Paul-Émile Lamarche (1881-1918) |
Au moment de la publication de la présente Glanure, cela aura fait 100 ans jour pour jour que, le 27 septembre 1917, l'homme politique et admirable patriote québécois que fut Paul-Émile Lamarche prononçait une conférence d'importance majeure dans la salle des conférences de la Bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis, à Montréal.
Une Glanure a déjà été consacrée à Lamarche (voir ICI), que nous tenons pour avoir été « le politicien le plus estimable de l'histoire du Québec ». Ce n'est là pas peu dire, certes, mais les Québécois d'alors, à l'instar de ceux qui l'ont côtoyé dans l'action, n'en pensaient certainement pas moins, comme le prouve le fait qu'en 1938, une foule évaluée à près de 8 000 personnes a pris part aux cérémonies commémorant le vingtième anniversaire de son décès prématuré, à l'âge de 36 ans (il a été victime de l'épidémie de grippe espagnole, en 1918).
Pourtant, Paul-Émile Lamarche n'a été ni premier ministre, ni ministre, ni chef de parti, ni même journaliste, mais seulement député nationaliste (de Nicolet, au fédéral) pour un mandat unique de cinq ans auquel cet homme d'une intégrité exemplaire a mis fin par fidélité à un engagement qu'il avait pris. Pensons-y un peu : pour quel politicien, de nos jours, verrait-on une foule aussi nombreuse participer aux cérémonies soulignant le vingtième anniversaire de son décès? Même pour un René Lévesque, malgré l'adulation parfois exhubérante dont on l'a accablé, une telle commémoration est passée inaperçue. C'est dire combien Paul-Émile Lamarche aura touché et marqué, sûrement pour le meilleur, ses contemporains.
La conférence que prononça Lamarche il y a 100 ans en ce jour avait pour thème : « Le parti politique : son origine, son évolution, son rôle ». Il y expose d'abord l'histoire de cette forme particulière d'organisation qu'est le parti politique, de son berceau que fut l'Angleterre jusqu'à son avènement ici au Québec et au Canada. Puis, sans nier l'utilité que peuvent avoir les partis politiques, il dresse une liste des méfaits qu'ils ont apporté à la société, dans la mesure où ils se sont imposés en fétichisme partisan qui s'est souvent opposé à l'intérêt national.
Lamarche conclut son analyse par un vibrant appel à regénérer l'opinion publique, seul moyen selon lui d'assurer l'intérêt national et le mieux-être collectif.
Pour souligner le centenaire de cette conférence de Paul-Émile Lamarche, ces Glanures vous en offrent ci-dessous le texte quasi-intégral.
Il s'agit, nous le croyons, d'une lecture utile à plus d'un égard. D'abord, parce qu'elle permet aux non-initiés de s'éduquer sur l'origine et l'évolution du système politique qui, encore aujourd'hui, régit notre société. À une époque où l'analphabétisme politique est une plaie qui est en train de tuer la nation québécoise à petit feu en la rendant vulnérable et impuissante face à ceux qui cherchent à l'asservir, sinon à la faire disparaître, le propos de Paul-Émile Lamarche s'avère donc d'une utilité particulièrement criante et qui n'a rien perdu de son urgence.
Il s'agit, nous le croyons, d'une lecture utile à plus d'un égard. D'abord, parce qu'elle permet aux non-initiés de s'éduquer sur l'origine et l'évolution du système politique qui, encore aujourd'hui, régit notre société. À une époque où l'analphabétisme politique est une plaie qui est en train de tuer la nation québécoise à petit feu en la rendant vulnérable et impuissante face à ceux qui cherchent à l'asservir, sinon à la faire disparaître, le propos de Paul-Émile Lamarche s'avère donc d'une utilité particulièrement criante et qui n'a rien perdu de son urgence.
Le texte de Lamarche, en plus de procurer des bases théoriques nécessaires à l'analyse, permet aussi de comprendre la classe politique tel qu'elle sévit encore chez nous. Si l'on reste dans l'ignorance de ces éléments, on se condamne bêtement à ramer dans le vide, et ce, peu importe les cimagrées (manifestations, pétitions en ligne, etc.) que l'on pourrait faire pour se donner l'illusion d'exercer des pressions politiques sur ceux qui contrôlent les pouvoirs publics. Parce que si on veut agir, influer et peser sur le système politique, encore faut-il le connaître.
Enfin, on constate que les conclusions de Paul-Émile Lamarche n'ont rien perdu de leur actualité. Certaines, serait-on même tenté d'affirmer, nous paraissent encore plus actuelles qu'il y a 100 ans. Lamarche nous indique des pistes qui, si elles étaient davantage comprises, explorées et assumées, pourraient nous aider à surmonter l'impuissance politique que les Québécois ressentent de nos jours face à ceux qui, à l'instar d'un saccageur de nation comme Philippe Couillard, détournent notre propre État contre nous-mêmes et nos droits.
Ne nous privons pas de l'éclairage que nous offre ce guide de grande valeur qu'est Paul-Émile Lamarche, cet infatigable défenseur de nos droits nationaux qui nous parle à travers le temps et que nous vous invitons, maintenant et ici-bas, à écouter à votre tour :
Édifice de la Bibliothèque Saint-Sulpice, rue
Saint-Denis, Montréal, où Paul-Émile a prononcé sa conférence majeure du 27 septembre 1917. Photo : Jean Gagnon. |
Le parti politique : son origine,
son évolution, son rôle
Conférence de Paul-Émile Lamarche
Montréal, 27 septembre 1917
DU GOUVERNEMENT DE
LA SOCIÉTÉ
L'animal le plus difficile à conduire c'est l’animal raisonnable, l'homme; et il l’est davantage quand il fait partie d'une collectivité.
[...] Pourtant, l'homme est fait pour vivre en société. La philosophie nous l'a enseigné et l'histoire du monde, d'ailleurs, nous a démontré, d'une façon indiscutable, l'existence de ce principe de droit naturel. Mais qui dit société ne dit pas nécessairement accord. C'est le privilège des êtres raisonnables de penser, de raisonner, de juger de façons différentes. C'est ce qui explique pourquoi les peuples n'ont jamais pu résoudre, à la satisfaction de tout le monde, le grand problème de se gouverner.
Cette constatation ne devrait pas nous
étonner. L'homme entre et vit dans la société avec ses imperfections, ses
défauts, ses préjugés et ses passions. Le principe de l'égalité abstraite de
tous les hommes se heurte constamment aux inégalités réelles des individus. Les
degrés de supériorité physique, intellectuelle ou morale, la force, les
ambitions, les richesses, les besoins, les souffrances et toutes les misères
que traîne après elle l'humanité, sont autant d'obstacles qui rendent
impossible l'unité d'opinion et de sentiment.
Égoïste par tempérament, l'homme prend
volontiers tous les avantages qui découlent de son association avec ses
semblables, mais ce n'est qu'avec une certaine répugnance que sa nature accepte
les nombreux sacrifices qu'impose à l'individu le bien commun de la société.
De là le conflit entre l'individualisme et
l'intérêt social.
C'est à travers tous ces obstacles que, depuis des siècles, les peuples poursuivent leur course à la recherche de la
civilisation parfaite, du bien-être, de la liberté.
Leurs formes de gouvernement se succèdent
et se modifient avec les époques et suivant les besoins du moment ; elles
évoluent de l'absolutisme à la fantaisie, du despotisme au caprice de la foule,
de la monarchie primitive aux formes les plus complexes des démocraties
modernes.
Rien n'indique cependant que le monde soit
plus satisfait. Le peuple maudira toujours son gouvernement surtout si c'est un
gouvernement qu'il s'est donné lui-même. Si le bon La Fontaine vivait encore de
nos jours, il n'aurait rien à changer à sa fable des grenouilles qui demandent un roi.
DE LA DÉMOCRATIE
La forme de gouvernement la plus moderne,
ou du moins celle qui tend à se généraliser davantage, c'est la démocratie.
A-t-on besoin de la définir ? Il faudrait avoir une bien pauvre mémoire pour ne
pas nous rappeler la formule consacrée et si souvent redite : « Le gouvernement
du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Pour ceux qui préfèrent la
réalité brutale aux formules sonores, nous pourrions peut-être dire, tout
simplement, que la démocratie comprend toutes les formes de gouvernement sous
lesquelles le peuple s'est réservé pour lui-même le privilège de se tyranniser.
Sont des États démocratiques les républiques proprement dites et les
monarchies constitutionnelles, comme la Grande-Bretagne, où le roi règne mais
où le peuple est censé gouverner.
Si la démocratie a affranchi les peuples du
despotisme des monarques, d'un autre côté, elle a singulièrement compliqué le
fonctionnement de l'organisme de l'État. Le gouvernement par le grand nombre
présente, en effet, des difficultés qui sont inconnues sous un régime purement
monarchique ou même oligarchique. Dans l'État démocratique, c'est le vœu de la
majorité qui gouverne, mais encore faut-il le connaître, et pour y arriver il
faut nécessairement recourir à la consultation populaire.
Le mode le plus simple de consulter le
peuple, c'est assurément celui qui se pratiquait dans les anciennes républiques
de la Grèce et de Rome. On convoquait le peuple sur la place publique et on lui
faisait trancher directement les questions d'intérêt général. Mais les petites
républiques qui s'accommodaient du système de consultation directe ont fait
place à de grands États avec des populations denses et nombreuses, avec des
étendues de territoires considérables, avec des problèmes multiples et
compliqués. Il a donc fallu adopter un autre mode de consultation populaire en
harmonie avec ces nouvelles exigences. Voilà pourquoi la démocratie moderne a
développé le système du gouvernement représentatif et électif.
Sous un régime parlementaire normalement
constitué, l'opinion publique est une grande force ; c'est la force motrice de
tout l'organisme social, mais c'est une force éparse, disséminée dans la masse
et qui, laissée à elle-même, sans guide, serait souvent inefficace et
infructueuse. C'est la cataracte majestueuse qui produit sans cesse des
énergies, mais qui, à chaque instant, perdra toute sa puissance si on n'a pas
eu soin de l'emmagasiner au passage pour la diriger sur des œuvres vives. Dans
le but de coordonner les forces de l'opinion publique, de les assortir, de les
canaliser pour en obtenir un plus grand rendement, on a imaginé ces
organisations puissantes qu'on appelle les partis politiques.
Le parti politique a joué et jouera encore
dans notre pays un rôle très important. Pour quiconque veut s'intéresser à la
chose publique, il est nécessaire d'en bien connaître le caractère et la raison
d'être. Pour cela, il faut étudier son origine, suivre ses évolutions et
examiner le rôle qu'il a tenu dans l'histoire.
Embrasser un parti politique, sans prendre
au préalable ces précautions utiles, c'est comme embrasser une femme sans la
connaître. Cela expose aux pires ennuis et souvent à d'amers regrets.
Salle des conférences de la Bibliothèque Saint-Sulpice, où Paul-Émile Lamarche prononça sa conférence du 27 septembre 1917. Photo : Gabor Szilasi, 1966. Source : Héritage Montréal. |
LE PARTI POLITIQUE
Tout d'abord, qu'est-ce que c'est qu'un
parti politique? Une des meilleures définitions que je connaisse est celle
qu'en a donnée Edmund Burke :
« Un parti politique est un groupe d'hommes
réunis ensemble, dans le but de promouvoir, par un effort commun, les intérêts
de la nation, selon certains principes définis, sur lesquels tous sont d'accord
».
Cette définition a l'air très simple, mais
si nous l'analysons, nous trouvons qu'elle contient bien des éléments assez
difficiles à réunir.
Ainsi nous voyons que pour constituer un
parti, il faut des hommes et il faut que ces hommes soient susceptibles de
faire quelque effort. Il faut ensuite des principes et il faut que ces
principes soient bien définis. Puis il faut que tous s'accordent sur ces
principes. Enfin, il faut que l'effort de tous et de chacun n'ait d'autre objet
que l'intérêt de la nation.
Cette définition va peut-être vous paraître
un peu idéaliste. Il est vrai qu'elle nous représente le parti politique tel
qu'il devrait être plutôt que la vivante réalité. C'est une raison de plus pour
la conserver et souvent la relire.
Un groupe qui s'intitule un parti politique, quels que soient ses antécédents, quelle que soit son histoire, s'il ne rencontre pas les conditions essentielles que nous venons d'énumérer, n'est pas autre chose qu'une simple faction.
Un groupe qui s'intitule un parti politique, quels que soient ses antécédents, quelle que soit son histoire, s'il ne rencontre pas les conditions essentielles que nous venons d'énumérer, n'est pas autre chose qu'une simple faction.
Il y a plusieurs sortes de partis, suivant
le caractère de la cause qu'ils veulent faire triompher ou des principes qu'ils
préconisent. Les problèmes qu'ils envisagent peuvent être d'ordre intérieur ou
d'ordre extérieur et se rattacher aux questions les plus variées.
Un parti politique peut exister dans le but
de préconiser une forme particulière de gouvernement pour l'État ; exemple : le
parti royaliste en France.
Un parti peut avoir pour objet la solution
du problème social ; et il arrive dans ce cas que quelquefois ses ramifications
s'étendent au delà des frontières pour aller se fondre avec un parti semblable
dans l'État voisin ; exemple : les nombreux partis socialistes et les groupes
ouvriers.
Un parti peut se proposer comme fin la
revendication des droits d'une race ou d'une nationalité particulière dans un
État cosmopolite; exemple : le parti nationaliste irlandais.
Un parti peut être formé pour sauvegarder
les droits et les intérêts d'un culte, d'une religion; exemple : le centre
catholique allemand.
Un parti peut avoir pour objet de résoudre
d'une façon particulière les problèmes économiques se rattachant à la politique
fiscale; exemple : les protectionnistes, les libre-échangistes.
Nous pourrions ainsi allonger indéfiniment
l’énumération, tellement sont variées et nombreuses les questions qui peuvent
demander le verdict de l'opinion publique; mais ce sont là les principales
catégories de partis politiques ayant des objets spéciaux et définis.
Il existe aussi des partis politiques qui
n'ont pas d'objet spécial, si ce n'est d'offrir au peuple un meilleur
gouvernement. Leurs programmes embrassent l'ensemble de tous les problèmes
passés, présents et à venir. Ils offrent des remèdes pour tous les maux, mais
en termes généralement vagues et ambigus. Les uns se désignent comme les
gardiens jaloux de tout ce qu'il y a de bon, les autres, comme les réformateurs
de tous les abus et les défenseurs de tous les opprimés. On peut les classer
tous dans une même famille : celle des opportunistes.
Le parti politique est un produit anglais,
et on peut dire qu'il a été un produit d'exportation, car il existe aujourd'hui
des partis politiques dans tous les pays totalement ou partiellement gouvernés
par le peuple, c'est-à-dire dans presque tous les pays du monde.
ORIGINE DES PARTIS —
LE PURITANISME
Pour trouver l'origine du premier parti
politique, il faut remonter dans l'histoire d'Angleterre jusque sous le règne
de la reine Elisabeth, au lendemain de la Réforme.
A cette époque, le parlement existait déjà
en Angleterre, non pas avec tous les pouvoirs et toutes les prérogatives qu'il
possède aujourd'hui, mais enfin il était implanté à perpétuelle demeure comme
institution, et le peuple par sa chambre élective avait droit de contrôle sur
les deniers de l'État.
Le premier parti politique est né d'une
querelle religieuse, non pas entre catholiques et protestants, mais entre les
membres de l'Église anglaise nouvellement réformée.
Tout en se séparant de l'Église de Rome,
l'Église d'Angleterre avait conservé, pour les fins de son culte, certaines
pratiques et coutumes en usage chez les catholiques. Quelques prières étaient
restées intactes dans le Rituel, on faisait le signe de la croix au baptême, on
portait le surplis et on faisait la génuflexion. Les Églises protestantes du
continent, notamment celles de Hollande et d'Allemagne n'avaient pas conservé
ces usages. Sous l'influence du protestantisme hollandais, il se forma, en
Angleterre, un groupe de protestants qui s'insurgea contre la conservation de
ce qu'on appelait des vestiges du papisme. Ces prosélytes s'étaient donné pour
mission de purifier le protestantisme. De là leur nom de Puritains.
Il serait trop long de faire l'histoire du
Puritanisme en Angleterre. Il suffira de retenir quels ont été les principaux
caractères distinctifs de ce mouvement important qui fut le berceau du premier
parti.
Il y avait plusieurs catégories de
Puritains en Angleterre. Il y avait d'abord les Puritains proprement dits qui
ne voulaient pas autre chose que de réformer le culte. Ils admettaient l’Église
d'État et acceptaient la forme épiscopalienne. Il y avait aussi les Presbytériens.
Ceux-là, tout en admettant l'Église d'État, voulaient qu'elle eût la forme
presbytérienne. De plus, ils voulaient limiter l'autorité de l'Église aux
affaires religieuses seulement. Le principal apôtre de cette doctrine était
John Knox. Enfin, il y avait un troisième groupe qui comprenait les Indépendants, les Séparatistes, les Non-Conformistes et les Brownites.
Tous ces
gens-là étaient entièrement opposés à une Église d'État. C'est à ce dernier
groupe qu'appartenaient les fameux Pilgrims, qui, en 1620, quittèrent
l'Angleterre à bord du Mayflower. Après s'être dirigés vers la Hollande, ils
firent voile vers l'Amérique et vinrent atterrir à Plymouth Rock, où ils
fondèrent une colonie avec une Église indépendante qui, pendant un quart de
siècle, attira une nombreuse immigration puritaine sur les côtes du
Massachusetts.
Dans le but d'exercer une plus grande
influence, les Puritains décidèrent d'envahir le Parlement. De ce moment on
s'appliqua à augmenter le nombre des adeptes. Aux revendications en matière
religieuse on joignit les revendications populaires contre l'abus de
l'autorité. Les Puritains deviennent les champions du peuple et le premier parti politique a vu le jour. Sandys, Coke, Eliot, Selden et Pym sont les
premiers porte-parole de la première loyale opposition de Sa Majesté.
Les Puritains remportèrent leur premier
succès au Parlement en obtenant l'abolition de la prérogative royale concernant
l'octroi des monopoles. La reine Elisabeth, au lieu de s'adresser aux
représentants du peuple quand elle avait besoin d'argent pour ses petites
dépenses, avait adopté le moyen détourné de vendre aux commerçants des
privilèges exclusifs qu'elle octroyait au moyen de lettres patentes sous le
sceau royal. La création de ces monopoles avait pour effet de faire augmenter
le prix des denrées et des autres objets de première nécessité et le bon
peuple, en fin de compte, payait et payait grassement.
Les Puritains, du
premier coup, se créèrent ainsi une grande popularité en empêchant leur
souveraine d'exploiter, à son profit personnel et aux dépens du peuple, ce que
les Américains appelleraient aujourd'hui une « side line ». Quant à cette bonne
reine Elisabeth, elle restera incontestablement la patronne des politiciens qui
équilibrent les budgets en vendant une partie du domaine national.
Le puritanisme continue sous Charles 1er,
mais ce ne sont plus à proprement parler des partis politiques qui sont en
présence, ce sont des factions armées de pied en cap. C'est la guerre civile.
D'un côté il y avait les Cavaliers, défenseurs des prérogatives royales, de
l'autre les Têtes-Rondes, « Roundhcads », défenseurs des droits du peuple.
Sous Charles II, on retrouve encore les
mêmes partis avec les mêmes lignes de démarcation, mais les noms sont changés.
C'est d'un côté le « Court Party », de l'autre, le « Country Party ».
LES WHIGS ET LES
TORIES
C'est vers l'année 1680 que l'on voit se
former les deux grands partis qui pendant cent cinquante ans vont tenir
l'affiche : les whigs et les tories.
L'introduction du Bill d'Exclusion au
Parlement avait déchaîné une discussion des plus acrimonieuses. Ce projet de
loi avait pour objet d'exclure les catholiques de la succession au trône
d'Angleterre. Il visait tout particulièrement le duc d'York. Les partisans de
ce dernier appelaient leurs adversaires, par dérision, des « whigs » et ceux-ci
leur répondaient sur le même ton: « Vous n'êtes que des tories. » De côté et
d'autre, le nom leur est resté et il est assez amusant d'en connaître la véritable
signification. « Whig » était un mot écossais qui voulait dire du lait sûr ; on
l'employait aussi dans le sens figuré pour désigner des rebelles. « Tory »
était un mot venu d'Irlande où on l'employait pour désigner des voyous ou des
voleurs.
Les whigs se faisaient les champions de la
liberté. Ils revendiquaient l'indépendance du Parlement et du peuple. Ils
proclamaient que la résistance était permise contre le roi qui viole la loi.
Les tories, de leur côté, affirmaient que l'autorité du roi était de droit
divin. Ils défendaient la suprématie de la prérogative royale. Ils proclamaient
le devoir d'obéissance absolue de la part du sujet. Erskine May résume
admirablement l'attitude respective de chaque parti vis-à-vis le souverain : «
Les deux partis, dit-il, reconnaissent l'autorité du roi ; l'un la restreint aux
limites fixées par les lois de l'État, l'autre veut l'absolutisme dans l'État
et dans l'Église ».
Deux événements extérieurs ont beaucoup
influé sur les destinées de ces deux partis et ont largement contribué à leur
orientation. Ces événements sont la résolution américaine, en 1775, et la
révolution française, en 1789.
Les tories n'avaient jamais eu beaucoup de
sympathies pour les coloniaux. Aux premiers signes de révolte en Amérique, leur
politique fut celle de la répression à outrance, par tous les moyens et à
n'importe quel prix. Les whigs, eux, voulaient une réconciliation avec la
colonie d'outre-mer. Ils trouvaient que les révoltés défendaient une cause juste
et ils proclamaient, devant le Parlement, le droit de tout citoyen britannique
de n'être taxé que par ses représentants : « No taxation without representation ». Rien n'y fit, le gouvernement était résolu et ne voulait rien entendre. Alors Joseph Fox, avec tout son parti, sortit du Parlement pour ne pas partager la
responsabilité d'une mesure destinée à faire verser le sang injustement.
La politique de Fox eût conservé à
l'Angleterre toute l'Amérique du Nord. C'est l'entêtement aveugle du
gouvernement anglais qui a hissé le drapeau étoilé. C'est le toryisme étroit
qui a été le véritable fondateur de la république américaine.
La lutte de la colonie pour sa liberté, les
chevaleresques chevauchées de Washington, de Lafayette et de Rochambeau, la
déclaration de l'indépendance et l'avènement de la nouvelle république au delà
des mers eurent une répercussion sur l'opinion publique et sur les partis
politiques en Angleterre. Le germe de l'idée démocratique avait fait son
apparition. On le verra plus tard se développer et prendre une place
prépondérante dans la lutte des partis. Déjà chez les whigs, tout un groupe
arbore le nom de « parti démocratique ».
La révolution française eut un effet encore
beaucoup plus considérable sur les partis anglais. L'effroyable tuerie qui
avait bouleversé toute la France avait profondément affecté l'Europe entière.
Le vent de la révolution avait apporté jusqu'au delà de la Manche les idées et
les doctrines nouvelles. Mais en Angleterre, on avait peur de ces idées et de
ces doctrines ; elles avaient fait verser tant de sang.
Les tories considéraient que le mot « démocratie
» contenait une menace et un danger pour l'État. Pour eux, un démocrate,
c'était un jacobin. Les whigs proprement dits demandaient discrètement de plus
grandes libertés pour le peuple mais ne voulaient pas verser dans les principes
et les doctrines de la nouvelle démocratie. Le groupe des démocrates, d'autre
part, leur fait ouvertement un chaleureux accueil, demande tout de suite des
réformes parlementaires et fonde la « Société des amis du peuple ».
Devant cette attitude du groupe des
démocrates, le parti whig, presque en bloc, se rallie au gouvernement tory de William Pitt. Toutes les classes de la société affolées se rangent du côté de la
coalition. Le gouvernement s'affuble lui-même des noms de « gouvernement
national », de « parti du salut national ». Tous ceux qui ne suivent pas la
coalition sont des suspects, tous ceux qui lui opposent quelque résistance sont
des traîtres. On entoure tout dans le drapeau et on use la corde patriotique.
Dans l'opposition, il ne reste qu'une soixantaine de représentants, au nombre
desquels, cependant, se trouvent les hommes les plus brillants de l'ancien
parti whig : Fox, Sheridan, Erskine, Grey, Whitbread, Coke, Lambton, Tierney et
les deux lords Russell.
Le gouvernement de coalition, sous William
Pitt, est le plus puissant que l'Angleterre ait jamais eu. Mais le colosse
avait des pieds d'argile. Son régime d'arbitraire a été de courte durée. Il
s'est écroulé sous son propre poids. Pourtant Pitt n'avait rien négligé pour
garder le pouvoir. La presse avait été muselée, les publicistes jetés en prison
et la liberté de parole bâillonnée. Pendant ce temps, le gouvernement
consacrait toutes les ressources de l'État au dieu de la guerre.
Tout à coup, l'échafaudage commença à
crouler. Pitt mourut, le patronage devint impuissant à assouvir les appétits,
les contrats de guerre firent place aux taxes de guerre, la peur exagérée des
idées démocratiques se dissipa, les whigs se réunirent de nouveau aux
démocrates qu'ils avaient abandonnés. La coalition avait vécu, le gouvernement était
renversé et les tories avaient perdu pour longtemps la confiance du peuple.
Après cette période mouvementée on voit les
whigs accomplir des œuvres remarquables telles que les réformes parlementaires
et l'abolition de l'esclavage.
LES CONSERVATEURS ET
LES LIBERAUX
Vers 1830, les partis politiques changent
de noms. Les principes du parti tory étaient devenus impopulaires. On
s'appliqua donc à les remodeler et à les remettre à la mode du jour. On changea
jusqu'à l'enseigne. Le parti tory devint le parti conservateur. Chez les whigs
on sentait aussi le besoin de changer de peau. Il y avait des éléments divers
dans le parti whig ; les véritables whigs n'en formaient plus qu'une aile. Le
nom de libéral fut jugé plus convenable et plus approprié. Le nouveau parti
libéral comprendra les whigs, les radicaux, les démocrates, les Irlandais avec
Daniel O'Connell et les chartistes.
Nous sommes arrivés à l'époque où vont
naître au Canada les premiers partis politiques. Nous allons donc laisser les
partis anglais poursuivre leur lutte. Ils vont la transporter sur le terrain de
la politique fiscale. Ce sera le triomphe du libre-échange prêché par Richard Cobden. Puis ce sera une suite d'alliance et de coalitions, où souvent
l'identité des partis se perd, et qui aboutira à la formation du soi-disant
parti unioniste.
Quand la situation deviendra précaire pour
un groupe ou un parti ou un gouvernement, on essaiera toujours de se maintenir
en laissant entrevoir ou en promettant le Home Rule à l'Irlande, la sœur Anne
de la politique anglaise qui attend toujours mais ne voit jamais rien venir.
L'Angleterre a été le pays du transformisme
politique. Pitt était d'abord un whig ; il devint le grand chef des tories. Fox
débuta dans la politique comme tory ; il devint le chef des whigs. Ne nous
étonnons donc pas si un jour un radical-socialiste devient tout naturellement
le dictateur de l'Empire.
LES PARTIS AU CANADA
Dans notre pays, on s'est toujours évertué
à copier de près les partis politiques anglais. Bien souvent, on n'a pas tenu
compte du fait que les problèmes de la Grande-Bretagne ne sont pas du tout les
problèmes du Canada. C'est pourquoi il arrive que, quelquefois, nos partis
politiques ressemblent à de petits bonshommes qui, aux dépens du bon sens et de
l'esthétique, portent prétentieusement les pantalons de leurs papas.
Les partis politiques, dans notre pays, ont
commencé à exister sous l'Union. Avant 1840, il n'y avait pas de partis.
D'abord pendant la période qui s'est écoulée depuis la Conquête jusqu'à l'Acte constitutionnel de 1791, il n'y avait pas de parlement et, sous le régime de
l'acte constitutionnel, il n'y avait pas de gouvernement responsable.
Lors du premier parlement sous l'Union,
nous trouvons tous les Canadiens français faisant bloc autour de Louis-Hippolyte La Fontaine. Robert Baldwin était alors membre du cabinet. A la suite d'une sérieuse
divergence d'opinion avec ses collègues sur une question de principe, à savoir,
l'indépendance du ministère vis-à-vis le gouverneur, Baldwin offrit sa
démission comme ministre et avec son groupe se joignit à La Fontaine et aux
Canadiens français.
Le Canada aura désormais ses partis
politiques : les libéraux et les tories. Tous les Canadiens français sont du
parti libéral. Il n'y a pas de ligne de démarcation bien définie entre les deux
groupes. Les libéraux favorisent le rétablissement de la langue française comme
langue officielle au Parlement tandis que les tories s'y opposent de toutes
leurs forces. Les libéraux consentent à indemniser sans distinctions ceux qui
ont souffert des dommages matériels au cours des insurrections de 1837. Les
tories les appellent des déloyaux et des traîtres. Le rétablissement de la
langue française comme langue officielle en 1848 fut le grand succès de La
Fontaine et de ses alliés.
En 1849, il se produisit une division chez
les libéraux canadiens-français. Un groupe, à la tête duquel se trouvent Louis-Joseph Papineau et les deux Dorion (Antoine-Aimé et Jean-Baptiste-Eric), fonde le parti démocratique ou radical. Ils ont un
journal : L'Avenir. Leurs idées sont très avancées et empreintes de radicalisme.
Leur programme est plutôt révolutionnaire. On les appelle les « rouges ». Les «
bleus » sont les libéraux qui ne veulent pas verser dans le mouvement de 1849.
A la même époque on voit apparaître dans le
Haut-Canada les « Grits » et les « Reformers ».
En 1854, nous assistons à la fondation du
parti libéral-conservateur. Ce parti repose sur une alliance entre les tories
du Haut-Canada et les libéraux du Bas-Canada qui portaient le nom de « Bleus ».
Pour les besoins de la politique, les tories, comme leurs parrains d'Angleterre,
jugèrent à propos de remiser leur nom. George-Etienne Cartier, un des apôtres les plus
dévoués de la nouvelle alliance, disait, en parlant d'eux, dans un discours
programme : « Ils ont mis de l'eau dans leur vin. »
Le parti libéral-conservateur aura pour
adversaire le parti libéral qui a absorbé tous ceux qui se sont dérobés à
l'alliance de 1854 et qui a attiré à lui les Grits et les Reformers du
Haut-Canada. Pendant longtemps, le parti libéral aura à souffrir politiquement
des faits et gestes de l'école rouge de 1849. On n'a qu'à lire le discours
prononcé en 1877 par Wilfrid Laurier sur le libéralisme pour s'en rendre compte. Ce
discours n'est pas un programme politique, comme plusieurs l'ont souvent
prétendu ; c'est une défense du parti libéral, qui, à cette époque, était accusé
de contenir des germes d'anticléricalisme. Une grande partie de ce discours
sert à excommunier politiquement l'école de Dorion et de Papineau, à condamner
la révolution et le libéralisme français et à présenter, comme le prototype du
libéralisme canadien, le libéralisme anglais de l'époque de Burke et de Fox.
Maintenant, au point de vue de leurs
principes et de leurs programmes respectifs, quelle a été la différence
essentielle entre les deux partis politiques canadiens depuis 1854 jusqu'à nos
jours?
Je recommande cette question à ceux qui
font habituellement dans les charades, les devinettes et les jeux de patience.
Personne n'a encore pu réussir à donner une réponse satisfaisante.
Le mouvement de l'opinion publique et
l'orientation des partis politiques au Canada en ces dernières années
constituent une phase très intéressante de notre histoire politique. Il serait
difficile d'en parler ici ; seulement sans sortir du cadre académique de ce
travail, il me sera peut-être permis d'ajouter que l'on constate heureusement
que les partis politiques, quels qu'ils soient, semblent exercer moins
d'influence et avoir moins d'emprise sur la génération qui, demain, sera
appelée à faire et à défaire les gouvernements de ce pays.
Voilà, en résumé, non pas l'histoire mais
le tableau généalogique des partis politiques tant en Angleterre qu'au Canada.
LE RÔLE DU PARTI
POLITIQUE
Les partis politiques ne sont pas reconnus
par la constitution ni par aucune loi organique. Donc, théoriquement parlant,
ils ne constituent pas une partie essentielle du rouage parlementaire ou
administratif. Les partis pourraient disparaître demain sans qu'il soit
nécessaire de changer un iota dans notre constitution ou dans nos lois. Le
parti politique est une institution consacrée par la tradition seulement, mais
cela ne diminue pas son importance. Ses racines sont profondément implantées
jusque dans les couches profondes de notre vie politique et économique et il
est devenu virtuellement inséparable de notre système de gouvernement.
Si on veut se former un jugement impartial
sur le rôle du parti politique, il faut le juger à sa valeur intrinsèque et
sans égard aux groupes de bandits qui, à certaines époques, réussissent à s'en
emparer dans le but d'atteindre des fins abjectes. D'un autre côté, il faut
tenir compte aussi du fait que bien souvent c'est le parti politique qui a
permis aux indésirables de s'emparer du pouvoir ou des postes de confiance.
Il est incontestable que les partis, en
Angleterre surtout, ont accompli de grandes réformes ; mais il est
malheureusement trop vrai qu'ils ont aussi contribué à l'abaissement du sens
moral et de l'esprit public chez le peuple.
Tout de même, les partis offrent certains avantages. Essayons de les énumérer. D'abord ils contribuent au maintien d'un certain équilibre dans le Parlement. Ils apportent un facteur de stabilité qui n'existerait pas si le gouvernement du pays était susceptible d'être renversé à chaque instant par l'action intempestive d'un groupement inattendu. Ils permettent une opposition organisée dont la vigilance est salutaire à toute administration.
De plus les partis politiques servent de
tampon entre les mécontentements populaires et l'autorité constituée. Quand le
peuple, à tort ou à raison, sent qu'il a des griefs, ou lorsqu'il traverse des
temps de crise ou de malaise général, il éprouve un curieux besoin de renverser
ses maîtres. Dans un pays monarchique, ce sentiment, poussé à l'extrême,
aboutit inévitablement à la révolution. Sous le régime parlementaire le peuple
renverse le gouvernement. C'est le parti politique au pouvoir qui reçoit tous
les coups comme étant l'auteur de tous les maux. C'est une soupape de sûreté
contre les ébullitions de l'opinion publique.
En revanche, il ne faut pas oublier que les
partis politiques ont de nombreux défauts. On peut leur reprocher surtout de
faire trop souvent perdre de vue les véritables intérêts du pays.
Grâce à des propagandes bien organisées et à une exploitation habile des passions populaires, on arrive à créer autour du parti une espèce de religion, une espèce de culte, qui a pour effet de distraire le citoyen de ses devoirs envers la patrie. Les énergies dépensées au profit d'un parti sont généralement accompagnées d'une insouciance correspondante envers l'intérêt national. Les partis, en fanatisant leurs adeptes, en font des adversaires irréductibles, souvent des ennemis, et dans les moments critiques, l'effort commun, si nécessaire au salut de tous, devient impossible.
Grâce à des propagandes bien organisées et à une exploitation habile des passions populaires, on arrive à créer autour du parti une espèce de religion, une espèce de culte, qui a pour effet de distraire le citoyen de ses devoirs envers la patrie. Les énergies dépensées au profit d'un parti sont généralement accompagnées d'une insouciance correspondante envers l'intérêt national. Les partis, en fanatisant leurs adeptes, en font des adversaires irréductibles, souvent des ennemis, et dans les moments critiques, l'effort commun, si nécessaire au salut de tous, devient impossible.
Tous les partis politiques ont pour port
d'attache le pouvoir. Ils y sont, ils en arrivent ou ils essaient de s'y
rendre. Ils subordonnent tout à cette fin ; c'est pourquoi les questions
vitales et même les causes sacrées deviennent pour les partis politiques des
expédients et des moyens. Le parti politique, par l'exercice du patronage et la
distribution des faveurs, expose l'homme public à la malhonnêteté et à l'abus
de confiance et il abrutit le peuple et le rend vénal.
L’OEUVRE DES PARTIS
CHEZ NOUS
Tous les partis politiques, chez nous, se
vantent d'avoir édifié le pays. Tous revendiquent pour eux seuls la galerie des
gloires nationales. Quand la cause à défendre n'est pas bien populaire ou quand
les hommes du jour sont trop petits, on fait de l'histoire, on brosse les
vieilles défroques, on évoque les grands morts. Avec de la fanfare, des pièces
pyrotechniques, un peu de whisky et beaucoup de promesses, on parvient
quelquefois, pour me servir d'une expression de politiciens, « à trouver l'âme
du peuple et à lui faire rendre un verdict sage et éclairé ». Quand le peuple
revient à ses sens, il se dégoûte. . . et il recommence.
Non, la vérité, c'est que le pays a
progressé malgré les partis politiques. Ouvrez les annales [du pays] depuis cinquante ans, au
hasard et quel que soit le parti au pouvoir, qu'est-ce que vous constatez ? Le
gouvernement construit un chemin de fer, achète un chemin de fer, vend un
chemin de fer ou défait un chemin de fer. Il remanie le tarif apparemment pour
le bénéfice du consommateur et du prolétaire mais en faisant du genou au
manufacturier et des œillades à la haute finance.
Celui qui est ministre des finances
accomplit sa besogne en faisant des tours de passe-passe avec le budget. Sa
tâche principale consiste à faire oublier les obligations réelles en exhibant
des surplus apparents. Il est entendu que tout nouvel impôt est créé pour
expier les fautes des prédécesseurs. On pose des pierres angulaires, on
prononce des discours, on organise des banquets. On mange beaucoup. On parle
davantage. On fait des travaux publics dans les comtés restés fidèles et on
donne des contrats aux amis. Les immigrants, les indésirables des autres pays,
on les fait passer au salon et on a pour eux beaucoup d'égards. [...] Celui qui repousse la forêt
pour y fonder des familles, celui-là, une fois tous les cinq ans, on reconnaît
publiquement ses qualités et son courage en échange de son bulletin de vote.
Voilà ce qu'on est convenu d'appeler la
politique progressive. Grossir, toujours grossir. Vous voulez que le peuple
grandisse, se perfectionne, devienne meilleur, plus tolérant plus éclairé ; vous
voulez dans cet agrégat cosmopolite créer l'unité nationale ? Vous vous trompez
d'adresse. Je vois les ministres de tous les temps et de tous les régimes se
lever les uns après les autres et vous répondre en haussant les épaules : « Ah
! cela ne relève pas de mon département ».
L'opposition, elle, vit toujours dans la
crainte que le gouvernement ne fasse quelque chose de bien. Une erreur, une
faute, que dis-je, un crime de la part des gouvernants fait toujours naître un
sourire plein d'espoir sur la figure de la loyale opposition de Sa Majesté.
La gauche découvre les scandales, la droite
en produit. La défense classique est toujours : « Quand vous étiez au
pouvoir, vous étiez pire que nous ». Quand le public commence à être écœuré ou
quand la réputation d'un politicien de renom commence à être un peu usagée, on
institue des buanderies officielles et qu'il s'agisse d'un rouge maculé ou d'un
bleu éclaboussé, on peut être certain qu'il sortira blanc comme neige ; il n'y a
pas une tache qui résiste à la lessive d'une commission d'enquête.
Et voilà une vue d'ensemble de l'œuvre
grandiose des partis politiques chez nous.
CONCLUSIONS
Quel est le remède ? Est-ce l'opération
chirurgicale ou le tonique ? Est-ce l'abolition des partis politiques ou la
régénération de l'opinion publique ? Quant à moi, je suis porté à croire que le
second moyen est le plus efficace et le plus pratique.
Si les partis politiques disparaissaient,
ils seraient remplacés par autre chose, car enfin, l’opinion publique a besoin
d'un moyen de cohésion. Le groupement changerait peut-être de nom et de forme
mais les mêmes éléments pernicieux et nuisibles produiraient les mêmes
résultats et les mêmes conséquences.
Vouloir abolir les partis politiques serait
une tâche herculéenne et peut-être une mesure trop radicale. Les énergies qu'on
y dépenserait seraient mieux utilisées à enrayer l'esprit de parti qui a pris
la place de l'esprit public. Voilà l'abus. Voilà le mal.
Au fond, les partis et les gouvernements
décadents, dilapidateurs, irrespectueux des constitutions, des lois et de la
tradition nationale sont presque toujours l'indice d'une opinion publique
insouciante, endormie ou corrompue. Les peuples ont les gouvernements qu'ils méritent.
Ceux qui ont développé chez eux de l'esprit public, de la vigilance, du
caractère, ont eu des gouvernements respectueux de l'ordre et de la justice et
des partis politiques prudents, parce qu'ils étaient craintifs. En politique,
la crainte de l'électeur est le commencement de la sagesse.
Débarrassons-nous donc du fétichisme et des
religions politiques. Remplaçons-les par le culte de l'intérêt national.
Dégageons notre politique du matérialisme pesant qui l'oblige à se tenir près
de terre et l'empêche de s'élever jusqu'aux sphères supérieures. Rappelons à
nos partis politiques et à nos hommes publics que le progrès d'un pays ne
consiste pas seulement dans l'augmentation de ses revenus et dans son
développement matériel, mais que les nations, comme les individus, sont
susceptibles d'avancement intellectuel et moral.
Le vent qui souffle actuellement sur le
monde va bouleverser de fond en comble notre vie nationale. Nous sommes déjà en
pleine révolution politique. Des anciennes délimitations arbitraires qui
séparent les partis, il ne restera bientôt que le souvenir des chicanes
stériles qu'elles ont engendrées. De nouveaux problèmes vont surgir. Il faut
que nous soyons prêts à prendre position.
Préparons-nous donc. Régénérons l'opinion
publique. Travaillons à l'édifice national. [...] Le pays est là qui attend, vaste d'étendue, immense de
ressources et de richesses, plein de vigueur, d'espérance et d'avenir. [...] Il demande une nation; nous
ne lui avons donné qu'un peuple.
Secouons nos ailes et élevons-nous. Nous
sommes déjà en retard.
Tiré de : Paul-Émile Lamarche : Oeuvres – Hommages, Montréal,
Bibliothèque de l’Action française, 1919, p. 165-187.
Le Devoir, 27 septembre 1917, p. 1. |
Le Devoir, 28 septembre 1917. |
Biographie de Paul-Émile Lamarche, encore disponible aux Presses de l'Université Laval (pour informations, cliquez ICI). |
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