Photo dédicacée de Wilfrid Pelletier ; (collection Daniel Laprès). |
À en croire plusieurs parmi ceux qui nous tiennent lieu de prétendues élites, rien de lumineux n'aurait existé au Québec d'avant la soi-disant «Révolution tranquille». Avant 1960, nous n'aurions été que «Grande Noirceur», et depuis, que «société éclairée». Selon cette thèse, nous ne pouvions donc produire au Québec d'avant 1960 qu'inculture, ignorance et fermeture sur le monde.
Pourtant, quand on creuse notre histoire telle qu'elle fut vécue et, je dirais, habitée, on découvre dans le passé québécois une multitude de joyaux, de l'esprit et des arts, notamment. Car oui, des immenses créateurs, des artistes de stature mondiale, nous avons bel et bien su en en susciter, à partir du peuple qui trimait dur que nous étions.
À preuve, l'histoire de Wilfrid Pelletier, qui est né en 1896 à Montréal dans le quartier ouvrier et pauvre du «Faubourg à m'lasse», lequel constituait tout un milieu de vie populaire qui a été dévasté pour faire place à ce sommet de laideur absolue qu'est la désolante zone entourant - et incluant - l'édifice de Radio-Canada.
En parcourant le livre Propos et portraits, publié en 1940 par Mgr Olivier Maurault, alors recteur de l'Université de Montréal, j'ai découvert le captivant portrait que celui-ci faisait de Wilfrid Pelletier au moment de lui remettre un doctorat honoris causa. En lisant ça, on se dit que pour une société souvent dite de culs-terreux enténébrés, on pouvait quand même faire émerger de bien brillantes étoiles.
(On visionnera d'ailleurs avec intérêt le court-métrage de 28 minutes que l'ONF consacrait en 1960 à notre grand maestro. Pour le voir, cliquez ICI).
J'inaugure donc ces Glanures historiques québécoises en vous présentant ce qu'Olivier Maurault dit alors de cet enfant du «Faubourg à m'lasse» :
M. Wilfrid Pelletier
par Mgr Olivier Maurault
par Mgr Olivier Maurault
«M. Wilfrid Pelletier est né à Montréal en 1896. Il est donc bien des nôtres, et grâce à Dieu il est encore jeune.
Je n'ai pas à faire une biographie complète de notre nouveau docteur. Mais, comme nous voulons distinguer en lui aujourd'hui tout spécialement le musicien, on me permettra de rappeler rapidement sa belle carrière d'artiste.
Vous avez été précoce, monsieur. N'ai-je pas lu que, dès l'âge de six ans, vous jouiez de la grosse caisse dans une fanfare, et à neuf ans, du tambour dans un théâtre. Évidemment, vous aviez le sens du rythme ! Alliez-vous devenir tambour-major ? Non. Vous aviez à peine l'âge de raison que vous vous adonniez à l'étude du piano et de l'harmonie. Était-ce avec cette excellente madame Héraly, professeur remarquable qui aima son élève comme un fils ? Combien de temps ? Je ne sais !
En tout cas, vous avez continué avec Alexis Contant et Alfred Laliberté. Et à quinze ans, capable de lire la musique à première vue avec une facilité déconcertante, vous étiez déjà assez habile pour être sous-maître de choeur d'une compagnie montréalaise d'opéra, aujourd'hui disparue; et à 16 ans, vous gagniez le prix d'Europe de la province de Québec.
Nous sommes en 1912. Vous vous rendez à Paris où vous étudiez le piano avec Isidore Philipp, la composition avec Marcel Samuel-Rousseau, et le répertoire classique de l'opéra avec Camille Bellaigue. Et vous nous revenez.
C'est alors que je vous entendis pour la première fois. Vous étiez frêle, vous étiez blond - du moins c'est la couleur de mon souvenir - : vous ressembliez au portait que nos journaux donnent encore de vous; et vous jouiez extrêmement bien ! Quand vous accompagniez un chanteur, c'est vous que j'écoutais, parce que votre accompagnement, sans cesser d'être discret comme il convient, était d'une intelligence et d'une aisance parfaites. J'ajoute que votre talent d'accompagnateur ne nuisait en rien à vos dons de virtuose, grâce à votre personnalité très accusée. Et tous les amateurs de musique se réjouissaient de vous posséder, lorsqu'un jour, vous nous quittâtes !
New York, la ville dont les tentacules franchissent les frontières et même l'océan, vous avait touché et attiré. Vous aviez vingt ans. Vous en avez maintenant quarante et vous voilà de nouveau parmi nous. Le destin a de ces surprises. Qu'avez-vous fait dans ce laps de temps? Vous avez, je crois, beaucoup travaillé...
Quand on nous dit que vous avez fait le tour de l'Amérique avec la Compagnie Scotti ; que vous avez vous-même dirigé des représentations à Los Angeles, San Francisco et Détroit; que vous avez accompagné Madame Lily Pons dans une tournée; nous devinons déjà quelle dut être votre tâche. Nous la comprenons encore mieux, quand nous apprenons que vous avez préparé à paraître sur les scènes des solistes comme Caruso, Farrar, Bori, Martinelli, et Gigli, Melchior, Lily Pons, Tibett, de Luca, Alda, Jéritza, Schorr, Lorenz.
Évidemment, Monsieur, votre compétence ne faisait de doute pour personne. Dès lors, ne nous étonnons pas de votre constante ascension dans l'institution où votre activité se manifestait si heureusement. Entré au Metropolitan Opera comme assistant de Pierre Monteux, chef d'orchestre du répertoire français, vous devenez en 1930 secrétaire du directeur de la maison, Monsieur Gatti-Casazza, et assistant du premier chef d'orchestre. Depuis l'accession de M. Edward Johnson à la gérance du «Metropolitan», vous avez été promu de diverses manières : devenu vous-même chef d'orchestre, vous avez assumé la direction des concerts dominicaux; vous voici maintenant chargé de conduire les principales représentations lyriques et l'on vient de vous nommer membre du jury qui examine les candidats au «Metropolitan».
Au milieu de vos succès et des jouissances d'art qui les accompagnaient, votre esprit se tournait vers votre ville natale. Et vous attendiez comme un signal... Il vint.
Comment vint-il exactement? Je ne saurais le dire, car je ne connais pas, avec assez de précision, la genèse de l'association des Concerts Symphoniques de Montréal. Je souhaite qu'on nous la raconte aujourd'hui dans le détail. Ce que je sais, c'est que M. Athanase David, un jour de 1934, annonça à notre population la fondation de ces concerts. Jamais initiative ne vint plus à son heure : on l'a vu, par son étonnant succès. L'honorable ministre a beaucoup fait pour la culture générale dans cette province, pour le développement des arts en particulier: sa dernière fondation est comme la fleur de toutes les autres. Il vous en a confié l'organisation technique.
Vous vous y êtes consacré avec un entrain et un désintéressement qui vous honorent. Cet instrument subtil, complexe, humain, qu'on a mis entre vos mains, vous l'avez poli et assoupli. Vous l'avez si bien discipliné que d'autre après vous l'ont fait obéir à leur guise. Je vous regardais, hier, avec avidité, admirant la puissance du moindre de vos gestes, quand vous déchaîniez les cuivres et que vous les apaisiez; quand vous faisiez chanter les violons et que vous invitiez d'un signe les violoncelles à leur répondre; quand, à la manière d'un grand magicien, vous faisiez surgir des derniers rangs mystérieux de l'orchestre, des sonorités charmantes: chants d'oiseaux, son de cloches, ruissellements d'eau claire, pluies d'étoiles. Nous étions tous fascinés.
Et j'ai compris combien l'Université de Montréal répondrait au désir du public en vous décernant aujourd'hui un grade.
C'est pourquoi, mesdames et messieurs, je suis particulièrement heureux de proclamer M. Wilfrid Pelletier, chef d'orchestre du Metropolitan Opera de New York, qui fait grand honneur à notre ville dans la métropole des États-Unis, directeur artistique de l'Association des Concerts Symphoniques de Montréal, Docteur en musique honoris causa de l'Université de Montréal, avec tous les privilèges que ce grade comporte».
Tiré de : Mgr Olivier Maurault, Propos et portraits, Montréal, Éditions Bernard Valiquette, 1940, p. 257 à 261.
Exemplaire des mémoires de Wilfrid Pelletier dédicacé par lui et son épouse ; (collection Daniel Laprès). |
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