une discussion très vive se poursuivait, depuis quelque temps déjà, sur la question de savoir si le moment n’était pas enfin arrivé, pour le Canada, de réclamer son indépendance auprès de l’Angleterre. L’un des premiers, M. Mercier s’était jeté corps et âme dans le mouvement, espérant y trouver une occasion de ressaisir son prestige perdu. Le Canada français une fois abordé, et afin d’imprimer à sa propagande un ébranlement plus étendu, ce tribun déchu s’était ensuite décidé à tenter de rallier à sa cause les groupes canadiens de la Nouvelle-Angleterre, et il venait à l’époque dont je parle, d’arriver à Boston, lorsque moi-même, de passage en cette ville, je fus prévenu qu’il devait y donner une conférence.
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Je n’ai rencontré M. Mercier qu’une seule fois, et cela durant l’été de 1893. À cette époque, une discussion très vive se poursuivait, depuis quelque temps déjà, sur la question de savoir si le moment n’était pas enfin arrivé, pour le Canada, de réclamer son indépendance auprès de l’Angleterre. L’un des premiers, M. Mercier s’était jeté corps et âme dans le mouvement, espérant y trouver une occasion de ressaisir son prestige perdu. Le Canada français une fois abordé, et afin d’imprimer à sa propagande un ébranlement plus étendu, ce tribun déchu s’était ensuite décidé à tenter de rallier à sa cause les groupes canadiens de la Nouvelle-Angleterre, et il venait à l’époque dont je parle, d’arriver à Boston, lorsque moi-même, de passage en cette ville, je fus prévenu qu’il devait y donner une conférence.
Je le revois encore, sortant du cercle
d’admirateurs qui l’entouraient, et apparaissant
soudain, devant tous, dressé dans toute sa fière
hauteur, avec sa fine tête aux traits déjà touchés
par le mal secret qui le dévorait, et qu’éclairait
quand même un regard d’une acuité perçante.
De
suite, il entra dans le vif de son sujet. Peu
d’éloquence, du moins dans le sens attaché généralement à ce mot. Des chiffres et des faits,
mais tout cela amené, groupé avec une extrême
habileté, tassé parfois, pour ainsi dire, sur un
point donné, afin de mieux enfoncer ce point
dans la tête de ses auditeurs.
Mais aussi, comme
on sentait bien que, sous toute cette aridité
voulue, couvait une flamme ardente capable de
devenir, à l’occasion, le foyer d’incendie auquel
les multitudes prendraient feu. S’il ne s’en servait
pas, c’était évidemment parce que le besoin ne
s’en faisait pas sentir.
Ou bien peut-être – qui
sait ? – déjà revenu de tout, en était-il alors à se
dire, comme tous les désespérés : « À quoi
bon ? »
L’avouerai-je ? C’est même là l’impression
principale que, pour ma part, je rapportai de cette
conférence de Boston. Oui, plus j’y pense, et plus
je suis persuadé que M. Mercier dut achever, ce
soir-là, de vider jusqu’à la lie la coupe de ses
désenchantements.
Je le revois toujours, se
mouvant lentement en demi-cercle, dans un
balancement régulier de pièce montée, l’avant-bras
se levant et s’abaissant comme sous la
poussée d’un mécanisme ; et j’entends encore cette voix sourde aux résonances navrantes – la
voix d’un porteur de mauvaises nouvelles –
s’essayant sans cesse et quand même à porter la
conviction chez ses auditeurs, à réveiller en eux
quelque fibre secrète et ignorée. Et tout cela
allait, roulait, dans tous les coins et recoins de
l’immense salle, inutilement, comme des choses
mortes et vides de sens, sans échos sympathiques
chez tous ces gens aux tempéraments desséchés
de Yankees, qui ne comprenaient pas, qui ne
pouvaient pas comprendre.
Cela, voyez-vous, ce fut vraiment trop. M.
Mercier avait dû, évidemment, [beaucoup miser] sur ses compatriotes habitant les États-Unis,
où, semblait-il, le soleil de l’indépendance
et de la liberté avait certes fait d’eux de nouveaux
hommes. Il leur avait même, on pourrait ajouter,
confié les derniers atouts de son jeu, dans la
partie suprême qu’il venait d’engager.
Et voici
que, de toujours – là-bas [au Québec] comme ici – ne
rencontrer qu’âmes fermées à tout ce qu’il sentait
tressaillir en lui de grand et d’élevé. Voici que,
aussi, de se heurter sans cesse à de faux et
bruyants témoignages d’amitié, qui n’étaient au fond que des accolades de Tartarins en quête de
notoriété tapageuse, soudain une infinie
désespérance l’avait étreint, et tout son être
intime avait sombré – celui-là même où palpitait
l’âme d’un second Bolivar – ne laissant plus
debout, à la surface, qu’un automate chargé de
réciter une leçon.»
Extrait de Sensations de Nouvelle-France, de Sylva Clapin alias Paul Bourget, 1895, p. 80-86.
Mise à jour 26 janvier 2017 : Récemment, le politologue Claude Corbo a publié deux livres qui permettent de découvrir et d'approfondir la vie de Mercier et les idéaux qu'il a promus. Cliquez sur les images pour plus de renseignements :
Le corps d'Honoré Mercier exposé dans sa résidence, à Montréal, au coin des rues Saint-Denis et Sainte-Catherine, le 1er novembre 1894. Source : BANQ (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Début de la procession funéraire d'Honoré Mercier, rue Sainte-Catherine Ouest, Montréal Source : BANQ (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Maison natale d'Honoré Mercier, à Sabrevois sur la route du Richelieu. On peut la visiter gratuitement. Informations ICI. (Photo : Daniel Laprès)
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Merci pour cet enseignement!
RépondreSupprimerUn des très grand Québécois.
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