lundi 7 novembre 2022

Un caractère trempé pour la lutte : Édouard Labrecque (1846-1870)

L'ancien édifice de l'Université Laval, à Québec, à
l'époque où 
Édouard Labrecque y étudiait le droit.

(Sources : Université Laval : BANQ ; Édouard Labrecque : Fonds d'archives du Séminaire de Québec). 


   Natif de Saint-Laurent-de-l'île-d'Orléans, fils d'un pilote navigateur sur le fleuve Saint-Laurent, Edouard Labrecque n'avait que 24 ans lorsqu'il fut soudainement fauché par le typhus, le 14 décembre 1870, à Québec. Pourtant, à force de labeur et de persévérance, notamment dans ses études, tous les aspects de la vie lui souriaient, lui qui était promis aux plus grands succès de carrière, mais aussi dans sa vie personnelle. Le deuil fut vivement ressenti dans divers milieux de la Vieille Capitale, car ce tempérament d'acier, dont les convictions et valeurs étaient aussi nettes qu'inébranlables, était l'une de nos plus belles et prometteuses intelligences de l'époque. Et, tristement pour nous, des Édouard Labrecque, nous n'en faisons de nos jours émerger que très peu, sinon plus du tout.

   Cette glanure présente l'émouvant témoignage qu'Isidore-Noël Belleau, confrère et ami d'Édouard Labrecque au Petit séminaire de Québec puis à la faculté de Droit de l'Université Laval, rédigea en mémoire de celui-ci 37 ans après sa mort. Cette lecture montre qu'en ces temps que l'on qualifie sottement de « grande noirceur », nous savions produire en bon nombre des esprits de très haute stature. Et par son exemplarité, ce jeune homme remarquable que fut Édouard Labrecque a beaucoup à nous enseigner à notre époque bien grisâtre en matière de vie de l'esprit. Il vaut donc la peine de le sortir de l'oubli dans lequel il est confiné depuis plus de 150 ans, et ce, ne serait-ce que pour nous remémorer la nature valeureuse de plusieurs parmi les nôtres de jadis et dont sa vie est une éloquente illustration. 

   Et tout au-dessous du texte, vous trouverez un hyperlien conduisant vers un très beau et émouvant poème que son autre ami Adolphe Poisson, le barde d'Arthabaska, a composé dans les jours suivant la mort d'Édouard Labrecque. Le poème parut la semaine suivante dans le journal L'Union des cantons de l'Est.

   Voici donc, assorti de diverses photos d'époque, le témoignage d'Isidore-Noël Belleau sur son grand ami de jeunesse : 


ÉDOUARD LABRECQUE

par son ami et confrère de classe 
Isidore-Noël Belleau 


   Né à St-Laurent, île d'Orléans, le 15 décembre 1846, d'Édouard Labrecque, pilote de bateau, et de Françoise Godbout ; baptisé le lendemain sous les prénoms de Damase-François-Édouard ; entré au Petit Séminaire de Québec, en 1860 ; élève finissant, en 1868 ; admis à l'étude du droit, en 1868 ; décédé à Québec le 14 décembre 1870, et inhumé au cimetière Belmont.

   Édouard Labrecque était fils d'un pilote de Saint-Laurent, île d'Orléans.

   M. l'abbé Bonneau, ancien curé de cette paroisse, le remarqua de bonne heure. Il l'attira à son presbytère et, constatant ses heureuses dispositions, sollicita son entrée au Séminaire. Ce saint prêtre, qui portait un vif intérêt à la jeunesse, ne le perdit plus de vue pendant tout le cours de ses études. Il le voyait fréquemment, l'encourageait de ses conseils et ne dissimulait pas la satisfaction que lui donnait sa bonne conduite et ses succès. Son protégé le payait d'égards respectueux, et d'une affection reconnaissante qui ne s'est jamais démentie.

L'abbé Louis-Edmond Bonneau (1826-1888), bienfaiteur d'Édouard
Labrecque, et son presbytère de Saint-Laurent-de-l'île-d'Orléans,
dont il fut le curé de 1859 à 1868)

(Sources : Abbé L.-E. Bonneau : Fonds d'archives du Séminaire de Québec
Presbytère : Patrimoine culturel du Québec. Cliquer sur l'image pour l'élargir)

   Au Séminaire, il se plaça de suite aux premiers rangs, et à mesure que ses talents se développèrent sa supériorité s'imposa et fut admise sans conteste. Caractère trempé pour la lutte, nature pleine de feu, dont l'ardeur était tempérée par une volonté ferme et réfléchie, il visait le but et y marchait d'un pas sûr.

   Rien n'était plus assuré que ses succès. Il n'avait pas de ces intermittences de zèle et de relâchement auxquelles peu échappent dans la vie d'étudiant. Il ne manqua jamais, ni sur une leçon, ni sur un devoir.

   Pourtant, avec une nature ardente, passionnée comme la sienne, il ne dut pas échapper aux influences qui détendent les ressorts de la volonté et paralysent l'énergie. Il eut, plus que tout autre peut-être, ses heures d'énervement. Il eut des chagrins, des agitations intérieures, des tempêtes de cœur. Qui n'en a pas à l'âge de l'adolescence ! Mais son calme extérieur n'en fut pas troublé, et jamais il ne perdit de vue le but vers lequel il avait, dès le début, orienté sa vie.

Le portail du Petit séminaire de Québec, dont Édouard Labrecque fut l'élève de 1859 à 1868. 

(Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec ;
cliquer sur l'image pour l'élargir)

   Ce tempérament tout de feu, épris de liberté, frémissait souvent sous le joug de la discipline. Il avait des piétinements et des accès de fièvre, mais comme le coursier de sang, il était toujours docile et souple sous le frein qui le comprimait.

   Réglé dans son travail, il ne l'était pas moins dans sa conduite. Son orgueil aurait été profondément blessé d'être une seule fois trouvé en défaut, tant il paraissait convaincu qu'une faiblesse aurait été indigne de lui. Je ne crois pas qu'un seul de ses confrères puisse se rappeler qu'il ait été une fois l'objet d'une réprimande. C'était dans sa nature d'être toujours au poste du devoir.

   Lorsqu'il arriva au terme de ses études, le choix de sa carrière était fait. Il n'éprouva aucune des inquiétudes qui tiennent si souvent la volonté indécise, à cette époque décisive de la vie d'un jeune homme. Ses goûts, ses aptitudes, ses ambitions le portaient vers la profession d'avocat. Il se sentait armé pour la lutte et les dangers, fort et maître de lui-même. Il y entra sans une minute d'hésitation.

   Là, se présenta pour lui le premier problème à résoudre. Toutes les ressources de sa famille avaient été mises à contribution pour lui permettre de terminer son cours classique. Il était laissé à lui-même, absolument. Mais il ne se découragea pas pour si peu. Il alla frapper de porte en porte, offrant ses services comme professeur privé, jusqu'à ce qu'il eut trouvé suffisamment de leçons à donner pour payer ses cours et sa pension à l'Université. Puis il alla bravement trouver le directeur du pensionnat, et engagea son crédit pour le premier terme à payer. Il fut toujours fidèle à ses échéances.

   Dans ses engagements, les heures destinées aux cours et à l'étude du patron restaient intactes, car il empruntait à ses récréations. Dans l'étude du droit, il avait trouvé son élément. Son esprit bien équilibré trouvait vite la solution d'un point de droit, et son jugement en faisait l'application avec sûreté. D'ailleurs, son amour du travail faisait fi des difficultés et des obstacles. Là, comme au Séminaire, il ne connut ni les faiblesses ni le relâchement. Le regard toujours en avant, il gouverna sa vie comme un pilote intrépide, son vaisseau, sans jamais dévier de sa course. Ceux qui l'ont connu pourtant, et surtout à cette époque, savent ce qu'il y avait au fond de cette nature d'aspirations à régler et d'emportements à contenir. Il resta toujours maître des unes et des autres.

  Qui n'a admiré cette foi vive, ardente et pratique qui bravait le respect humain et méprisait le préjugé comme des faiblesses indignes d'un homme ! À vingt-trois ans, ce fier garçon, pour qui le monde semblait trop étroit, s'agenouillait et priait avec la piété d'un enfant. Il assistait à la messe et disait son chapelet tous les jours, et allait tous les mois à confesse. Et gare à celui qui eut voulu le railler sur ses pratiques religieuses !

   En revoyant aujourd'hui ces choses par la pensée, après quarante ans, à la lumière de l'expérience acquise des choses de la vie, on sent comme un regain d'admiration pour ce beau et grand caractère.

   Son ambition était excessive, démesurée. Elle eut effrayé ceux qui s'intéressaient à son avenir, s'ils ne l'eussent connu capable de la contenir. Il ne rêvait que professorat, luttes au Palais, domination des foules, succès à la tribune politique, au parlement. Il se sentait fait pour un rôle et s'y préparait. Et, dans son impatience d'arriver à tout ce qu'il voyait dans ses rêves, ses pieds brûlaient le chemin. Rien n'arrivait assez vite au gré de ses désirs. Il aurait voulu tout embrasser d'une seule étreinte, de suite comme s'il eût eu le pressentiment que tout allait lui échapper.

   C'était à l'automne de 1870, à la fin de novembre. Quelques mois encore, et il mettait le pied sur ce théâtre, objectif de ses ambitions. Avocat, titulaire d'une chaire de droit que lui offrait Laval, il prenait sa place au banquet de la vie… et le roman de sa première jeunesse, ce roman tout ouvert à ceux qui le connaissaient, allait avoir son dénouement.

   Il fut saisi soudain par une fièvre qui interrompit ses études. Pendant quelques jours, la maladie suivit son cours avec une apparence de bénignité qui paraissait rassurante, quand tout-à-coup une complication grave se déclara aux poumons, aux bronches, et au cerveau tout à la fois. Les médecins consultés ne laissaient aucun espoir, et son directeur spirituel, feu le cardinal Taschereau, alors supérieur, accourut lui porter les derniers secours de la religion. Ce fut un moment solennel. Une fièvre brûlante le dévorait. Sa figure était congestionnée. Son œil égaré, mais encore plein de feu, semblait interroger. Il eut un moment de calme où il sembla recueillir ses pensées, se confessa et reçut l'Extrême-Onction. Puis la fièvre reprenant tout-à-coup, il bondit hors de son lit, et se dressant de toute sa hauteur : « Il est temps de partir, dit-il, allons ! »

   Le temps était arrivé, en effet. Ce déploiement de vigueur physique n'était que factice. Il était dompté, vaincu, la proie de cette grande victorieuse, la mort !

Édouard Labrecque est mort le 14 décembre 1870 à l'Hôpital de la
Marine
, à Québec. Sa construction ayant été achevée en 1835,
l'édifice se trouvait à la Pointe- aux-Lièvres en bordure de la
rivière Saint-Charles, près de Saint-Roch. Il a été démoli en
1962, suite à un incendie.

   C'était le 14 décembre 1870.

   Ce fut un coup de foudre à l'Université ! « Labrecque mort ! Était-ce possible !? »

   Un voile de deuil enveloppa tout le personnel du pensionnat. Il fut pleuré au Séminaire par ses anciens directeurs, à l'Université par les professeurs et les élèves, pleuré surtout par ses confrères de classe, qui avaient pour lui une sincère admiration et un profond attachement.

   Ses funérailles, dont ses confrères du pensionnat voulurent eux-mêmes payer les frais eurent lieu à la cathédrale, aujourd'hui la basilique, le 16. Elles furent imposantes.

Entrefilets parus dans le journal L'Événement
de Québec, les 14 et 17 décembre 1870.

(Cliquer sur le document pour l'élargir)

   Sa mort brisa pour le monde, deux existences, la sienne et celle de l'héroïque jeune fille, la fleur de la société de Québec, qui alla ensevelir dans un couvent, à l'extrémité de la province, sa douleur et ses souvenirs.

   Ce fut le dénouement inattendu de ce que nous avons appelé le roman de sa vie.

  Ce cher Édouard Labrecque a le premier manqué à l'appel. Qui l'eût cru ? Mais son souvenir est resté aussi vivace qu'aux premiers jours. Et plus d'un, nous le savons, a vu, durant ces trente-sept ans [qui se sont écoulés depuis], passer devant ses yeux son image comme une invitation aux bons exemples qu'il nous a laissés.

                                                                                 Isidore-Noël Belleau (1907)

Texte tiré de : Abbé David Gosselin, Les étapes d'une classe au Petit séminaire de Québec (1859-1868), Québec, Imprimerie H. Chassé, 1908, p. 241-246.

Isidore-Noël Belleau (1848-1936),
auteur du texte présenté ci-haut. 
Photo de finissant au Petit séminaire
de Québec (1868).

L'hommage présenté ci-haut avait d'abord paru dans Les étapes
d'une classe au Petit séminaire de Québec (1859-1868)
, de l'abbé
David Gosselin (1846-1926). L'abbé Gosselin avait été le confrère
 d'Édouard Labrecque au Petit séminaire et comme lui il est natif
de Saint-Laurent-de-l'île-Orléans. Au sujet de l'abbé Gosselin,
voyez ICI l'article que Louise V. Labrecque a publié en 2021
dans le journal Autour de l'île.

Quelques jours après la mort d'Édouard Labrecque, le 
poète Adolphe Poisson, qui lui aussi avait été son 
condisciple au Petit séminaire de Québec, a publié
dans L'Union des Cantons de l'Est un poème à sa 
mémoire. Pour le consulter, cliquer sur cette image : 

3 commentaires:

  1. Intéressant. Était-il un descendant de Jean où Pierre Labrecque?

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    1. Très probablement, et ce, d'autant plus qu'il est né dans le village où les premier Labrecque se sont établis au 17e siècle.

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    2. Et personnellement, je suis un descendant de Pierre Labrecque.

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