mercredi 27 septembre 2017

Paul-Émile Lamarche : « Secouons nos ailes et élevons-nous ! »

Paul-Émile Lamarche (1881-1918)

Au moment de la publication de la présente Glanure, cela aura fait 100 ans jour pour jour que, le 27 septembre 1917, l'homme politique et admirable patriote québécois que fut Paul-Émile Lamarche 
prononçait une conférence d'importance majeure dans la salle des conférences de la Bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis, à Montréal. 

Une Glanure a déjà été consacrée à Lamarche (voir ICI), que nous tenons pour avoir été « le politicien le plus estimable de l'histoire du Québec ». Ce n'est là pas peu dire, certes, mais les Québécois d'alors, à l'instar de ceux qui l'ont côtoyé dans l'action, n'en pensaient certainement pas moins, comme le prouve le fait qu'en 1938, une foule évaluée à près de 8 000 personnes a pris part aux cérémonies commémorant le vingtième anniversaire de son décès prématuré, à l'âge de 36 ans (il a été victime de l'épidémie de grippe espagnole, en 1918). 

Pourtant, Paul-Émile Lamarche n'a été ni premier ministre, ni ministre, ni chef de parti, ni même journaliste, mais seulement député nationaliste (de Nicolet, au fédéral) pour un mandat unique de cinq ans auquel cet homme d'une intégrité exemplaire a mis fin par fidélité à un engagement qu'il avait pris. Pensons-y un peu : pour quel politicien, de nos jours, verrait-on une foule aussi nombreuse participer aux cérémonies soulignant le vingtième anniversaire de son décès? Même pour un René Lévesque, malgré l'adulation parfois exhubérante dont on l'a accablé, une telle commémoration est passée inaperçue. C'est dire combien Paul-Émile Lamarche aura touché et marqué, sûrement pour le meilleur, ses contemporains. 

La conférence que prononça Lamarche il y a 100 ans en ce jour avait pour thème : « Le parti politique : son origine, son évolution, son rôle ». Il y expose d'abord l'histoire de cette forme particulière d'organisation qu'est le parti politique, de son berceau que fut l'Angleterre jusqu'à son avènement ici au Québec et au Canada. Puis, sans nier l'utilité que peuvent avoir les partis politiques, il dresse une liste des méfaits qu'ils ont apporté à la société, dans la mesure où ils se sont imposés en fétichisme partisan qui s'est souvent opposé à l'intérêt national. 

Lamarche conclut son analyse par un vibrant appel à regénérer l'opinion publique, seul moyen selon lui d'assurer l'intérêt national et le mieux-être collectif. 

Pour souligner le centenaire de cette conférence de Paul-Émile Lamarche, ces Glanures vous en offrent ci-dessous le texte quasi-intégral.

Il s'agit, nous le croyons, d'une lecture utile à plus d'un égard. D'abord, parce qu'elle permet aux non-initiés de s'éduquer sur l'origine et l'évolution du système politique qui, encore aujourd'hui, régit notre société. À une époque où l'analphabétisme politique est une plaie qui est en train de tuer la nation québécoise à petit feu en la rendant vulnérable et impuissante face à ceux qui cherchent à l'asservir, sinon à la faire disparaître, le propos de Paul-Émile Lamarche s'avère donc d'une utilité particulièrement criante et qui n'a rien perdu de son urgence. 

Le texte de Lamarche, en plus de procurer des bases théoriques nécessaires à l'analyse, permet aussi de comprendre la classe politique tel qu'elle sévit encore chez nous. Si l'on reste dans l'ignorance de ces éléments, on se condamne bêtement à ramer dans le vide, et ce, peu importe les cimagrées (manifestations, pétitions en ligne, etc.) que l'on pourrait faire pour se donner l'illusion d'exercer des pressions politiques sur ceux qui contrôlent les pouvoirs publics. Parce que si on veut agir, influer et peser sur le système politique, encore faut-il le connaître.

Enfin, on constate que les conclusions de Paul-Émile Lamarche n'ont rien perdu de leur actualité. Certaines, serait-on même tenté d'affirmer, nous paraissent encore plus actuelles qu'il y a 100 ans. Lamarche nous indique des pistes qui, si elles étaient davantage comprises, explorées et assumées, pourraient nous aider à surmonter l'impuissance politique que les Québécois ressentent de nos jours face à ceux qui, à l'instar d'un saccageur de nation comme Philippe Couillard, détournent notre propre État contre nous-mêmes et nos droits. 

Ne nous privons pas de l'éclairage que nous offre ce guide de grande valeur qu'est Paul-Émile Lamarche, cet infatigable défenseur de nos droits nationaux qui nous parle à travers le temps et que nous vous invitons, maintenant et ici-bas, à écouter à votre tour : 


Édifice de la Bibliothèque Saint-Sulpice, rue Saint-Denis, Montréal, où Paul-Émile
a prononcé sa conférence majeure du 27 septembre 1917. Photo : Jean Gagnon.


Le parti politique : son origine, 
son évolution, son rôle 

Conférence de Paul-Émile Lamarche

Montréal, 27 septembre 1917


DU GOUVERNEMENT DE LA SOCIÉTÉ

L'animal le plus difficile à conduire c'est l’animal raisonnable, l'homme; et il l’est davantage quand il fait partie d'une collectivité. 

[...] Pourtant, l'homme est fait pour vivre en société. La philosophie nous l'a enseigné et l'histoire du monde, d'ailleurs, nous a démontré, d'une façon indiscutable, l'existence de ce principe de droit naturel. Mais qui  dit société ne dit pas nécessairement accord. C'est le privilège des êtres raisonnables de penser, de raisonner, de juger de façons différentes. C'est ce qui explique pourquoi les peuples n'ont jamais pu résoudre, à la satisfaction de tout le monde, le grand problème de se gouverner.

Cette constatation ne devrait pas nous étonner. L'homme entre et vit dans la société avec ses imperfections, ses défauts, ses préjugés et ses passions. Le principe de l'égalité abstraite de tous les hommes se heurte constamment aux inégalités réelles des individus. Les degrés de supériorité physique, intellectuelle ou morale, la force, les ambitions, les richesses, les besoins, les souffrances et toutes les misères que traîne après elle l'humanité, sont autant d'obstacles qui rendent impossible l'unité d'opinion et de sentiment.

Égoïste par tempérament, l'homme prend volontiers tous les avantages qui découlent de son association avec ses semblables, mais ce n'est qu'avec une certaine répugnance que sa nature accepte les nombreux sacrifices qu'impose à l'individu le bien commun de la société.

De là le conflit entre l'individualisme et l'intérêt social.

C'est à travers tous ces obstacles que, depuis des siècles, les peuples poursuivent leur course à la recherche de la civilisation parfaite, du bien-être, de la liberté.

Leurs formes de gouvernement se succèdent et se modifient avec les époques et suivant les besoins du moment ; elles évoluent de l'absolutisme à la fantaisie, du despotisme au caprice de la foule, de la monarchie primitive aux formes les plus complexes des démocraties modernes.

Rien n'indique cependant que le monde soit plus satisfait. Le peuple maudira toujours son gouvernement surtout si c'est un gouvernement qu'il s'est donné lui-même. Si le bon La Fontaine vivait encore de nos jours, il n'aurait rien à changer à sa fable des grenouilles qui demandent un roi.

DE LA DÉMOCRATIE

La forme de gouvernement la plus moderne, ou du moins celle qui tend à se généraliser davantage, c'est la démocratie. A-t-on besoin de la définir ? Il faudrait avoir une bien pauvre mémoire pour ne pas nous rappeler la formule consacrée et si souvent redite : « Le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Pour ceux qui préfèrent la réalité brutale aux formules sonores, nous pourrions peut-être dire, tout simplement, que la démocratie comprend toutes les formes de gouvernement sous lesquelles le peuple s'est réservé pour lui-même le privilège de se tyranniser. Sont des États démocratiques les républiques proprement dites et les monarchies constitutionnelles, comme la Grande-Bretagne, où le roi règne mais où le peuple est censé gouverner.

Si la démocratie a affranchi les peuples du despotisme des monarques, d'un autre côté, elle a singulièrement compliqué le fonctionnement de l'organisme de l'État. Le gouvernement par le grand nombre présente, en effet, des difficultés qui sont inconnues sous un régime purement monarchique ou même oligarchique. Dans l'État démocratique, c'est le vœu de la majorité qui gouverne, mais encore faut-il le connaître, et pour y arriver il faut nécessairement recourir à la consultation populaire.

Le mode le plus simple de consulter le peuple, c'est assurément celui qui se pratiquait dans les anciennes républiques de la Grèce et de Rome. On convoquait le peuple sur la place publique et on lui faisait trancher directement les questions d'intérêt général. Mais les petites républiques qui s'accommodaient du système de consultation directe ont fait place à de grands États avec des populations denses et nombreuses, avec des étendues de territoires considérables, avec des problèmes multiples et compliqués. Il a donc fallu adopter un autre mode de consultation populaire en harmonie avec ces nouvelles exigences. Voilà pourquoi la démocratie moderne a développé le système du gouvernement représentatif et électif.

Sous un régime parlementaire normalement constitué, l'opinion publique est une grande force ; c'est la force motrice de tout l'organisme social, mais c'est une force éparse, disséminée dans la masse et qui, laissée à elle-même, sans guide, serait souvent inefficace et infructueuse. C'est la cataracte majestueuse qui produit sans cesse des énergies, mais qui, à chaque instant, perdra toute sa puissance si on n'a pas eu soin de l'emmagasiner au passage pour la diriger sur des œuvres vives. Dans le but de coordonner les forces de l'opinion publique, de les assortir, de les canaliser pour en obtenir un plus grand rendement, on a imaginé ces organisations puissantes qu'on appelle les partis politiques.

Le parti politique a joué et jouera encore dans notre pays un rôle très important. Pour quiconque veut s'intéresser à la chose publique, il est nécessaire d'en bien connaître le caractère et la raison d'être. Pour cela, il faut étudier son origine, suivre ses évolutions et examiner le rôle qu'il a tenu dans l'histoire.

Embrasser un parti politique, sans prendre au préalable ces précautions utiles, c'est comme embrasser une femme sans la connaître. Cela expose aux pires ennuis et souvent à d'amers regrets.

Salle des conférences de la Bibliothèque Saint-Sulpice, où
Paul-Émile Lamarche prononça sa conférence du 27 septembre 1917.
Photo :  Gabor Szilasi, 1966. Source : Héritage Montréal.   
LE PARTI POLITIQUE

Tout d'abord, qu'est-ce que c'est qu'un parti politique? Une des meilleures définitions que je connaisse est celle qu'en a donnée Edmund Burke :

« Un parti politique est un groupe d'hommes réunis ensemble, dans le but de promouvoir, par un effort commun, les intérêts de la nation, selon certains principes définis, sur lesquels tous sont d'accord ».

Cette définition a l'air très simple, mais si nous l'analysons, nous trouvons qu'elle contient bien des éléments assez difficiles à réunir.

Ainsi nous voyons que pour constituer un parti, il faut des hommes et il faut que ces hommes soient susceptibles de faire quelque effort. Il faut ensuite des principes et il faut que ces principes soient bien définis. Puis il faut que tous s'accordent sur ces principes. Enfin, il faut que l'effort de tous et de chacun n'ait d'autre objet que l'intérêt de la nation.

Cette définition va peut-être vous paraître un peu idéaliste. Il est vrai qu'elle nous représente le parti politique tel qu'il devrait être plutôt que la vivante réalité. C'est une raison de plus pour la conserver et souvent la relire.

Un groupe qui s'intitule un parti politique, quels que soient ses antécédents, quelle que soit son histoire, s'il ne rencontre pas les conditions essentielles que nous venons d'énumérer, n'est pas autre chose qu'une simple faction.

Il y a plusieurs sortes de partis, suivant le caractère de la cause qu'ils veulent faire triompher ou des principes qu'ils préconisent. Les problèmes qu'ils envisagent peuvent être d'ordre intérieur ou d'ordre extérieur et se rattacher aux questions les plus variées.

Un parti politique peut exister dans le but de préconiser une forme particulière de gouvernement pour l'État ; exemple : le parti royaliste en France.

Un parti peut avoir pour objet la solution du problème social ; et il arrive dans ce cas que quelquefois ses ramifications s'étendent au delà des frontières pour aller se fondre avec un parti semblable dans l'État voisin ; exemple : les nombreux partis socialistes et les groupes ouvriers.

Un parti peut se proposer comme fin la revendication des droits d'une race ou d'une nationalité particulière dans un État cosmopolite; exemple : le parti nationaliste irlandais.

Un parti peut être formé pour sauvegarder les droits et les intérêts d'un culte, d'une religion; exemple : le centre catholique allemand.

Un parti peut avoir pour objet de résoudre d'une façon particulière les problèmes économiques se rattachant à la politique fiscale; exemple : les protectionnistes, les libre-échangistes.

Nous pourrions ainsi allonger indéfiniment l’énumération, tellement sont variées et nombreuses les questions qui peuvent demander le verdict de l'opinion publique; mais ce sont là les principales catégories de partis politiques ayant des objets spéciaux et définis.

Il existe aussi des partis politiques qui n'ont pas d'objet spécial, si ce n'est d'offrir au peuple un meilleur gouvernement. Leurs programmes embrassent l'ensemble de tous les problèmes passés, présents et à venir. Ils offrent des remèdes pour tous les maux, mais en termes généralement vagues et ambigus. Les uns se désignent comme les gardiens jaloux de tout ce qu'il y a de bon, les autres, comme les réformateurs de tous les abus et les défenseurs de tous les opprimés. On peut les classer tous dans une même famille : celle des opportunistes.

Le parti politique est un produit anglais, et on peut dire qu'il a été un produit d'exportation, car il existe aujourd'hui des partis politiques dans tous les pays totalement ou partiellement gouvernés par le peuple, c'est-à-dire dans presque tous les pays du monde.

ORIGINE DES PARTIS — LE PURITANISME

Pour trouver l'origine du premier parti politique, il faut remonter dans l'histoire d'Angleterre jusque sous le règne de la reine Elisabeth, au lendemain de la Réforme.

A cette époque, le parlement existait déjà en Angleterre, non pas avec tous les pouvoirs et toutes les prérogatives qu'il possède aujourd'hui, mais enfin il était implanté à perpétuelle demeure comme institution, et le peuple par sa chambre élective avait droit de contrôle sur les deniers de l'État.

Le premier parti politique est né d'une querelle religieuse, non pas entre catholiques et protestants, mais entre les membres de l'Église anglaise nouvellement réformée.

Tout en se séparant de l'Église de Rome, l'Église d'Angleterre avait conservé, pour les fins de son culte, certaines pratiques et coutumes en usage chez les catholiques. Quelques prières étaient restées intactes dans le Rituel, on faisait le signe de la croix au baptême, on portait le surplis et on faisait la génuflexion. Les Églises protestantes du continent, notamment celles de Hollande et d'Allemagne n'avaient pas conservé ces usages. Sous l'influence du protestantisme hollandais, il se forma, en Angleterre, un groupe de protestants qui s'insurgea contre la conservation de ce qu'on appelait des vestiges du papisme. Ces prosélytes s'étaient donné pour mission de purifier le protestantisme. De là leur nom de Puritains.

Il serait trop long de faire l'histoire du Puritanisme en Angleterre. Il suffira de retenir quels ont été les principaux caractères distinctifs de ce mouvement important qui fut le berceau du premier parti.

Il y avait plusieurs catégories de Puritains en Angleterre. Il y avait d'abord les Puritains proprement dits qui ne voulaient pas autre chose que de réformer le culte. Ils admettaient l’Église d'État et acceptaient la forme épiscopalienne. Il y avait aussi les Presbytériens. Ceux-là, tout en admettant l'Église d'État, voulaient qu'elle eût la forme presbytérienne. De plus, ils voulaient limiter l'autorité de l'Église aux affaires religieuses seulement. Le principal apôtre de cette doctrine était John Knox. Enfin, il y avait un troisième groupe qui comprenait les Indépendants, les Séparatistes, les Non-Conformistes et les Brownites. 

Tous ces gens-là étaient entièrement opposés à une Église d'État. C'est à ce dernier groupe qu'appartenaient les fameux Pilgrims, qui, en 1620, quittèrent l'Angleterre à bord du Mayflower. Après s'être dirigés vers la Hollande, ils firent voile vers l'Amérique et vinrent atterrir à Plymouth Rock, où ils fondèrent une colonie avec une Église indépendante qui, pendant un quart de siècle, attira une nombreuse immigration puritaine sur les côtes du Massachusetts.

Dans le but d'exercer une plus grande influence, les Puritains décidèrent d'envahir le Parlement. De ce moment on s'appliqua à augmenter le nombre des adeptes. Aux revendications en matière religieuse on joignit les revendications populaires contre l'abus de l'autorité. Les Puritains deviennent les champions du peuple et le premier parti politique a vu le jour. Sandys, Coke, Eliot, Selden et Pym sont les premiers porte-parole de la première loyale opposition de Sa Majesté.

Les Puritains remportèrent leur premier succès au Parlement en obtenant l'abolition de la prérogative royale concernant l'octroi des monopoles. La reine Elisabeth, au lieu de s'adresser aux représentants du peuple quand elle avait besoin d'argent pour ses petites dépenses, avait adopté le moyen détourné de vendre aux commerçants des privilèges exclusifs qu'elle octroyait au moyen de lettres patentes sous le sceau royal. La création de ces monopoles avait pour effet de faire augmenter le prix des denrées et des autres objets de première nécessité et le bon peuple, en fin de compte, payait et payait grassement. 

Les Puritains, du premier coup, se créèrent ainsi une grande popularité en empêchant leur souveraine d'exploiter, à son profit personnel et aux dépens du peuple, ce que les Américains appelleraient aujourd'hui une « side line ». Quant à cette bonne reine Elisabeth, elle restera incontestablement la patronne des politiciens qui équilibrent les budgets en vendant une partie du domaine national.

Le puritanisme continue sous Charles 1er, mais ce ne sont plus à proprement parler des partis politiques qui sont en présence, ce sont des factions armées de pied en cap. C'est la guerre civile. D'un côté il y avait les Cavaliers, défenseurs des prérogatives royales, de l'autre les Têtes-Rondes, « Roundhcads », défenseurs des droits du peuple.

Sous Charles II, on retrouve encore les mêmes partis avec les mêmes lignes de démarcation, mais les noms sont changés. C'est d'un côté le « Court Party », de l'autre, le « Country Party ».

LES WHIGS ET LES TORIES

C'est vers l'année 1680 que l'on voit se former les deux grands partis qui pendant cent cinquante ans vont tenir l'affiche : les whigs et les tories.

L'introduction du Bill d'Exclusion au Parlement avait déchaîné une discussion des plus acrimonieuses. Ce projet de loi avait pour objet d'exclure les catholiques de la succession au trône d'Angleterre. Il visait tout particulièrement le duc d'York. Les partisans de ce dernier appelaient leurs adversaires, par dérision, des « whigs » et ceux-ci leur répondaient sur le même ton: « Vous n'êtes que des tories. » De côté et d'autre, le nom leur est resté et il est assez amusant d'en connaître la véritable signification. « Whig » était un mot écossais qui voulait dire du lait sûr ; on l'employait aussi dans le sens figuré pour désigner des rebelles. « Tory » était un mot venu d'Irlande où on l'employait pour désigner des voyous ou des voleurs.

Les whigs se faisaient les champions de la liberté. Ils revendiquaient l'indépendance du Parlement et du peuple. Ils proclamaient que la résistance était permise contre le roi qui viole la loi. Les tories, de leur côté, affirmaient que l'autorité du roi était de droit divin. Ils défendaient la suprématie de la prérogative royale. Ils proclamaient le devoir d'obéissance absolue de la part du sujet. Erskine May résume admirablement l'attitude respective de chaque parti vis-à-vis le souverain : « Les deux partis, dit-il, reconnaissent l'autorité du roi ; l'un la restreint aux limites fixées par les lois de l'État, l'autre veut l'absolutisme dans l'État et dans l'Église ».

Deux événements extérieurs ont beaucoup influé sur les destinées de ces deux partis et ont largement contribué à leur orientation. Ces événements sont la résolution américaine, en 1775, et la révolution française, en 1789.

Les tories n'avaient jamais eu beaucoup de sympathies pour les coloniaux. Aux premiers signes de révolte en Amérique, leur politique fut celle de la répression à outrance, par tous les moyens et à n'importe quel prix. Les whigs, eux, voulaient une réconciliation avec la colonie d'outre-mer. Ils trouvaient que les révoltés défendaient une cause juste et ils proclamaient, devant le Parlement, le droit de tout citoyen britannique de n'être taxé que par ses représentants : « No taxation without representation ». Rien n'y fit, le gouvernement était résolu et ne voulait rien entendre. Alors Joseph Fox, avec tout son parti, sortit du Parlement pour ne pas partager la responsabilité d'une mesure destinée à faire verser le sang injustement.

La politique de Fox eût conservé à l'Angleterre toute l'Amérique du Nord. C'est l'entêtement aveugle du gouvernement anglais qui a hissé le drapeau étoilé. C'est le toryisme étroit qui a été le véritable fondateur de la république américaine.

La lutte de la colonie pour sa liberté, les chevaleresques chevauchées de Washington, de Lafayette et de Rochambeau, la déclaration de l'indépendance et l'avènement de la nouvelle république au delà des mers eurent une répercussion sur l'opinion publique et sur les partis politiques en Angleterre. Le germe de l'idée démocratique avait fait son apparition. On le verra plus tard se développer et prendre une place prépondérante dans la lutte des partis. Déjà chez les whigs, tout un groupe arbore le nom de « parti démocratique ».

La révolution française eut un effet encore beaucoup plus considérable sur les partis anglais. L'effroyable tuerie qui avait bouleversé toute la France avait profondément affecté l'Europe entière. Le vent de la révolution avait apporté jusqu'au delà de la Manche les idées et les doctrines nouvelles. Mais en Angleterre, on avait peur de ces idées et de ces doctrines ; elles avaient fait verser tant de sang.

Les tories considéraient que le mot « démocratie » contenait une menace et un danger pour l'État. Pour eux, un démocrate, c'était un jacobin. Les whigs proprement dits demandaient discrètement de plus grandes libertés pour le peuple mais ne voulaient pas verser dans les principes et les doctrines de la nouvelle démocratie. Le groupe des démocrates, d'autre part, leur fait ouvertement un chaleureux accueil, demande tout de suite des réformes parlementaires et fonde la « Société des amis du peuple ».

Devant cette attitude du groupe des démocrates, le parti whig, presque en bloc, se rallie au gouvernement tory de William Pitt. Toutes les classes de la société affolées se rangent du côté de la coalition. Le gouvernement s'affuble lui-même des noms de « gouvernement national », de « parti du salut national ». Tous ceux qui ne suivent pas la coalition sont des suspects, tous ceux qui lui opposent quelque résistance sont des traîtres. On entoure tout dans le drapeau et on use la corde patriotique. Dans l'opposition, il ne reste qu'une soixantaine de représentants, au nombre desquels, cependant, se trouvent les hommes les plus brillants de l'ancien parti whig : Fox, Sheridan, Erskine, Grey, Whitbread, Coke, Lambton, Tierney et les deux lords Russell.

Le gouvernement de coalition, sous William Pitt, est le plus puissant que l'Angleterre ait jamais eu. Mais le colosse avait des pieds d'argile. Son régime d'arbitraire a été de courte durée. Il s'est écroulé sous son propre poids. Pourtant Pitt n'avait rien négligé pour garder le pouvoir. La presse avait été muselée, les publicistes jetés en prison et la liberté de parole bâillonnée. Pendant ce temps, le gouvernement consacrait toutes les ressources de l'État au dieu de la guerre.

Tout à coup, l'échafaudage commença à crouler. Pitt mourut, le patronage devint impuissant à assouvir les appétits, les contrats de guerre firent place aux taxes de guerre, la peur exagérée des idées démocratiques se dissipa, les whigs se réunirent de nouveau aux démocrates qu'ils avaient abandonnés. La coalition avait vécu, le gouvernement était renversé et les tories avaient perdu pour longtemps la confiance du peuple.

Après cette période mouvementée on voit les whigs accomplir des œuvres remarquables telles que les réformes parlementaires et l'abolition de l'esclavage.

LES CONSERVATEURS ET LES LIBERAUX

Vers 1830, les partis politiques changent de noms. Les principes du parti tory étaient devenus impopulaires. On s'appliqua donc à les remodeler et à les remettre à la mode du jour. On changea jusqu'à l'enseigne. Le parti tory devint le parti conservateur. Chez les whigs on sentait aussi le besoin de changer de peau. Il y avait des éléments divers dans le parti whig ; les véritables whigs n'en formaient plus qu'une aile. Le nom de libéral fut jugé plus convenable et plus approprié. Le nouveau parti libéral comprendra les whigs, les radicaux, les démocrates, les Irlandais avec Daniel O'Connell et les chartistes.

Nous sommes arrivés à l'époque où vont naître au Canada les premiers partis politiques. Nous allons donc laisser les partis anglais poursuivre leur lutte. Ils vont la transporter sur le terrain de la politique fiscale. Ce sera le triomphe du libre-échange prêché par Richard Cobden. Puis ce sera une suite d'alliance et de coalitions, où souvent l'identité des partis se perd, et qui aboutira à la formation du soi-disant parti unioniste.

Quand la situation deviendra précaire pour un groupe ou un parti ou un gouvernement, on essaiera toujours de se maintenir en laissant entrevoir ou en promettant le Home Rule à l'Irlande, la sœur Anne de la politique anglaise qui attend toujours mais ne voit jamais rien venir.

L'Angleterre a été le pays du transformisme politique. Pitt était d'abord un whig ; il devint le grand chef des tories. Fox débuta dans la politique comme tory ; il devint le chef des whigs. Ne nous étonnons donc pas si un jour un radical-socialiste devient tout naturellement le dictateur de l'Empire.

LES PARTIS AU CANADA

Dans notre pays, on s'est toujours évertué à copier de près les partis politiques anglais. Bien souvent, on n'a pas tenu compte du fait que les problèmes de la Grande-Bretagne ne sont pas du tout les problèmes du Canada. C'est pourquoi il arrive que, quelquefois, nos partis politiques ressemblent à de petits bonshommes qui, aux dépens du bon sens et de l'esthétique, portent prétentieusement les pantalons de leurs papas.

Les partis politiques, dans notre pays, ont commencé à exister sous l'Union. Avant 1840, il n'y avait pas de partis. D'abord pendant la période qui s'est écoulée depuis la Conquête jusqu'à l'Acte constitutionnel de 1791, il n'y avait pas de parlement et, sous le régime de l'acte constitutionnel, il n'y avait pas de gouvernement responsable.

Lors du premier parlement sous l'Union, nous trouvons tous les Canadiens français faisant bloc autour de Louis-Hippolyte La Fontaine. Robert Baldwin était alors membre du cabinet. A la suite d'une sérieuse divergence d'opinion avec ses collègues sur une question de principe, à savoir, l'indépendance du ministère vis-à-vis le gouverneur, Baldwin offrit sa démission comme ministre et avec son groupe se joignit à La Fontaine et aux Canadiens français.

Le Canada aura désormais ses partis politiques : les libéraux et les tories. Tous les Canadiens français sont du parti libéral. Il n'y a pas de ligne de démarcation bien définie entre les deux groupes. Les libéraux favorisent le rétablissement de la langue française comme langue officielle au Parlement tandis que les tories s'y opposent de toutes leurs forces. Les libéraux consentent à indemniser sans distinctions ceux qui ont souffert des dommages matériels au cours des insurrections de 1837. Les tories les appellent des déloyaux et des traîtres. Le rétablissement de la langue française comme langue officielle en 1848 fut le grand succès de La Fontaine et de ses alliés.

En 1849, il se produisit une division chez les libéraux canadiens-français. Un groupe, à la tête duquel se trouvent Louis-Joseph Papineau et les deux Dorion (Antoine-Aimé et Jean-Baptiste-Eric), fonde le parti démocratique ou radical. Ils ont un journal : L'Avenir. Leurs idées sont très avancées et empreintes de radicalisme. Leur programme est plutôt révolutionnaire. On les appelle les « rouges ». Les « bleus » sont les libéraux qui ne veulent pas verser dans le mouvement de 1849.

A la même époque on voit apparaître dans le Haut-Canada les « Grits » et les « Reformers ».

En 1854, nous assistons à la fondation du parti libéral-conservateur. Ce parti repose sur une alliance entre les tories du Haut-Canada et les libéraux du Bas-Canada qui portaient le nom de « Bleus ». Pour les besoins de la politique, les tories, comme leurs parrains d'Angleterre, jugèrent à propos de remiser leur nom. George-Etienne Cartier, un des apôtres les plus dévoués de la nouvelle alliance, disait, en parlant d'eux, dans un discours programme : « Ils ont mis de l'eau dans leur vin. »

Le parti libéral-conservateur aura pour adversaire le parti libéral qui a absorbé tous ceux qui se sont dérobés à l'alliance de 1854 et qui a attiré à lui les Grits et les Reformers du Haut-Canada. Pendant longtemps, le parti libéral aura à souffrir politiquement des faits et gestes de l'école rouge de 1849. On n'a qu'à lire le discours prononcé en 1877 par Wilfrid Laurier sur le libéralisme pour s'en rendre compte. Ce discours n'est pas un programme politique, comme plusieurs l'ont souvent prétendu ; c'est une défense du parti libéral, qui, à cette époque, était accusé de contenir des germes d'anticléricalisme. Une grande partie de ce discours sert à excommunier politiquement l'école de Dorion et de Papineau, à condamner la révolution et le libéralisme français et à présenter, comme le prototype du libéralisme canadien, le libéralisme anglais de l'époque de Burke et de Fox.

Maintenant, au point de vue de leurs principes et de leurs programmes respectifs, quelle a été la différence essentielle entre les deux partis politiques canadiens depuis 1854 jusqu'à nos jours?

Je recommande cette question à ceux qui font habituellement dans les charades, les devinettes et les jeux de patience. Personne n'a encore pu réussir à donner une réponse satisfaisante.

Le mouvement de l'opinion publique et l'orientation des partis politiques au Canada en ces dernières années constituent une phase très intéressante de notre histoire politique. Il serait difficile d'en parler ici ; seulement sans sortir du cadre académique de ce travail, il me sera peut-être permis d'ajouter que l'on constate heureusement que les partis politiques, quels qu'ils soient, semblent exercer moins d'influence et avoir moins d'emprise sur la génération qui, demain, sera appelée à faire et à défaire les gouvernements de ce pays.

Voilà, en résumé, non pas l'histoire mais le tableau généalogique des partis politiques tant en Angleterre qu'au Canada.

LE RÔLE DU PARTI POLITIQUE

Les partis politiques ne sont pas reconnus par la constitution ni par aucune loi organique. Donc, théoriquement parlant, ils ne constituent pas une partie essentielle du rouage parlementaire ou administratif. Les partis pourraient disparaître demain sans qu'il soit nécessaire de changer un iota dans notre constitution ou dans nos lois. Le parti politique est une institution consacrée par la tradition seulement, mais cela ne diminue pas son importance. Ses racines sont profondément implantées jusque dans les couches profondes de notre vie politique et économique et il est devenu virtuellement inséparable de notre système de gouvernement.

Si on veut se former un jugement impartial sur le rôle du parti politique, il faut le juger à sa valeur intrinsèque et sans égard aux groupes de bandits qui, à certaines époques, réussissent à s'en emparer dans le but d'atteindre des fins abjectes. D'un autre côté, il faut tenir compte aussi du fait que bien souvent c'est le parti politique qui a permis aux indésirables de s'emparer du pouvoir ou des postes de confiance.

Il est incontestable que les partis, en Angleterre surtout, ont accompli de grandes réformes ; mais il est malheureusement trop vrai qu'ils ont aussi contribué à l'abaissement du sens moral et de l'esprit public chez le peuple.

Tout de même, les partis offrent certains avantages. Essayons de les énumérer. D'abord ils contribuent au maintien d'un certain équilibre dans le Parlement. Ils apportent un facteur de stabilité qui n'existerait pas si le gouvernement du pays était susceptible d'être renversé à chaque instant par l'action intempestive d'un groupement inattendu. Ils permettent une opposition organisée dont la vigilance est salutaire à toute administration.

De plus les partis politiques servent de tampon entre les mécontentements populaires et l'autorité constituée. Quand le peuple, à tort ou à raison, sent qu'il a des griefs, ou lorsqu'il traverse des temps de crise ou de malaise général, il éprouve un curieux besoin de renverser ses maîtres. Dans un pays monarchique, ce sentiment, poussé à l'extrême, aboutit inévitablement à la révolution. Sous le régime parlementaire le peuple renverse le gouvernement. C'est le parti politique au pouvoir qui reçoit tous les coups comme étant l'auteur de tous les maux. C'est une soupape de sûreté contre les ébullitions de l'opinion publique.

En revanche, il ne faut pas oublier que les partis politiques ont de nombreux défauts. On peut leur reprocher surtout de faire trop souvent perdre de vue les véritables intérêts du pays. 

Grâce à des propagandes bien organisées et à une exploitation habile des passions populaires, on arrive à créer autour du parti une espèce de religion, une espèce de culte, qui a pour effet de distraire le citoyen de ses devoirs envers la patrie. Les énergies dépensées au profit d'un parti sont généralement accompagnées d'une insouciance correspondante envers l'intérêt national. Les partis, en fanatisant leurs adeptes, en font des adversaires irréductibles, souvent des ennemis, et dans les moments critiques, l'effort commun, si nécessaire au salut de tous, devient impossible.

Tous les partis politiques ont pour port d'attache le pouvoir. Ils y sont, ils en arrivent ou ils essaient de s'y rendre. Ils subordonnent tout à cette fin ; c'est pourquoi les questions vitales et même les causes sacrées deviennent pour les partis politiques des expédients et des moyens. Le parti politique, par l'exercice du patronage et la distribution des faveurs, expose l'homme public à la malhonnêteté et à l'abus de confiance et il abrutit le peuple et le rend vénal.

L’OEUVRE DES PARTIS CHEZ NOUS

Tous les partis politiques, chez nous, se vantent d'avoir édifié le pays. Tous revendiquent pour eux seuls la galerie des gloires nationales. Quand la cause à défendre n'est pas bien populaire ou quand les hommes du jour sont trop petits, on fait de l'histoire, on brosse les vieilles défroques, on évoque les grands morts. Avec de la fanfare, des pièces pyrotechniques, un peu de whisky et beaucoup de promesses, on parvient quelquefois, pour me servir d'une expression de politiciens, « à trouver l'âme du peuple et à lui faire rendre un verdict sage et éclairé ». Quand le peuple revient à ses sens, il se dégoûte. . . et il recommence.

Non, la vérité, c'est que le pays a progressé malgré les partis politiques. Ouvrez les annales [du pays] depuis cinquante ans, au hasard et quel que soit le parti au pouvoir, qu'est-ce que vous constatez ? Le gouvernement construit un chemin de fer, achète un chemin de fer, vend un chemin de fer ou défait un chemin de fer. Il remanie le tarif apparemment pour le bénéfice du consommateur et du prolétaire mais en faisant du genou au manufacturier et des œillades à la haute finance.

Celui qui est ministre des finances accomplit sa besogne en faisant des tours de passe-passe avec le budget. Sa tâche principale consiste à faire oublier les obligations réelles en exhibant des surplus apparents. Il est entendu que tout nouvel impôt est créé pour expier les fautes des prédécesseurs. On pose des pierres angulaires, on prononce des discours, on organise des banquets. On mange beaucoup. On parle davantage. On fait des travaux publics dans les comtés restés fidèles et on donne des contrats aux amis. Les immigrants, les indésirables des autres pays, on les fait passer au salon et on a pour eux beaucoup d'égards. [...] Celui qui repousse la forêt pour y fonder des familles, celui-là, une fois tous les cinq ans, on reconnaît publiquement ses qualités et son courage en échange de son bulletin de vote.

Voilà ce qu'on est convenu d'appeler la politique progressive. Grossir, toujours grossir. Vous voulez que le peuple grandisse, se perfectionne, devienne meilleur, plus tolérant plus éclairé ; vous voulez dans cet agrégat cosmopolite créer l'unité nationale ? Vous vous trompez d'adresse. Je vois les ministres de tous les temps et de tous les régimes se lever les uns après les autres et vous répondre en haussant les épaules : « Ah ! cela ne relève pas de mon département ».  

L'opposition, elle, vit toujours dans la crainte que le gouvernement ne fasse quelque chose de bien. Une erreur, une faute, que dis-je, un crime de la part des gouvernants fait toujours naître un sourire plein d'espoir sur la figure de la loyale opposition de Sa Majesté.

La gauche découvre les scandales, la droite en produit. La défense classique est toujours : « Quand vous étiez au pouvoir, vous étiez pire que nous ».  Quand le public commence à être écœuré ou quand la réputation d'un politicien de renom commence à être un peu usagée, on institue des buanderies officielles et qu'il s'agisse d'un rouge maculé ou d'un bleu éclaboussé, on peut être certain qu'il sortira blanc comme neige ; il n'y a pas une tache qui résiste à la lessive d'une commission d'enquête.

Et voilà une vue d'ensemble de l'œuvre grandiose des partis politiques chez nous.

CONCLUSIONS

Quel est le remède ? Est-ce l'opération chirurgicale ou le tonique ? Est-ce l'abolition des partis politiques ou la régénération de l'opinion publique ? Quant à moi, je suis porté à croire que le second moyen est le plus efficace et le plus pratique.

Si les partis politiques disparaissaient, ils seraient remplacés par autre chose, car enfin, l’opinion publique a besoin d'un moyen de cohésion. Le groupement changerait peut-être de nom et de forme mais les mêmes éléments pernicieux et nuisibles produiraient les mêmes résultats et les mêmes conséquences.

Vouloir abolir les partis politiques serait une tâche herculéenne et peut-être une mesure trop radicale. Les énergies qu'on y dépenserait seraient mieux utilisées à enrayer l'esprit de parti qui a pris la place de l'esprit public. Voilà l'abus. Voilà le mal.

Au fond, les partis et les gouvernements décadents, dilapidateurs, irrespectueux des constitutions, des lois et de la tradition nationale sont presque toujours l'indice d'une opinion publique insouciante, endormie ou corrompue. Les peuples ont les gouvernements qu'ils méritent. Ceux qui ont développé chez eux de l'esprit public, de la vigilance, du caractère, ont eu des gouvernements respectueux de l'ordre et de la justice et des partis politiques prudents, parce qu'ils étaient craintifs. En politique, la crainte de l'électeur est le commencement de la sagesse.

Débarrassons-nous donc du fétichisme et des religions politiques. Remplaçons-les par le culte de l'intérêt national. Dégageons notre politique du matérialisme pesant qui l'oblige à se tenir près de terre et l'empêche de s'élever jusqu'aux sphères supérieures. Rappelons à nos partis politiques et à nos hommes publics que le progrès d'un pays ne consiste pas seulement dans l'augmentation de ses revenus et dans son développement matériel, mais que les nations, comme les individus, sont susceptibles d'avancement intellectuel et moral.

Le vent qui souffle actuellement sur le monde va bouleverser de fond en comble notre vie nationale. Nous sommes déjà en pleine révolution politique. Des anciennes délimitations arbitraires qui séparent les partis, il ne restera bientôt que le souvenir des chicanes stériles qu'elles ont engendrées. De nouveaux problèmes vont surgir. Il faut que nous soyons prêts à prendre position.

Préparons-nous donc. Régénérons l'opinion publique. Travaillons à l'édifice national. [...] Le pays est là qui attend, vaste d'étendue, immense de ressources et de richesses, plein de vigueur, d'espérance et d'avenir. [...] Il demande une nation; nous ne lui avons donné qu'un peuple.

Secouons nos ailes et élevons-nous. Nous sommes déjà en retard.


Tiré de : Paul-Émile Lamarche : Oeuvres – Hommages, Montréal, Bibliothèque de l’Action française, 1919, p. 165-187. 

Le Devoir, 27 septembre 1917, p. 1. 

Le Devoir, 28 septembre 1917. 

Biographie de Paul-Émile Lamarche, encore
disponible aux Presses de l'Université Laval
(pour informations, cliquez ICI). 

Le recueil de textes de Paul-Émile Lamarche qui
contient sa conférence du 27 septembre 1917.
 

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