Les baraques où étaient confinés les immigrants irlandais malades du typhus, à Pointe-Sainte-Charles, Montréal, 1847. (Source : Musée McCord ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
En 1847, le Québec fut frappé par une épidémie de typhus qui fit plusieurs milliers de victimes, particulièrement chez les immigrants irlandais, dont plusieurs sont morts à la Grosse-Ile où ils étaient mis en quarantaine à leur arrivée au pays. Plusieurs autres milliers périrent de ce fléau à Montréal, où ils étaient confinés dans des baraquements situés à la pointe Saint-Charles. On évalue à 6 000 le nombre d'Irlandais qui furent enterrés dans une vaste fosse commune située aux environs de l'entrée montréalaise du pont Victoria, où se trouve ce monument à leur mémoire :
(Source : Irish Central ; cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Mais les victimes de cette épidémie ne se limitaient pas aux seuls immigrants irlandais. Plusieurs habitants de Québec et de Montréal perdirent également la vie, dont un nombre importants de prêtres, religieux et religieuses qui s'étaient exposés à la contagion en volant au secours des Irlandais malades afin de les réconforter moralement et de les soigner physiquement. L'évêque de Montréal, Mgr Ignace Bourget, fut lui-même atteint mais en réchappa, tandis que son confrère de Toronto, Mgr Michael Power, fut moins chanceux et en mourut.
Mais ce dévouement exemplaire de membres du clergé d'ici est noyé dans la mémoire collective par l'anticatholicisme virulent dont la société québécoise est prise de manière hégémonique et quasi compulsive depuis au moins les débuts des années 1960.
Pourtant, ces prêtres, religieux, religieuses ayant donné leurs vies pour porter secours à ces malheureux, et ce, tandis que ceux qu'on appellerait de nos jours les « professionnels de la santé » du temps refusaient, « même à prix d'argent », d'accomplir leur devoir de fonction, ces prêtres, religieux et religieuses, donc, ils étaient des nôtres, ils étaient de notre nationalité, de nos familles, et rien de ce qu'ils ont accompli et donné, ni de ce qu'ils ont été, ne vaut que l'on rougisse d'eux.
À cet effet, d'ailleurs, ce grand pourfendeur de nos médiocrités et journaliste légendaire qu'était Olivar Asselin (1874-1937) avait dit à son ami Rex Desmarchais : « L'anticléricalisme n'est intéressant sous aucune latitude, et particulièrement sous la nôtre » (dans Rex Desmarchais, Évocations du 2 novembre, revue La Nouvelle Relève, décembre 1941)
Pourtant, Asselin n'était pas une grenouille de bénitier, lui qui ne s'est jamais gêné pour critiquer, parfois même vertement, certains membres du clergé, même des dignitaires de la hiérarchie ecclésiale, lorsqu'il jugeait qu'ils avaient outrepassé leur rôle ou manqué à leur devoir, notamment de charité. Mais il appert qu'Asselin, qui avait du jugement et du bon sens, était aussi capable de faire la part des choses, en plus de n'avoir pas été homme à adopter des réflexes monomaniaques lorsqu'il s'agissait de l'Église ou de toute autre question. D'où sa remarque un brin caustique quant à l'anticléricalisme épileptique qu'il voyait déjà poindre dans la société québécoise de son temps.
À cet effet, d'ailleurs, ce grand pourfendeur de nos médiocrités et journaliste légendaire qu'était Olivar Asselin (1874-1937) avait dit à son ami Rex Desmarchais : « L'anticléricalisme n'est intéressant sous aucune latitude, et particulièrement sous la nôtre » (dans Rex Desmarchais, Évocations du 2 novembre, revue La Nouvelle Relève, décembre 1941)
Pourtant, Asselin n'était pas une grenouille de bénitier, lui qui ne s'est jamais gêné pour critiquer, parfois même vertement, certains membres du clergé, même des dignitaires de la hiérarchie ecclésiale, lorsqu'il jugeait qu'ils avaient outrepassé leur rôle ou manqué à leur devoir, notamment de charité. Mais il appert qu'Asselin, qui avait du jugement et du bon sens, était aussi capable de faire la part des choses, en plus de n'avoir pas été homme à adopter des réflexes monomaniaques lorsqu'il s'agissait de l'Église ou de toute autre question. D'où sa remarque un brin caustique quant à l'anticléricalisme épileptique qu'il voyait déjà poindre dans la société québécoise de son temps.
Quoi qu'il en soit, on lira ci-dessous un récit, dont certains passages se révèlent bouleversants sinon poignants, de la misère et de la détresse vécues à la pointe Saint-Charles par les immigrants irlandais, de même que sur les transports de dévouement que leur ont prodigué nombre de prêtres, religieux et religieuses de chez nous, dont plusieurs y ont laissé leur vie.
Le texte est extrait d'une biographie parue en 1885 de Pierre-Louis Billaudèle (1796-1869), membre de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, qui, à l'époque de l'épidémie de typhus, était supérieur du Séminaire de Montréal, dont l'édifice toujours existant est situé à côté de la basilique Notre-Dame. C'est à ce titre qu'il prit part à l'organisation des secours.
Vous pouvez également prendre connaissance de diverses coupures de journaux d'époque, insérées dans le texte, relatant le sacrifice de prêtres, religieuses et autres s'étant dévouées pour le soulagement des peines et misères des victimes de l'épidémie.
Le texte est extrait d'une biographie parue en 1885 de Pierre-Louis Billaudèle (1796-1869), membre de la Compagnie des prêtres de Saint-Sulpice, qui, à l'époque de l'épidémie de typhus, était supérieur du Séminaire de Montréal, dont l'édifice toujours existant est situé à côté de la basilique Notre-Dame. C'est à ce titre qu'il prit part à l'organisation des secours.
Vous pouvez également prendre connaissance de diverses coupures de journaux d'époque, insérées dans le texte, relatant le sacrifice de prêtres, religieuses et autres s'étant dévouées pour le soulagement des peines et misères des victimes de l'épidémie.
L'année du typhus
Extrait de :
Vie de M. Pierre-Louis Billaudèle
Portrait de Pierre-Louis Billaudèle, p.s.s., tiré de : Album du Séminaire de Montréal, 1903. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Au milieu des travaux et pour tempérer les consolations, vinrent se mêler de cruelles épreuves, qui affectèrent profondément l'âme sensible de M. Billaudèle. En 1847, ce fut le typhus qui lui enleva plusieurs de ses confrères. Sept à huit cents Irlandais, partis d'Angleterre, attaqués du typhus pendant la traversée, arrivés en Canada, avaient été mis en, quarantaine à la Grosse-Isle, en bas de Québec ; mais à peine convalescents on les dirigea sur Montréal. Ils y arrivèrent au commencement de juin et furent entassés pèle-mêle dans deux hôpitaux installés à la hâte, à la pointe Saint-Charles.
C'était
un triste spectacle que la vue de ces hommes, de ces femmes et enfants, pâles,
décharnés, malades et mourants, confondus ensemble, trempés de pluie,
tremblants de froid, exténués de misère et de faim, couchés sur un peu de
paille, et appelant la mort comme le plus prompt remède à leurs maux.
Le Canadien, 9 juillet 1847. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Là,
s'ouvrait un nouveau champ, fertile pour le dévouement, mais fécond en
difficultés pour l'administration de la vaste paroisse de Montréal. Comment
organiser un service régulier pour ce surcroît subit de toute une population
nouvelle en détresse ? Incontinent, par ordre du supérieur, le collège de
Montréal est soudainement fermé, et tous les directeurs et professeurs appelés
à la paroisse pour venir en aide au clergé ordinaire. Une station est établie
dans les sheds à la pointe Saint-Charles,
au milieu même du foyer de la maladie.
Les
premiers de tous les prêtres du Séminaire envoyés là furent le vénérable M.
John Richard, âgé de 60 ans, et M. E. Picard. Depuis de longues années, M.
Richard était chargé en chef de la desserte de la congrégation irlandaise.
Environné qu'il était de la confiance et de la vénération publiques, ce digne
prêtre parut au milieu de ce peuple comme un envoyé de Dieu. Dès son arrivée,
il pénétra de respect pour sa personne tous les agents de la commission
sanitaire, composée en grande partie d'officiers anglais protestants. Bientôt,
sur ses représentations inspirées par la haute prudence qui le caractérisait,
tout le service des malades fut organisé aussi bien que les circonstances
exceptionnelles où l'on se trouvait pouvaient le permettre.
Le Canadien, 9 juillet 1847. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
À cette époque, Mgr Bourget venait d'arriver de son second voyage de Rome. Sa
Grandeur et son vénérable coadjuteur allèrent eux-mêmes en personne sur le
théâtre de la maladie, et l’on sait que Mgr J.-Charles Prince fut atteint de la
contagion d'une manière très grave. Il eut toutefois le bonheur d'en relever.
D'autres prêtres de l'évêché eurent l'honneur de faire le même service, entre autres
M. Rey, prêtre français âgé de 60 ans, qui fut victime de son dévouement.
Mais
bientôt la maladie s'étendant dans la ville, et le service ordinaire devenant
de plus en plus difficile, et enfin les prêtres eux-mêmes ayant été en grand
nombre atteints du fléau, on se vit dans l'obligation de demander ailleurs un
secours devenu nécessaire. C'est alors que M. Billaudèle s'adressa aux Révérends
Pères Jésuites, et cette société envoya immédiatement de New-York six de ses
membres, savoir : les RR. PP. Driscoll, Mignard, Dumerle, Duranquet, Ferrard et
Schienski. Ces religieux, logés au séminaire, se mirent à travailler, de
concert avec les messieurs [Sulpiciens] de la paroisse [Notre-Dame], et vaquèrent avec eux au service de
jour et de nuit sur tous les points de la ville. Ce service ainsi organisé
fonctionna pendant la plus grande partie de l'été que sévit la maladie.
Le Canadien, 9 juillet 1847. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Mais
ce n'était pas impunément qu'on pouvait affronter le fléau alors dans toute sa
force ; nombre de prêtres furent bientôt atteints : au séminaire, MM. Morgan,
Caroff, P. Richard, J. Richard, lesquels devaient tous succomber. D'autres
prêtres [Sulpiciens] du séminaire furent adjoints à M. J. Richard, entre autres MM. A. de
Charbonnel, Pierre Richard, H. Prévost, Connolly, etc. Plusieurs de ces
messieurs furent frappés de la contagion et conduits aux portes du tombeau.
Voyant que les commissaires du gouvernement ne pouvaient se procurer, même à prix
d'argent, aucuns garde-malades, ils suggérèrent l'idée d'appeler à leur secours les sœurs de l’Hôpital Général [fondé et alors dirigé par les sœurs Grises,
ou soeurs de la Charité]
La
demande ayant été faite, M. Billaudèle, en compagnie de M. Connolly, alla
lui-même faire appel à la charité de ces bonnes religieuses, qui toutes
s'offrirent pour affronter le fléau et soigner les malades. Dès le lendemain, 2
juin, huit religieuses, assistées de cinq femmes de service, se rendirent aux
sheds à pied, sous une pluie battante, et à travers des chemins défoncés,
boueux et presque impraticables.
Les
commissaires du gouvernement les accueillirent avec reconnaissance et leur
confièrent l’intendance et l'administration des hôpitaux, leur donnant tout ce
qu'elles demandaient pour l'assistance des malades, et qu'il était en leur
pouvoir d'accorder.
Le Canadien, 18 août 1847 Portraits tirés de : L'Institut de la Providence, vol. 2, Montréal, 1928. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Dès
le premier jour, les sœurs de la Congrégation [de Notre-Dame] leur envoyèrent les
principales provisions dont elles avaient besoin ; cette charité fut imitée par
plusieurs personnes généreuses.
Cependant
le nombre des malades croissait toujours par l'arrivée de nouveaux immigrants. À
la fin de juin on en comptait plus de 1 100 ; les hôpitaux ne suffisaient
plus pour les contenir, et la pluie, la boue, le vent, la difficulté des
chemins, tout contribuait à rendre leur situation plus déplorable.
L'excès
de leurs souffrances les jetait dans un état d'insouciance générale ; couchés
jusqu'à quatre dans le même lit, ils ne se préoccupaient que de leur mal, et la
mort de leurs compagnons les trouvait insensibles ; on en voyait reposer entre
deux cadavres noirs, défigurés, infects, dont la seule vue donnait le frisson,
sans que ce voisinage ne leur inspirât aucune horreur.
Le Canadien, 8 octobre 1847 Portrait tiré de : L'Institut de la Providence, vol. 2, Montréal, 1928. (Cliquer sur l'image pour l'agrandir) |
Ce
qui navrait le cœur, c'était la vue de ce grand nombre d'enfants que la mort
laissait orphelins. Chaque matin on les arrachait d'entre les bras de leurs
mères expirantes, et parmi ces enfants, il y en avait des tout jeunes qu'il
fallait détacher du sein maternel, cherchant la vie là où déjà régnait la mort.
Les cadavres exposés au soleil, sur des planches, en attendant la sépulture,
répandaient au loin l'infection, ou donnaient lieu à des scènes désolantes.
Un
jour, un pauvre Irlandais, débarqué de la veille, arrive à la pointe
Saint-Charles demandant sa femme qui l'avait précédé à Montréal. Personne ne
peut lui en donner des nouvelles ; il parcourt, inquiet et désolé, tous les sheds sans pouvoir la retrouver ; il
arrive enfin au lieu où sont déposés les cadavres des décédés de la nuit ; il
les examine un à un, il s'arrête enfin ; il se jette à terre en poussant des
cris lamentables, il se traîne auprès d'un de ces cadavres qu'il couvre de ses
baisers et de ses larmes. Il venait de retrouver celle qui avait été la compagne
et la consolation de sa vie ; son désespoir n'avait plus de bornes, il fallut
l'arracher de cette scène de douleurs.
L'Aurore des Canadas, 27 août 1847. |
Ces
scènes se renouvelaient chaque jour, lorsqu'il fallait procéder à la sépulture
des morts ; pères, mères, époux, épouses et enfants entouraient ces restes qui
leur étaient si chers, s'opposant à leur départ et poussant des cris de désespoir
qui arrachaient des larmes et fendaient l'âme. Les prêtres, les religieuses se
mêlaient à ces scènes de désolation pour en tempérer l'amertume par quelques
paroles de paix et de résignation.
Alors Montréal vit se renouveler les
merveilles de charité qui ont fait la gloire de l’Église catholique dans tous
les siècles et dans tous les lieux où elle a joui de la liberté d'exercer son
zèle. Tandis que les hommes qui se disent les ministres de l’Évangile du Christ
fuyaient devant le fléau et se tenaient prudemment éloignés du foyer de la
contagion, se conservant pour leurs femmes et leurs enfants, le clergé
catholique, dont les malheureux sont la famille, donna aux immigrants son
temps, ses peines, ses nuits, son ministère, et sa vie, leur rendant les
services les plus vils et les plus rebutants. On vit alors l'évêque, à la tête
de ses prêtres, remuer la paille infecte du lit des malades, laver leur linge,
aller puiser à la rivière l'eau dont ils étaient altérés, par les nuits les
plus sombres, sans être un instant arrêté par la pensée des mille dangers auxquels
il s'exposait, et dont beaucoup ont été les héroïques victimes.
Les
religieuses de l'Hôpital Général ne pouvant plus suffire, il fallut appeler à
leur secours les sœurs de la Providence, et cette assistance ne suffisant pas
encore, il fallut ouvrir le cloître et appeler les religieuses de l'Hôtel-Dieu
sur ce théâtre de misère et de mort.
L'Aurore des Canadas, 27 août 1847. |
Au
commencement de juillet, vingt-trois sœurs de Charité étaient atteintes du
fléau. [Les sœurs] de la Congrégation [de Notre-Dame] leur [offrirent] la
résidence de l'île Saint-Paul comme plus salubre que leur maison de Montréal, mais
elles ne crurent pas devoir accepter. La ferme Gregory, qui était plus proche,
fut mise plus tard par le séminaire à la disposition des convalescentes.
Quinze
sœurs [reçurent les derniers sacrements] dans un seul jour, le jour même de la
fête de leur supérieure. La sœur Limoges mourut la première, et en moins de
deux mois sept autres la suivirent. La sœur Limoges n'avait que vingt ans ;
pleine d'obéissance, d'une humeur toujours égale, elle était l'ange des
pauvres, dont elle aimait à soulager la misère.
La
sœur Primeau était encore novice ; elle s'était distinguée par sa régularité, son
humilité. On l'avait toujours trouvée prête à rendre aux malades les services
les plus humiliants ; elle mourut le sourire sur les lèvres.
Une
autre, novice depuis seulement trois mois, la sœur Collins, remarquable par sa
modestie, son esprit de recueillement, la promptitude de son obéissance, et
pour qui un désir de la supérieure devenait un ordre, s'était portée avec
ferveur au secours des immigrants ; elle les pansait, elle les peignait, elle
les exhortait à la patience ; elle puisa la mort dans son ministère, et ses
derniers exemples furent ceux d'une admirable résignation au milieu des plus
cruelles souffrances.
La
sœur Marie comptait vingt-deux ans de profession. C'était compassion de la voir
toujours trempée de pluie ou de sueur, cherchant la nourriture de ses malades,
ou assise à leur chevet, soignant sans répugnance leurs ulcères et leurs
plaies.
Encore
une enfant de six mois de postulat, un modèle de régularité, la sœur Bruyère,
que le désir de la perfection portait aux plus généreux sacrifices. On lisait
sur son visage la simplicité et la candeur de son âme. Dieu se contenta de ses
premiers sacrifices et l'appela à une vie meilleure.
Le Canadien, 29 novembre 1847. |
À
la fin de juin mourut la sœur Sainte-Croix, professe depuis dix ans, et depuis
sept ans secrétaire de la communauté. C'était la règle vivante, et son
recueillement inaltérable prêchait à toutes ses sœurs la continuelle présence
de Dieu. Malgré une constitution faible et délicate, elle demanda à voler au
secours des malades. Pendant un long mois elle fut une mère pour eux ; elle ne
parlait que de ses chers malades, elle ne s’occupait que d'eux, elle embrassait
ces pauvres femmes couvertes de haillons, de vermine et de boue ; elle fut
frappée au milieu des pestiférés, et dans le plus fort de ses souffrances, elle
ne les oublia pas. On l'entendait s'écrier : « Oh! qu'ils sont malheureux !...
qu'ils sont misérables!......que je les plains ! » La supérieure lui ayant
témoigné le désir, au nom de la vertu d'obéissance, de la voir demander sa
guérison à saint Joseph, malgré son extrême répugnance, elle fit cette simple
prière : « Saint Joseph, rendez-moi la santé ». Mais le fruit était mûr pour le
ciel.
Une
vénérable religieuse de quarante-six ans de profession fut la dernière victime
du fléau ; elle était d'une admirable douceur, elle avait une prédilection pour
la plus infirme de la maison. Son grand âge ne lui permettant pas d'aller aux sheds, elle prit la place de sœur Marie
à la salle des vieillards ; elle y soigna quelques malades du typhus. Ce fléau
ne lui fit pas grâce et l'emporta dans peu de jours ; le martyre de la charité
couronna une longue vie de vertus.
Cette
maison religieuse offrit pendant trois mois un spectacle bien désolant ; tous
les exercices réguliers furent suspendus. Le service même des pauvres fut
interrompu ; tous les appartements étaient convertis en infirmeries. Pour les
religieuses, les unes étaient occupées auprès des malades de la pointe
Saint-Charles ; les autres clouées sur leur lit par de cruelles souffrances, se
voyaient abandonnées du dehors, tant on craignait en pénétrant dans leur maison
d'y trouver la contagion. Dans
cette triste situation, M. Billaudèle s'efforça de leur faire oublier et leur
abandon et leurs pertes. [...]
[D’autres
prêtres moururent de leur zèle à soulager les victimes du fléau]. M. Patrick
Morgan avait succombé le 8 juillet ; c'était un homme de zèle et de charité. Le
13, c'était le tour de M. Rémi Carof ; homme d'une douceur, d'une simplicité
charmantes. Un jour qu'il était à l'Hôpital Général, faisant à la communauté la
visite de bonne année, la supérieure et ses sœurs se mirent à genoux pour lui demander
sa bénédiction ; mais l'homme de Dieu, se jugeant indigne de cet honneur, tomba
lui-même à genoux : « C'est à vous de me bénir », dit-il à la supérieure ;
un pieux débat s'éleva où l'humilité du saint homme ne put être vaincue. « On
se releva en riant, racontent les mémoires, et personne n'eut de bénédiction ».
Le
15, M. Pierre Richard les suivait ; il avait passé ses jours et ses nuits au
milieu des pestiférés. Plus d'une fois il avait failli se noyer au milieu des
ténèbres, en charriant l'eau qui leur était nécessaire ; il reposait au milieu
d'eux sans pouvoir se défendre de la vermine dont ils étaient couverts ; et
lorsqu'on l'en avertissait, il la secouait en souriant : « Ce sont, disait-il,
autant de perles pour le ciel ». Un
jour, accablé de fatigue, il rencontre une religieuse non moins harassée que
lui : « Ma sœur, lui dit-il, croyez-vous que nous n'avons pas bien gagné quelques
planches pour notre cercueil ? »
Le Journal de Québec, 19 août 1847. |
Huit
jours après succombait M. John Richard. Il avait été, comme nous l'avons déjà,
dit, un des premiers à voler au secours des immigrants. En les voyant couchés
sur des planches nues, il fit demander de la paille aux commissaires. « Envoyez
plutôt une charge d'or à ce saint prêtre », répondit un des employés. « Peu
importe, répondit un autre, M. Richard amasse des trésors pour un lieu où l'or
et la paille sont la même chose ». Il avait réuni tous les orphelins du typhus
et fait construire un shed à part pour
les recevoir ; il y fit porter des couchettes, travailla lui-même à remplir
leurs paillasses, et quand ils furent installés, c'est au milieu de ces enfants
qu'il se plaisait à réciter son bréviaire. [...]
Pour
qui a connu M. Billaudèle, il est aisé de concevoir quelle peine il éprouva en
voyant succomber les plus zélés de ses confrères, tandis que d'autres atteints
du même fléau disputaient à la mort un reste de vie prête à s'éteindre. Alors
il se dévoua lui-même, malgré le peu de connaissance qu'il avait de l'anglais,
il se rendit auprès des pestiférés, mais atteint de la contagion, il fut forcé
d'aller demander, au fort de la montagne, un air plus pur et un peu de repos.
Tiré de : Vie de M. Pierre-Louis Billaudèle, grand-vicaire et dixième supérieur
du Séminaire de Montréal, Montréal, Librairie Saint-Joseph, 1885, p. 69-79.
tres touchant recit Merci
RépondreSupprimerLeur esprit de sacrifice et de charité (c'est la même chose) venait de leur messe quotidienne, de ce qu'on appelle, Le Saint Sacrifice de la Messe, la messe tridentine.
RépondreSupprimerEn passant, quelques vingt ans plus tard, sur l'île de Molokai, à Hawaï, le père Damien fut le premier à aller s'occuper de la colonie des lépreux. Il le fit pendant 20 ans. Il y eut un débat dans les journaux d'Angleterre à son sujet, certains niant la réalité de ce que le P. Damien faisait, d'autres le louant. Un ministre anglican prit sa défence publiquement en écrivant: "Seul un prêtre catholique a eu le courage de faire ce qu'il a fait, à cause de la messe qu'il célèbre. Aucun de nous (anglicans) avons eu ce courage."