mercredi 5 mai 2021

Le jeune poète noyé de Saint-Michel-de-Bellechasse

Ernest Roy (1898-1916) en juin 1915 au domaine Maizerets de Québec.
Portrait tiré d'une photo de groupe 
du Cercle Laval, une société littéraire
constituée  
d'élèves du Petit séminaire de Québec, où chacun était appelé
à déclamer, discuter en public, faire des 
conférences et des discours. Le
Cercle Laval était 
affilié à l'Association catholique de la jeunesse cana-
dienne-française (A.C.J.C), dont Ernest Roy était un membre actif.

(Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec.
Traitement et colorisation : HotPot)

    Certains parmi celles et ceux qui ont eu la chance de se procurer ou de se faire offrir un exemplaire de Nos poésies oubliées, cet ouvrage de collection publié en septembre 2020, ont peut-être été étonnés de retrouver, parmi les 100 poètes d'antan issus du peuple héritier de Nouvelle-France qui y sont présentés, un tout jeune poète, Ernest Roy, qui a connu à 17 ans seulement une fin tragique, en se noyant accidentellement dans le fleuve Saint-Laurent, à Saint-Michel-de-Bellechasse, devant la maison d'été familiale et sous les yeux de sa mère, alors qu'il se baignait en compagnie de son frère, de sa sœur et de quelques amis.

   En fait, Nos poésies oubliées présente également deux autres poètes morts tout jeunes, par surcroît eux aussi par noyade, Hector Séguin, mort à  17 ans, et Paul-Émile Lavallée, mort à 23 ans, et qui tous deux, comme Ernest Roy, surent faire preuve de talents littéraires précoces comme savaient en susciter, et ce, beaucoup plus qu'on le croit de nos jours, nos collèges et séminaires alors dirigés par des prêtres et d'innombrables hommes et femmes membres de congrégations catholiques, dont la quasi-totalité provenaient de nos familles, et envers lesquels notre société d'aujourd'hui fait trop souvent preuve d'une ingratitude aussi ignare qu'ignoble.

Pour se procurer l'un des quelques exemplaires encore 
disponibles de Nos poésies oubliées, voyez les modalités 
de commande présentées à la page 3 du document auquel 
on accède en cliquant sur la couverture du volume : 

    Ernest Roy mérite selon nous sa place dans un tel ouvrage à cause, certes, de la qualité de ses vers tout en simplicité et beauté, mais aussi pour sa stature morale, intellectuelle et patriotique qui, selon les nombreux témoignages publiés lors de sa mort, révèlent un jeune compatriote d'exception, dont les talents divers et la remarquable noblesse de caractère inspiraient ceux qui ont eu la chance de l'avoir côtoyé et connu. Je suis même persuadé que son souvenir a toujours quelque pertinence, particulièrement à une époque comme la nôtre où règnent le narcissisme, l'inculture historique et le cynisme les plus plats et insipides comme notre scène médiatique n'en est qu'un pitoyable reflet. 

Ernest Roy à l'automne 1914.

(Fragment d'une photo de groupe. Source : Musée de la civilisation
du Québec ; fonds d'archives du Séminaire de Québec)

La classe où était dispensé le cours de Rhétorique, telle que la connut
Ernest Roy durant sa dernière année au Petit séminaire de Québec, au
terme de laquelle il décrocha notamment le premier prix de Rhétorique.

(Source : Musée de la civilisation du Québec ;
fonds d'archives du Séminaire de Québec)

    Ernest Roy est né à Québec, dans la paroisse Saint-Jean-Baptiste, le 16 septembre 1898, du mariage d'Ernest Roy, avocat qui deviendra député puis juge, et de Malvina Godbout. Comme on peut le lire dans les articles et textes ci-dessous, le jeune Ernest fit ses études secondaires au Petit séminaire de Québec, où il était un premier de classe et un élève hautement apprécié et estimé tant par ses condisciples que par ses professeurs. Ses succès scolaires constants faisaient de lui un habitué des prix de fin d'année académique, dont, à la fin de sa dernière année scolaire, le prix du lieutenant-gouverneur. 

Ernest Roy était le fils d'Ernest Roy,
avocat, puis député et juge.

(Source : BANQ)

    Ernest, décrit comme un garçon à l'esprit vif et amical, était aussi doué de qualités de leadership dont il fit preuve au sein de divers mouvements estudiantins, littéraires et patriotiques dans lesquels il s'était engagé. 

   Quatre jours après sa mort, la rédaction du quotidien L'Action catholique, de Québec, révélait dans l'article que voici certains traits significatifs du caractère d'Ernest, de même que la source de la manière dont il conduisit sa trop courte existence : 

   « L'A.C.J.C. vient de faire une lourde perte, notre ami Ernest, du cercle Saint-François-de-Sales, n'est plus. 

   Nous l'aimions, ce cher ami, à cause de ses agréables qualités : d'un physique attirant, il avait cette distinction tant aimée du Père de Ravignan, un don de conversation rare, une franchise et une amabilité qui lui gagnaient tous les cœurs. Il était, pourquoi ne pas le dire, pur comme un ange, et il avait acquis à force de travail sur lui-même une volonté très ferme, orientée toujours de plus en plus vers un idéal très haut. Il comprenait bien l'ACJC. Il savait de mieux en mieux ce qu'elle demande à ses membres, et il travaillait avec succès à le lui donner. 

  D'une intelligence extraordinaire, mais d'une versatilité inquiétante, par un travail acharné sur son tempérament, il réussit à donner tout son effort, avec une belle régularité, à ses classes. L'année de finissant lui promettait tous les succès qui attendent un jeune homme doué de grands talents, et qui sait les faire fructifier par l'énergie et la piété. 

    Ernest était pieux, c'était là le secret de sa force de caractère et de son amabilité. Il y a à peine quelques mois, en février dernier, il fit seul une retraite fermée au séminaire, afin de rassembler toutes ses forces pour bien finir l'année, et aussi pour éclairer davantage son idéal. Il croyait à l'action virilisante de la retraite fermée bien faite. 

    On peut affirmer sans la moindre hésitation qu'il était toujours prêt à la mort ; il faut quand même prier pour lui, et nous savons que les membres du Cercle Saint-François-de-Sales et de l'A.C.J.C. auront pour lui cette pensée devant Dieu qui hâte le bonheur éternel des justes. N'oublions pas non plus ses parents, car c'est une rude épreuve de perdre un tel fils ». (L'Action catholique, 12 août 1916. Source : BANQ).

    Les talents littéraires d'Ernest Roy ont dû laisser une marque durable sur les gens qui l'ont connu sous cet aspect, car en février 1922, soit plus de cinq ans après sa mort, un de ses poèmes resté jusque-là inédit, Avec le vent, fut déclamé lors d'une grande soirée poétique et musicale où furent présentées des œuvres d'écrivains et artistes les plus en vue du Québec de l'époque. Pour découvrir ce poème, cliquer sur cette image : 


    Quelques semaines plus tard, ce même poème d'Ernest Roy reçut les honneurs de la parution dans le premier numéro de la toute première revue exclusivement poétique publiée au Canada français, Le Jardin des Muses, fondée par Joseph Dumais, lequel fut un phénoménal champion du combat pour la langue française. 

    Au Petit séminaire de Québec, Ernest Roy a eu pour compagnon de classe Jean-Marie Turgeon (1897-1957), qui deviendra journaliste et qui, sous le nom de plume de « l'Oncle Gaspard », publiera dans des journaux de la Vieille Capitale de savoureuses chroniques littéraires, historiques et culturelles (dont les meilleures feuilles furent réunies dans deux volumes, Le dessus du panier (1937) et Les vendredis de l'Oncle Gaspard (1944). C'est dans ce dernier volume que Turgeon publia le texte ci-dessous dédié à son ami de séminaire Ernest Roy. Le texte de Turgeon est suivi d'un dossier de presse constitué d'articles de journaux parus lors du décès tragique de celui-ci en août 1916, et dont nous signalons plus particulièrement le beau et émouvant témoignage portant le titre  : « Sur la tombe d'Ernest Roy », dont l'auteur est l'abbé Alphonse Morel, qui enseigna la Méthode à notre jeune poète. 

Cliquer sur l'image pour l'agrandir. 
Pour en savoir plus sur Jean-Marie Turgeon, cliquer ICI.

Ernest Roy
par Jean-Marie Turgeon

    « En classe il était souvent distrait, et le professeur de Méthode, l'abbé Alphonse Morel, s'amusait à l'interpeller : « Dites-moi, Ernest Roy, si vous ne voulez pas goûter de la retenue, quel article de la grammaire latine nous sommes à étudier en ce moment ? » Le bambin de onze ans était aussitôt levé, clignotant de ses beaux yeux noirs qui fixaient la tribune. Trouver le numéro de l'article, il n'y fallait pas songer, mais, remis sur la piste, il répondait si bien aux questions que le maître s'avouait désarmé. 

Ernest Roy, âgé de 11 ou 12 ans, et son
professeur de méthode l'abbé Alphonse
Morel
, mentionné ci-haut dans le texte
cité de Jean-Marie Turgeon. Année 
scolaire 1910-1911.
Fragment d'une photo de groupe.

(Source : Musée de la civilisation du Québec ; 
fonds d'archives du Séminaire de Québec)


Ernest Roy durant l'année scolaire 1912-13.
Détail d'une photo de groupe.

(Source : Musée de la civilisation du Québec ;
fonds d'archives du Séminaire de Québec)

    L'année suivante, nous avions fait une recrue nouvelle : Narcisse Furois, sorti avec tous ses diplômes de l'École Normale. Jusqu'au terme de nos études, du moins jusqu'à la Physique, car Ernest nous quitta après la Mathématique, ce fut entre les deux une rivalité constante. Furois, de sept ans plus âgé, triomphait de son jeune challenger dans le domaine purement expérimental. Mais encore là, l'intelligence de Roy fulgurait. Camarades et admirateurs, nous leur appliquions le jugement de Bossuet sur Turenne et Condé : « L'un paraît agir par des réflexions profondes, et l'autre par de soudaines illuminations ; celui-ci, par conséquent, plus vif, mais sans que son feu n'eût rien de précipité ; celui-là d'un air plus froid, sans jamais avoir rien de lent ». 

    Succès dont le destin se montra jaloux : Ernest Roy, victime d'un drame de l'onde le 8 août 1916 ; Narcisse Furois, tué dans un banal accident d'automobile en 1919, après sa seconde année de droit. 

Officiers de la classe 1914-1915 de la classe de Rhétorique du Petit
Séminaire de Québec, au parc du domaine de Maizerets. Ce cliché date
de l'automne 1914. Dans l'ordre, de gauche à droite : Narcisse Furois
secrétaire (dont il est fait mention ici-même dans l'extrait du livre
de Jean-Marie Turgeon) ;
Ernest Royprésident ; l'abbé Camille
Roy
, professeur de Rhétorique et 
pilier important du développement
et de la promotion de la 
littérature canadienne-française ; David
Robitaille
, vice-
président ; Georges Grégoire, assistant-secrétaire.

(Source : Musée de la civilisation du Québec ; fonds d'archives du Séminaire de Québec.
Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

    Ah ! Je sais qu'il y a le mot de Platon : « Ceux qui meurent jeunes sont aimés des dieux ». Un jour, en Rhétorique, Monseigneur (alors abbé et professeur) Camille Roy nous donna ce thème à développer. Chez beaucoup, l'enthousiasme fit complètement défaut. Ernest, lui, se laissa emporter par l'inspiration et, au bas de sa copie, il inscrivit ce sonnet (cliquer sur l'image suivante pour y accéder) : 



    Vous me direz que le vers n'est pas exempt de redondances. Mais le poète avait quinze ans. À seize, durant le cours de M. l'abbé Robert, il composa de fort jolies strophes : 

        C'est l'heure rougeoyante où l'astre du jour sombre
        Dans le flot qui murmure et vient baigner les champs ;
        C'est l'heure où les oiseaux célèbrent de leurs chants
        La chute du soleil et le retour de l'ombre.

    ... pendant que le grave Furois (arriverait-il premier ou deuxième à la composition suivante ?) lisait les Contemplations de Jules Lemaître.

L'auteur du présent texte, Jean-Marie Turgeon, 
alors qu'il posait en tant que finissant du
Petit Séminaire de Québec, en 1917. Il 
était confrère de classe d'Ernest Roy.

(Source : Musée de la civilisation du Québec ; 
fonds d'archives du Séminaire de Québec)

    Vingt-cinq ans qu'ils dorment, aimés des dieux, dans les cimetières voisins de Saint-Michel et de La Durantaye ! La classe en avait fait deux de ses officiers (Ernest Roy, président ; Narcisse Furois, secrétaire). Tous les jours il m'arrive de les revoir en capot d'écolier ». 

Extrait de : Jean-Marie Turgeon, Les vendredis de l'Oncle Gaspard, Québec, 1944, p. 159-160. Le texte avait été préalablement publié sous forme de chronique dans Le Journal (Québec) le 8 août 1936.


Saint-Michel-de-Bellechasse, sur les bords du fleuve Saint-Laurent.
À droite, Ernest Roy, qui s'est noyé dans le fleuve, à quelques
dizaines de mètres à l'est de l'église.

(Photo d'Ernest Roy : Musée de la civilisation du Québec ;
fonds d'archives du Séminaire de Québec)

Le Peuple (Montmagny), 11 août 1916.
À noter qu'Ernest avait 17 ans et non 19.

(Cliquer sur l'article pour l'agrandir)

Le Peuple (Montmagny), 18 août 1916. L'auteur, qui signe « A. M. Ptre », 
est l'abbé Alphonse Morel, qui fut professeur de Méthode d'Ernest Roy.

(Cliquer sur l'article pour l'agrandir)

L'abbé Alphonse Morel (1887-1953), auteur de l'article 
intitulé "Sur la tombe d'Ernest Roy", ci-haut. Il sera
fait chanoine en 1953.

(Source : Musée de la civilisation du Québec ;
fonds d'archives du Séminaire de Québec)

Le Peuple (Montmagny), 18 août 1916. À noter une
erreur à la quatrième ligne de la deuxième colonne :
il s'agit de l'abbé A. (pour Alphonse) Morel, ci-haut
mentionné, et non O. Morel. 

(Cliquer sur l'article pour l'agrandir)

La Patrie (Montréal), 9 août 1916.

(Cliquer sur l'article pour l'agrandir)

La Presse, 9 août 1916.
À noter qu'Ernest avait 17 ans et non 19.

(Cliquer sur l'article pour l'agrandir)

Le Devoir, 9 août 1916. 
À noter qu'Ernest avait 17 ans et non 19.

(Cliquer sur l'article pour l'agrandir)

L'Union des Cantons de l'Est, 10 août 1916.

(Cliquer sur l'article pour l'agrandir)

Le Devoir, 19 août 1916.

(Cliquer sur l'article pour l'agrandir)

À la mort d'Ernest Roy, la plupart des articles parus dans les journaux
indiquaient qu'il avait 19 ans. C'est une erreur, comme cela arrivait souvent
dans les journaux de l'époque. Né le 16 septembre 1898, il est mort le 8
août 1916, ce qui lui donne 17 ans. En atteste cet extrait du registre
 des baptêmes de la paroisse Saint-Jean-Baptiste de Québec. 

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Plus de cinq ans après sa mort, en février 1922, un poème
d'Ernest Roy, intitulé Avec le vent, parut dans Le Jardin des
Muses
, toute première revue poétique publiée au Québec.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir) 

Monument funéraire de la famille Roy au cimetière de Saint-Michel-de-Bellechasse.
Y reposent Ernest Roy, ses parents, ses deux sœurs et son frère.

(Photo Daniel Laprès ; 9 mai 2021)

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