L'École normale Laval de Québec, où Joseph Létourneau (1828-1906) fut instituteur. L'édifice fut démoli en 1892 pour laisser place à une aile du Château Frontenac. (Photos / École normale Laval : BANQ ; Joseph Létourneau : L'enseignement primaire, décembre 1899 ; cliquer sur l'image pour l'élargir) |
Sur cette photo, on aperçoit, indiqué d'un « X » rouge, l'édifice qui a longtemps abrité l'École normale Laval, dont Joseph Létourneau fut un instituteur. L'édifice fut démoli en 1892 pour faire place à l'une des ailes de l'actuel Château Frontenac. On aperçoit en face la place d'Armes. (Source : Wikipédia) |
M. le professeur Joseph Létourneau
Le 23 octobre dernier, M. J. Letourneau
disait adieu à l’École normale Laval, où il a passé vingt-huit laborieuses
années de sa noble carrière. Le vénéré doyen des instituteurs de la province se
retire de l’enseignement après cinquante-trois ans de service actif ; c’est
dire que M. Létourneau a bien mérité le congé que les autorités lui ont gracieusement
accordé.
Joseph Létourneau naquit à
Sainte-Famille-de-l’île-d’Orléans le 6 octobre 1828, de Jacques Létourneau,
cultivateur, et de Marguerite Létourneau. Il étudia à l’école primaire de sa paroisse
puis, durant trois années, au presbytère de Saint-Urbain, sous la direction de
feu l’abbé Jean-Baptiste Chartré qui lui fit surtout piocher le latin.
L'abbé Jean-Baptiste Chartré, avec qui Joseph Létourneau fit une partie de ses études primaires et apprit le latin. Né à Jeune-Lorette le 10 juin 1814, de Jacques Chartré et de Josephte Falardeau, il fit ses études à Québec, où il fut ordonné prêtre le 11 août 1839. D’abord desservant de Sainte-Famille-de-l’île-d’Orléans (1841-1884), il devint tour à tour curé de Saint-Urbain de Charlevoix (1841-1844) ; Sainte- Ursule de Maskinongé (1844-1849) ; Saint-Pierre-les-Becquets (1849- 1855) ; Saint-David-d’Yamaska de 1856 à sa mort le 27 août 1875. (Sources : Abbé J.-B.-A. Allaire, Dictionnaire biographique du clergé canadien-français : les Anciens, Montréal, Imprimerie de l'École des Sourds-Muets, 1910, p. 116 / Photo: Archives du Séminaire de Québec) |
Le 22 février 1847, il débuta dans
l’enseignement à Charlesbourg d’où il passa bientôt à Sainte-Famille, son
village natal.
Au mois de septembre 1857, il entra
comme élève à l’École normale Laval, d’où il sortit, un an plus tard, avec un
diplôme de première classe qu’il avait brillamment conquis. Il alla alors se
fixer à Saint-Jean-Deschaillons, qu’il quitta ensuite à la requête des citoyens
de Sainte-Foy, qui le voulaient chez eux.
Enfin, le 10 novembre 1871, il était
nommé professeur à l’école Normale, à Québec, où il a dirigé, jusqu’à sa
retraite, des cours de français, d’histoire et de littérature.
Le 29 mai 1897, l’Association des
instituteurs catholiques de la circonscription de l’École normale Laval
célébrait avec éclat sa cinquantième année d’enseignement.
À cette occasion, un des biographes de
M. Létourneau disait : « Unissant à une grande douceur une égale fermeté, il a toujours
su s’attirer l’estime et l'affection de ceux qui ont l’avantage de le connaître
; son excessive modestie va jusqu’à le rendre timide, parfois, mais n’amoindrit
pas ses mérites. Il y a quelques semaines, lors de la célébration de ses noces
d’or, il résumait ainsi simplement sa vie : Qu’ai-je
fait pendant ces cinquante années écoulées ? Ce que j’ai fait ? J’ai cru ; j’ai
espéré ; j’ai aimé ! »
« Heureux mille fois, ceux qui, au soir
de la vie, se tournant vers le passé, peuvent se rendre ce témoignage ! Avec
ces trois grandes vertus au cœur, un homme n’est pas inutile et peut-il y avoir
dans le monde plus noble ambition pour la jeunesse que celle d’être utile, et
plus douce consolation pour la vieillesse que celle de l’avoir été ? »
Ces remarques sont encore parfaitement vraies.
Et M. Létourneau pourrait aujourd’hui y ajouter : « J’ai été aimé et je suis
aimé ».
Oui, M. Létourneau était aimé de ses
élèves, de ses collègues et de ses confrères. Il en a eu la preuve le 23
octobre dernier, lors de la touchante fête du départ que M. le Principal de l’École
normale Laval a organisée en l’honneur du digne démissionnaire.
Joseph Létourneau (Source : BANQ) |
Le soir de ce jour, à 6 heures, il y eut souper de gala chez M. le Principal. Après le souper, les élèves-maîtres, réunis dans la salle de récréation, présentèrent la jolie adresse qui suit à leur vieux professeur. C’est M. Joseph Tremblay, le doyen des élèves, qui communiqua les sentiments délicats de la communauté au héros de la fête :
« À notre très cher et très vénéré professeur Monsieur Létourneau, bien cher professeur,
On lit, dans l’histoire des Grecs, que
le philosophe Anaxagore, blessé dans son cœur de la conduite plus
qu’inattentive de Périclès, son jeune élève, résolut, pour le punir,
d’abandonner le jeune Athénien à ses seules ressources.
À cette nouvelle, Périclès, qui, malgré
ses étourderies d’écolier, aimait tendrement son maître, fondit en larmes. En
un instant, tout le bien que son précepteur lui avait fait passa devant ses
yeux, tandis que l’ingratitude de sa conduite l’accable de remords.
Le jeune disciple reconnut ses torts,
obtint son pardon, et grâce aux sages leçons d’Anaxagore, devint le grand
général que l’on sait.
Nous n’ignorons pas, très cher professeur,
que d’autres motifs que ceux d’Anaxagore vous ont déterminé à nous quitter ;
cependant, comme Périclès, ce départ nous a fait réfléchir...
Nous avons jeté un coup d’œil sur le
passé, et ce regard rétrospectif nous a rendus tout confus. Avec une émotion
qu’il nous serait difficile de rendre, nous avons vu défiler sous nos yeux vos
innombrables bienfaits ; nous nous sommes rappelé votre dévouement sans bornes,
votre patience angélique, votre bonté proverbiale, tandis que d’autre part nous
apparaissaient toutes les espiègleries avec lesquelles nous avons quelquefois
payé le zèle et l’ardeur du bon M. Létourneau.
Vous avez été pour nous plus qu’un
professeur, vous nous avez montré l’affection et l’attachement d’un père. Vous
saviez mêler à vos leçons de sages conseils et nous inculquer les meilleurs principes.
Que de fois… et ce souvenir est bien doux à notre âme… que de fois il vous est
arrivé d’interrompre le récit des aventures d’un héros de l’Histoire, pour nous
montrer dans la suite des événements le doigt de Dieu qui, tôt ou tard, sait
punir les méchants ou récompenser la vertu. Que de fois, emporté par le désir
de nous faire du bien, n’écoutant que votre grand cœur, vous avez laissé là
l’histoire et ses hauts faits pour nous signaler les écueils que nous aurions à
éviter plus tard sur la mer du monde, nous montrant ainsi que vous n’attachiez
pas moins d’importance à former notre cœur qu’à enrichir notre intelligence.
Nous avons revu tout cela et, jusqu’à ces promenades printanières sur l’autre
rive où vous nous apparaissiez tous les ans le sourire aux lèvres et les mains
chargées, débordantes de douceurs, tout nous criait votre insigne bonté et
notre irréflexion.
Vous allez partir…après avoir pendant
plus d’un demi-siècle versé à pleines mains dans de jeunes intelligences la
semence qui fait des hommes utiles à leur pays et d’honnêtes citoyens ; doutant
de vos forces, vous songez à prendre un repos certes, bien mérité.
Ah ! Laissez-moi vous dire du moins
combien ce départ nous afflige ; combien nous aurions voulu vous garder encore
longtemps au milieu de nous pour nous faire pardonner, à l’instar de Périclès,
les petites étourderies de nos dix-huit ans.
Mais puisque cette espérance ne peut se
réaliser, comptez du moins, et c’est là la seule manière qu’il nous reste de
vous prouver notre affection et nos regrets, comptez sur notre sincère et
éternelle reconnaissance. Le temps effacera peut-être de notre mémoire les
dates, les batailles et les autres faits de l’Histoire que vous nous avez enseignés,
mais il ne pourra faire disparaître de notre cœur votre nom qui y est à jamais
gravé en lettres d’or.
Les élèves-maîtres de l’École normale Laval, 23 octobre 1899 »
Cette adresse était accompagnée d’un
magnifique bouquet.
M. Létourneau répondit avec émotion aux
bonnes paroles de ses élèves, du Principal et de ses collègues.
Lorsque M. Létourneau quitta la salle au
bras de M. le Principal, accompagné de tous les professeurs, les élèves-maîtres
entonnèrent un chant à la Sainte Vierge : Nous
vous invoquons tous. Le cœur du vénérable congréganiste fut profondément
touché, et l’auditoire était visiblement ému : preuve évidente de la place
importante que M. Létourneau occupait dans le cœur de ceux qui avaient le
bonheur de vivre avec lui.
Feu M. Joseph Létourneau
Revue L'Enseignement primaire, décembre 1899
Le
vénérable, le bon M. Létourneau n’est plus ! Il s’est éteint doucement dans sa
paisible retraite de Saint-Flavien, à l’âge avancé de 78 ans. Sa mort fut
l’écho de sa vie : il a rendu son âme à Dieu après avoir reçu toutes les consolations
de l’Église.
M. Létourneau fournit une longue et utile carrière : cinquante-trois ans durant, il se consacra à l’éducation de la jeunesse.
[…] La bonté faisait le fond de son caractère. Aussi une discipline toute paternelle régnait-elle dans ses classes. Le 29 mai 1897, l’Association des Instituteurs de la circonscription de l’Ecole normale Laval célébrait avec éclat sa cinquantième année de professorat. À cette occasion, on a su dire avec raison « qu’unissant une grande douceur à une égale fermeté, M. Létourneau sut toujours s’attirer l’estime et l’affection de ceux qui ont eu l’avantage de le connaître ; son excessive modestie allait jusqu’à le rendre timide parfois, mais n’amoindrissait pas ses mérites, néanmoins ».
M.
Létourneau aurait pu ajouter : « J’ai été aimé et je suis aimé ». Oui, ce bon
professeur, cet excellent chrétien, il était aimé de ses élèves, de ses
confrères et de ses collègues. Il en eut la preuve le 23 octobre 1899, lors de
la touchante fête du départ que M. le Principal de l’École normale Laval. M.
l’abbé Rouleau, avait organisée en l’honneur du digne démissionnaire. Le
souvenir de cette fête de famille est encore tout vivant dans notre mémoire, il
nous semble encore la plus douce récompense que puisse recevoir un éducateur de
la jeunesse.
M.
Létourneau fut non seulement un professeur consciencieux, mais il s’adonna
aussi à la littérature. Il collabora à La
Semaine, revue pédagogique fondée vers 1857 par MM. C. J. L. Lafrance et N.
Thibault. [La revue] L’Enseignement
primaire bénéficia aussi de son talent d’écrivain de 1880 à 1890.
Le
vénérable professeur fut l’un des fondateurs de la première Association des
Instituteurs catholiques de Québec. Contemporain des Juneau, des Marquette, des
Lafrance, des Dugal, des Légaré, des Toussaint, des Lacasse et des Cloutier, il
contribua dans une large mesure au progrès pédagogique réalisé dans le domaine
de notre enseignement primaire.
Au
point de vue religieux et civique, feu M. Létourneau fut durant sa longue existence
un modèle parfait. Animé d’une foi forte et éclairée, sincèrement attaché à l’Église
catholique, M. Létourneau resta toujours un paroissien accompli. Congréganiste
de la Très Sainte Vierge, membre du Tiers-Ordre de Saint-François et de la
Société de Saint-Vincent-de-Paul, toutes les pieuses associations recommandées
par l’Église l’attiraient naturellement. Aussi, sa vie entière fut-elle une
longue suite d’exercices de piété où la routine n’avait aucune place. Comme
citoyen, il donna toujours l’exemple du dévouement, du zèle et de l’abnégation.
Les restes de M. Létourneau reposent dans le cimetière de Sainte-Foy, paroisse qui profita pendant onze ans de son dévouement inaltérable. Son souvenir vivra longtemps dans le cœur de ses confrères et de ses anciens élèves.
Charles-Joseph Magnan (1865-1942) Auteur des deux articles ci-haut en hommage à Joseph Létourneau. |
Le Soleil (Québec), 8 septembre 1906. (Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'élargir) |
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