L'église de Saint-Casimir-de-Portneuf, où l'abbé Narcisse Dufresne (1893-1918) était vicaire de mai 1916 à sa mort durant l'épidémie de grippe espagnole, le 26 octobre 1918. (Sources des photos : église: Daniel Laprès, 7 juin 2021 ; abbé Narcisse Dufresne : Archives du Séminaire de Québec; cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Le chanoine Jean-Baptiste-Arthur Allaire, de Saint-Hyacinthe, a publié, entre 1910 et 1934, une œuvre colossale en six volumes, le Dictionnaire biographique du clergé canadien-français, qui présente les notices biographiques de plus de dix mille prêtres descendants du peuple de Nouvelle-France ou originaires d'Europe et ayant œuvré sur notre continent, que ce soit au Québec, sur le reste du territoire du Canada actuel ou aux États-Unis. On y trouve des informations très utiles, tant pour les travaux généalogiques que pour les recherches littéraires, puisque plusieurs membres de notre clergé d'alors ont participé, souvent très activement, à l'émergence et au développement de la vie littéraire de chez nous.
Ces derniers jours, je fouinais dans le volume 4 de ce dictionnaire et suis tombé sur cette liste de quelques-uns parmi les ecclésiastiques décédés durant l'automne 1918. Mon attention a été vite captée par la mention du tout jeune abbé Narcisse Dufresne, mort à 25 ans :
J'ai aussi pu trouver ce bref article paru le 26 octobre 1918, jour même du décès de l'abbé, dans le journal L'Action catholique, qui nous donne notamment les noms de ses parents, Joseph-Georges Dufresne et Joséphine Bouillé, de Deschambault :
Le 1er novembre suivant, dans le journal Le Peuple, hebdomadaire de Montmagny au rayonnement important, publiait cette mention du décès de l'abbé Narcisse :
J'ai aussi déniché dans les archives du Séminaire de Québec la photo du jeune abbé que l'on voit au haut de la présente page.
Dans le sixième et dernier volume du Dictionnaire biographique du clergé canadien-français ci-haut mentionné, on peut lire cette notice :
Outre Narcisse Dufresne, alors âgé de seize ans, on aperçoit sur la première rangée assise, le premier à gauche, Aimé Plamondon, qui deviendra poète et sera très impliqué dans la vie littéraire de l'époque. Et tout au centre, portant des lunettes, l'abbé Camille Roy, une figure majeure du développement de la vie littéraire canadienne-française. (Source : Musée de la civilisation du Québec ; archives du Séminaire de Québec. Cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Les mêmes archives contiennent cette photo de Narcisse Dufresne, finissant de l'année scolaire 1911-1912 :
(Source : Musée de la civilisation du Québec ; archives du Séminaire de Québec) |
Et ici, Narcisse Dufresne en 1912, officier du Bataillon des Cadets du Séminaire de Québec :
(Source : Musée de la civilisation du Québec ; archives du Séminaire de Québec) |
On trouve dans les archives des journaux encore quelques traces de l'abbé Narcisse Dufresne. Par exemple dans cet extrait d'un article paru dans le journal Le Canada du 24 octobre 1917 (soit un an presque jour pour jour avant la mort du jeune abbé) qui relate une visite officielle de Lomer Gouin, premier ministre du Québec, à Pont-Rouge, qui, à l'instar de Saint-Casimir, est situé dans le comté de Portneuf :
On découvre aussi que la famille Dufresne aura été éprouvée de manière particulièrement cruelle non seulement par la mort du jeune abbé Narcisse, mais également par la noyade, moins d'un an plus tard, de son frère Georges, comme l'indique cet entrefilet paru dans La Presse du 22 juillet 1919 :
Les circonstances de la mort de l'abbé Narcisse Dufresne ne sont pas sans rappeler le sacrifice, lors de l'épidémie de typhus de 1847, auquel ont consenti de nombreux prêtres, religieux, religieuses, et même un évêque, qui ont laissé leur vie en soignant des victimes de cette autre maladie à la contagion foudroyante, et que refusaient de soigner même ceux que de nos jours on appelle les « professionnels de la santé ». Pour en savoir plus sur cet épisode de dévouement aussi charitable qu'héroïque, cliquez sur cette image :
Cela dit, pour revenir à notre abbé Narcisse Dufresne, il est évident que le dévouement de ce prêtre et vicaire qui, âgé d'à peine 25 ans, a contracté la grippe espagnole en allant réconforter spirituellement des paroissiens atteints de cette maladie ultra contagieuse et mortelle, est un fait qui n'entre guère dans le « narratif », de nos jours dominant sinon hégémonique, à propos de nos « monstrueux » curés et membres du clergé canadiens-français à côté desquels, à en croire plus d'une langue sale calomnieuse, Dracula lui-même aurait été un doux Calinours avant l'heure...
Il est en effet de bon ton de nos jours de cracher sur notre clergé d'antan, souvent avec une rage de convulsionnaire. C'est pratiquement une obligation pour être bien vu, et les réseaux sociaux débordent d'inepties éructées par des multitudes d'ignares en cette matière. Mais c'est là oublier plusieurs choses, dont les deux suivantes ne sont pas les moindres :
La première, c'est que tous ces très nombreux prêtres, religieux, religieuses, ils étaient des nôtres, les produits de nos familles qui les soutenaient et les encourageaient. Ils n'étaient aucunement des « corps étrangers » à notre peuple, ils en étaient issus, tout comme était profondément enracinée dans la nationalité canadienne-française la foi catholique qui les inspira à consacrer leur vie.
La
deuxième, c'est que le dévouement, souvent les sacrifices consentis par ces
curés et bonnes sœurs, pour l'éducation de notre peuple et pour soigner nos
malades, étaient sans commune mesure avec tout ce que notre société d'aujourd'hui
nous permet de concevoir ou imaginer. Toute cette abnégation pour seulement une très faible sinon
inexistante rétribution personnelle, dans la très grande majorité des cas.
Bien
sûr, rien n'était parfait. Bien sûr, il y en a eu certains qui ont commis des abus, et pas seulement sexuels. Bien
sûr il y a eu des profiteurs et des parasites. Bien sûr, il y en a qui
n'étaient « pas fins ». Mais quel regroupement professionnel, ou social, ou tout simplement humain, ne voit jamais surgir de ses rangs des abuseurs de toute sorte et des pas fins, et ce, particulièrement
de nos jours ? N'est-il pas curieux que les regroupements ou associations contenant à notre époque des pommes pourries, disons par exemple les associations d'entraîneurs sportifs auprès de mineurs, ou les guildes d'artistes, ou encore des syndicats d'enseignants au primaire et au secondaire, puisque certains de leurs membres ont commis des actes immondes, ne subissent aucunement la hargne démente dont notre clergé d'antan est constamment la cible ?!?
Mais
quand on étudie de près les œuvres éducatives et charitables de ces fils et filles de nos
familles, on se rend compte que la légende noire avec laquelle on se
gargarise de nos jours est essentiellement le produit d'élucubrations
d'incultes, pour ne pas dire de la foutaise grossière. C'est aussi pour une large
part un mépris empreint d'ingratitude pour nos grands-pères, grands-mères et
leurs grands-pères et grands-mères, qui étaient animés d'une foi qui les
rendaient notamment fiers lorsque certains de leurs enfants devenaient prêtres ou
entraient dans les ordres. Pour la quasi-totalité des nôtres à l'époque, Ciel
et Terre ne faisaient qu'un. En étaient-ils plus mal que nous ? Rien n'est
moins sûr...
D'ailleurs, à ce propos, écoutez attentivement les paroles de « Il était une fois des gens heureux », interprétée par la regrettée Nicole Martin, cette dame de distinction comme n'en révèle plus la présente scène artistique ; vous saisirez peut-être un peu de la vision du monde des nôtres de ce temps-là et qui n'a certainement pas grand chose à envier à notre temps à nous (cliquer sur l'image pour entendre cette très belle chanson qui parle de ce que nous fûmes. Les paroles sont inscrites tout au bas de la présente Glanure, car la transcription qui circule sur le web est erronée) :
En somme, pas besoin d'être dévot, ni même croyant, pour ressentir une saine reconnaissance pour la valeur du supplément d'âme que ces prêtres, religieux et religieuses ― je le répète : ces fils et filles de nos familles ― ont donné à profusion à notre peuple et qui se traduisait en œuvres diverses dont nous avons collectivement bénéficié. Quand on se penche sérieusement sur leur contribution, on se rend compte à quel point l'ingratitude et le reniement qui caractérisent beaucoup trop de nos contemporains nous infligent collectivement un tort considérable, ne serait-ce qu'à cause de l'amnésie historique qui est ainsi favorisée, à cause aussi de cette idiotie consistant à prétendre que nos ancêtres de foi catholique n'auraient été qu'un ramassis de benêts hébétés par une soi-disant « grande noirceur », tandis que nous, des années 2020, serions censés être tellement « smartes »... !
En
tout cas, j'aime me rappeler que notre peuple a déjà su produire des Narcisse
Dufresne en grand nombre, c'est-à-dire des hommes et des femmes à la foi catholique chevillée au cœur et qui ne
reculaient devant aucun risque lorsqu'il s'agissait de réconforter leur prochain, en plus de se dépenser sans compter pour l'instruire et le soigner. La vérité est que la très vaste majorité de notre clergé d'antan a profondément aimé notre peuple et l'a prouvé tangiblement en donnant tout ce qu'ils pouvaient d'eux-mêmes aux gens qui le constituaient. Au lieu de dénigrer et de calomnier tels des perroquets tous ces prêtres, religieux et religieuses de chez nous qui étaient loin d'être tous des pommes pourries, nous gagnerions considérablement à nous inspirer d'eux et d'elles et
à au moins respecter les valeurs et la foi qui les animaient.
Donc,
souvenons-nous et choisissons la reconnaissance contre l'ingratitude : ce
serait déjà une bonne manière de réchapper l'essentiel du naufrage. Parce que quelles que soient nos convictions religieuses et philosophiques, nul n'est dispensé du devoir de rendre justice à la vérité, à toute la vérité, afin d'éviter la commission d'une injustice mémorielle à l'égard de nos compatriotes, ici les membres de notre clergé, qui se sont dévoués en faveur du mieux-être de notre peuple et de sa pérennité historique.
Depuis son décès il y a maintenant 103 ans, le nom de l'abbé Narcisse Dufresne n'a été imprimé qu'une seule fois, en 1934, dans une notice biographique de quelques lignes (reproduite ci-haut). Mais il n'était pas dit que ce jeune homme qui fut le fils de l'une de nos familles canadiennes-françaises et dont le cœur était à la mesure, immense, du sacrifice ultime auquel il se savait exposé en se précipitant pour réconforter son prochain accablé par le malheur, il n'était pas dit, donc, qu'on n'entendrait plus jamais parler de lui. Le revoici maintenant, par l'entremise de ce carnet-web des Glanures historiques québécoises, rendu à notre mémoire collective et, espérons-le, à la reconnaissance du plus grand nombre possible parmi les nôtres.
R.I.P.
et chapeau bas, monsieur l'abbé !
L'abbé Narcisse Dufresne est mort au presbytère de Saint-Casimir de Portneuf le 26 octobre 1918. (Photo : Daniel Laprès, 7 juin 2021) |
Monument funéraire du lot familial où repose l'abbé Narcisse Dufresne, au cimetière de Deschambault. (Photo : Daniel Laprès, 5 juin 2021 ; cliquer sur l'image pour l'élargir) |
La tombe de l'abbé Narcisse Dufresne est située au milieu du cimetière de Deschambault, près d'un jeune chêne. (Photo : Daniel Laprès ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
L'église de Deschambault, que fréquenta l'abbé Narcisse Dufresne durant son enfance et sa jeunesse. (Photo : Daniel Laprès, 5 juin 2021) |
Merci, Daniel, pour avoir fait connaître une si belle âme sacerdotale, comme notre Belle Province en a produit au centuple. D'un de vos lecteurs des Hautes-Alpes françaises...
RépondreSupprimerIl vaut la peine d'écouter la magnifique interprétation qu'a faite Nicole Matin de la chanson « Il était une fois des gens heureux ».
RépondreSupprimerhttps://www.youtube.com/watch?v=VVF36KW9Rng