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Photo du haut : La route de la Petite ferme et du cap Tourmente, 1903. Photo du bas : colonne d'élèves du Petit séminaire de Québec de retour d'une promenade sur le cap Tourmente et passant par la Grande ferme, 1920. La Petite et la Grande ferme appartenaient alors au Séminaire de Québec.
(Source : Musée de la civilisation du Québec / Fonds d'archives du Séminaire de Québec) |
Dans le récit que l'on lira ci-dessous de la montée du Cap Tourmente, en juin 1867, par 252 élèves du
Petit séminaire de Québec, se trouvent notamment ces lignes dont l'esprit rejoint tout-à-fait les motivations qui ont fait entreprendre tout ce travail de remontée à la surface de l'oubli de nos meilleurs esprits d'antan que réalisent nos « glanures » de même que « Nos poésies oubliées » :
« ... ces beautés sont hélas ! du genre de toutes celles que
nous trouvons sur la terre : elles passent, et passent bien rapidement ; et, si
je ne puis arrêter les ravages du temps, je me crois au moins en conscience
d’arracher, en autant qu’il m’est possible, leur souvenir de l’oubli ».
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L'abbé J.- Patrick Doherty (1838-1872), à l'époque où il était jeune enseignant au Petit séminaire de Québec.
(Source : Fonds d'archives du Séminaire de Québec ; collection Album de Gaspé). |
L'auteur est l'abbé J.-Patrick Doherty, né à Québec le 2 juin 1838, dont les parents d'origine irlandaise sont Patrick Doherty et Bridget Byrns. Remarqué pour sa vive intelligence dès ses années d'école primaire chez les Frères de la doctrine chrétienne, J. Patrick Doherty débuta en 1852 son cours classique au Petit séminaire de Québec, puis entra en 1861 au Grand séminaire de la même ville. Ordonné prêtre le 11 mars 1865, il fut d’abord enseignant au Petit séminaire de Québec, mais son mauvais état de santé le força, quatre ans plus tard, à entrer dans le ministère paroissial. Après un voyage à Rome et en Terre-Sainte, il fut nommé, en 1870, vicaire à Sainte-Catherine-de-Fossambault (aujourd'hui Sainte-Catherine-de-la-Jacques-Cartier), où l'on espérait que l'air plus sain allait l'aider à rétablir sa santé, ce qui ne fut pas le cas. En 1871, il fut nommé vicaire à la paroisse Saint-Roch de Québec et chapelain de l’Hôpital de la Marine ; peu après, il dut séjourner quelques mois en Géorgie et en Floride sur les conseils de son médecin, mais il ne put prendre du mieux. Le 21 mai 1872, il mourut au presbytère de la paroisse Saint-Roch de Québec, à l’âge de 33 ans. Il était atteint de phtisie, une grave maladie des poumons, depuis des années, mais il semble qu'il soit mort du typhus.
Quelques mois après la mort de l'abbé Doherty, son ami l'abbé Louis-Honoré Paquet a réuni en volume ses principaux écrits en français, puis l'année suivante en anglais. Outre le captivant récit présenté ici-bas de l'ascension du cap Tourmente, on y trouve une notice biographique qui permet de mesurer toute l'originalité de la personnalité de l'abbé Doherty, de même que le niveau prodigieux de sa culture. Pour consulter ou télécharger cette notice, cliquez sur la couverture du volume (ou pour l'ouvrage complet, cliquer ICI) :

Dans la Chapelle des Ursulines, au Vieux-Québec, où il avait célébré sa première messe quelques années plus tôt et où résidait sa sœur religieuse, se trouve encore ce marbre funéraire rappelant le souvenir du jeune abbé Doherty, mort il y a 150 ans cette année. Ce sont ses amis irlandais qui, l'automne suivant sa mort, avaient tenu à commémorer ainsi celui qui fut inhumé dans cette chapelle et qu'ils tenaient en haute estime, lui dont le génie, le dévouement et la cordiale personnalité faisaient leur fierté :
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Photo : Daniel Laprès, 25 juin 2022.
(Cliquer sur l'image pour l'élargir) |
L'abbé Doherty est bien oublié de nos jours, même s'il fut l'un de nos meilleurs talents littéraires
de son époque. Les rares parmi nos contemporains qui ont la chance de le découvrir et de le lire sont assurés de passer de réjouissants
moments. Ernest Myrand, qui deviendra directeur de la bibliothèque parlementaire à Québec, raconte que « l’abbé Patrice Doherty, spirituel au superlatif, toujours gai et d’une amabilité inaltérable, était le boute-en-train de toutes les fêtes, l’âme de tous les plaisirs, la meilleure application du vers immortel du poète : Eia age, nune salta, non ita musa diu Musa juvat ! » [peut se traduire par : « Courage ! Allons, sois joyeux sans retard, car la Muse ne sera pas toujours près de toi !]. L'abbé Doherty a certes bien fait d’écouter Virgile, il est mort à 33 ans ! » (Source : Ernest Myrand, Une fête de Noël sous Jacques Cartier, Québec, 1888, p. 36).
Réputé donc pour la vivacité et la pétillance de son esprit, et doté à la fois d'un art de la répartie qui faisait les délices de ses auditeurs et d'un imparable sens de l'humour, l'abbé Doherty mettait de la vie dans toutes les
activités auxquelles il prenait part, que ce soit au Petit séminaire de Québec
où il a enseigné quelques années, ou à la maison de vacances du Séminaire au «
Petit Cap », à Saint-Joachim au pied du Cap Tourmente, ou auprès de ses paroissiens et des malades dont il était l'aumônier, ou encore en tant que
compagnon de voyage, comme on le verra un peu plus loin.
Au Petit séminaire, les élèves préféraient rester en classe et
manquer leur récréation afin d'écouter l'abbé Doherty leur raconter des
histoires avec sa verve phénoménale, ce qui était en soi tout un tour de force pour un enseignant, surtout à cette époque. En témoigne son élève Joseph-Edmond Roy (cliquer sur son nom), qui deviendra historien
et aussi maire de Lévis, selon qui l'abbé Doherty était « la personnification de la plus aimable comme de la plus fine gaieté » et qui ajoute :
« Au printemps de 1872 nous assistions aux funérailles du bon
abbé Doherty, ce prêtre irlandais si drôle, si plein d'ingénieuses inventions
pour tenir les élèves toujours en alerte et de bonne humeur. Habitués que nous
étions à entendre ses amusants récits où à lire ses désopilantes histoires, son
départ du séminaire nous avait mis le cœur en deuil, et sa mort arrivée au
presbytère de Saint-Roch, fut pour nous une perte cruelle. Après les
funérailles, nous accompagnâmes la dépouille jusqu'au cloître des Ursulines où
elle repose tout près des restes d'une sœur du mort regretté ». (Source : Joseph-Edmond Roy, Souvenirs d'une classe au Séminaire de Québec, Lévis, 1905, p. 405-406, 480).
Arthur Buies, qui lui-même était l'une de nos meilleures plumes
de l'époque, et malgré son anticléricalisme frénétique, a évoqué quant à lui « le talent descriptif, doux, folâtre et
original de l'abbé Doherty, […] un Irlandais par l'origine,
mais un vrai Gaulois par la forme, par l'éducation, la tournure d'esprit ». Puis, rappelant que dans notre pays, « on conserve l'esprit de
nos pères, l'ironie qui ne blesse pas et qui amuse » (toutes choses, notons-le,
disparues de ce qui nous tient lieu d'intelligentsia moderne), Buies mentionne
que l'abbé Doherty « avait au plus haut degré cette teinte fine et doucement
piquante qui est comme le parfum des fleurs après un orage ». (Source : Arthur Buies, Chroniques, édition critique présentée par Francis Parmentier, tome 1, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, p. 507-509).
L'abbé Doherty fut notamment le compagnon de voyage, en 1871, de son confrère l'abbé Léon Provancher, fondateur de la botanique au Canada français et aussi du Naturaliste canadien, première revue scientifique de langue française en Amérique, lorsque les deux compères se virent conseiller par leurs médecins respectifs de séjourner quelques mois en Floride. Le chanoine Victor-Alphonse Huard, biographe de Provancher, raconte un épisode de ce voyage qui met en relief l'humour taquin de l'abbé Doherty :
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L'abbé Léon Provancher(1820-1892), botaniste, entomologiste, naturaliste, qui fut l'objet de certaines taquineries humoristiques de l'abbé Doherty.
(Source : BANQ) |
«
Ce fut dans l’un des trajets en chemin de fer, au cours de ce même voyage en Floride,
que son compagnon feu l’abbé Doherty, dont les anciens se rappellent l’esprit
et les aimables qualités, lui joua le joli tour que voici et dont je ne sais
plus comment j’ai eu connaissance. Durant, l’arrêt du train à quelque station,
l’abbé Provancher était descendu, comme il faisait souvent, pour tâcher de
faire quelques captures d’insectes intéressants dans les fourrés avoisinants. — Mais que cherche donc votre compagnon ? demandèrent à M. Doherty, resté dans
le wagon, quelques dames qu’intriguaient les agissements de l’abbé Provancher.
— Ah ! le pauvre monsieur! répondit l’abbé Doherty. Il a l’esprit un peu
troublé... Sa manie est de chercher partout des épingles... Si vous voulez lui
faire plaisir, offrez-lui des épingles quand il remontera dans le train. Et
en effet, dès le retour de l’abbé Provancher, les obligeantes voyageuses se
firent un devoir de lui présenter des épingles... Tableau ! comme disent les
chroniqueurs des gazettes... »
Puis le chanoine Huard de poursuivre :
« M. Doherty était un excellent compagnon de voyage pour l'abbé Provancher. Il était la personnification de la courtoisie et de la gaieté, et il possédait à un haut degré l'humour irlandais. […] Il avait
enseigné l'anglais au Séminaire de Québec durant quelques années (1865-70). Pour nous familiariser plus rapidement avec la langue anglaise, il avait
imaginé de nous faire soutenir en classe, et en anglais, bien entendu, des
discussions littéraires ou historiques. À cette initiative originale, je dois
d'avoir prononcé, au moins une fois dans ma vie, un discours en langue anglaise
— discours où je rabrouais de belle façon Charlemagne ou Napoléon Bonaparte, je
ne sais plus ». (Source : V.-A. Huard, La vie et l'œuvre de l'abbé Provancher, Paris, éditions Spes / Québec, Librairie J.-P. Garneau, 1926, p. 253-254, 317-318).
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Probablement au cours d'un voyage, l'abbé Doherty pose avec son ami l'abbé Napoléon Laliberté, surnommé « la grue », qui fut l'objet de l'ultime facétie de l'abbé Doherty sur son lit de mort..
(Source : Musée de la civilisation du Québec ; fonds d'archives du Séminaire de Québec) |
Enfin, le chanoine Huard rapporte que, même à l'article de la mort, l'abbé Doherty trouvait encore le moyen de faire rire, cette fois son ami l'abbé Napoléon Laliberté, qui fut membre du Congrès de la Baie-Saint-Paul (cliquer sur le nom), première association connue de poètes au Canada français, en plus d'avoir été le confesseur de Louis Riel lorsque celui-ci fut interné à l'asile psychiatrique de Beauport : « On
a raconté dans le temps que, sur son lit de mort, et lorsqu'il ne pouvait plus
parler, il reçut la visite de l'un de ses anciens collègues et amis du
Séminaire de Québec, feu l'abbé N. Laliberté. Celui-ci, pour des motifs que
j'ignore, avait reçu des écoliers le sobriquet de «la grue». Or, quand il
demanda au mourant s'il le reconnaissait, l'abbé Doherty souleva sa main
défaillante et figura avec son index la courbure du long cou de l'échassier bien
connu » (op. cit, p. 318).
Maintenant que les principaux traits du caractère et de l'esprit de l'abbé J.- Patrick Doherty vous ont été, précisément 150 ans après sa mort, ci-haut présentés, il est maintenant temps de savourer son exquis récit de l'ascension du cap Tourmente par les 250 élèves du Petit séminaire de Québec, en juin 1867. À noter que l'abbé a écrit ce texte à l'intention de lecteurs « dans trois cents ans » ; son écrit étant oublié depuis très longtemps, nous ne ferons donc que devancer d'un peu plus de 150 ans le lectorat envisagé par cet homme d'esprit produit par notre peuple et qui a enrichi notre littérature des beaux fruits de sa plume. Nous avons cru bon d'intercaler le texte de nombreuses photos, prises entre 1869 et 1915, d'élèves du Petit séminaire de Québec alors qu'ils font l'ascension du cap Tourmente ou se trouvent au Petit-Cap mentionné par l'abbé Doherty ; toutes ces photos sauf quelques-unes ont été puisées dans le fonds d'archives du Séminaire de Québec.
Voyage de Saint-Joachim
par
l'abbé J.-Patrick Doherty
(1867)
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Photo prise le 15 juin 1867 de l'ensemble des élèves du Petit séminaire de Québec. Dix jours auparavant, soit le 5 juin, ce même groupe faisait l'ascension du cap Tourmente, tel que raconté dans le texte ci-dessous signé par l'abbé Patrick-J. Doherty.
(Source : Musée national des beaux-arts du Québec. Cliquer sur l'image pour l'élargir) |
À
la demande des élèves du Petit séminaire, Mgr Langevin, évêque de Saint-Germain
de Rimouski, avait accordé un grand congé à toute la communauté, à la suite
d'une adresse que ceux-ci lui présentèrent le jour de sa consécration.
Il
y allait de l'honneur des écoliers de prouver à Sa Grandeur leur pleine
appréciation d’une si gracieuse faveur, en la mettant à profit, jusqu'aux
extrêmes limites du quam posse [du
possible]. Mais pour cela, il fallait sortir du rayon des amusements du congé
ordinaire. À gentil sire, beaux habits,
à un congé extraordinaire, il fallait au moins des émotions.
Mais
le bloc serait-il dieu ? Diable ? Ou cuvette ? L'expression de la joie commune
se traduirait-elle par un banquet monstre ? Un dîner splendide ? Un
pique-nique, une excursion, une promenade ? Ces genres d'amusement se
présentèrent fort naturellement à l'esprit des intéressés, vu que dans leur
compréhensibilité, ils renferment toutes les formes de récréation connues du
dix-neuvième siècle. Je signale en passant ce fait, moins à titre de nouvelle
que pour la plus ample information de ceux qui voudront, dans trois cents ans
d'ici, étudier nos us et coutumes. Disons même, une fois pour toutes, que c'est
spécialement pour les lecteurs de cette époque que je livre aux annales les quelques détails qui
vont suivre.
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La cour des « Petits » du Petit séminaire de Québec, à l'époque où se déroule le récit composé par l'abbé Doherty.
(Source : Abbé D. Gosselin, Les étapes d'une classe au Petit séminaire de Québec 1859-1868, Québec, 1908) |
Donc,
grand fut l'émoi du moment pour ceux à qui il incombait d'imprimer une
direction et de donner une forme à la fête. Aussi, que de délibérations
profondes ! que de consultations graves, multiples, variées ! Que de plans
soumis, et partant que de plans rejetés ! —Ah ! cher lecteur de trois cents
ans, si vous saviez comme il était difficile de nos jours de s'entendre sur un
plan.
Mais
enfin, par la consultation, on arrive à la résolution, tout comme on arrive à
la fin d'un livre en tournant les pages, On recueillit les avis, on les
transforma, on les combina, on les mélangea, et le résultat fut un précipité
qui plut à tous, et pour le fond et pour la forme.
C'est
ainsi que du choc des opinions naît la vérité, comme l'étincelle jaillit du
briquet. — Cette dernière comparaison, cependant, cher lecteur de trois cents
ans, est quelque peu vieille, depuis qu’on se sert de l'allumette chimique, qui
se vend de nos jours à un sou la boîte. Le
précipité susdit, ou mieux, cette décoction de plans, fut…
LA PROMENADE AU PETIT-CAP DU CINQ JUIN 1867
Si
je vous disais tout simplement, chère postérité, que le jour du départ, les
écoliers se sont levés à trois heures et vingt-cinq minutes, et qu'à quatre
heures et quart le bateau laissait le quai, emportant, au milieu des fanfares
des instruments de cuivre, 252 excursionnistes, vous auriez, à la vérité, une idée
juste de l’heure où chacun se disait, et se faisait dire : « Ah ! Nous voilà en
route ». Mais cette concision nuirait à la véracité historique de mon récit, en
me faisant livrer à l’oubli bien des circonstances aussi importantes
qu'intéressantes.
Ainsi,
par exemple, dans le cas où je ne vous aurais donné que les renseignements
précédents, comment l'avenir redirait-il à la louange des Révérendes Dames
Ursulines, qu'elles ont bien voulu, cette fois encore, conserver les belles et
succulentes traditions de leur monastère, en nous envoyant, comme à l’occasion
de deux promenades antérieures, une magnifique collation ! Saurait-on le
triomphe éclatant remporté par notre vénérable économe sur un baromètre suranné
qui, depuis trente-six heures, demeurait à la pluie, avec une morne
persistance, tandis que le premier soutenait, nonobstant le mercure, que nous
aurions un temps superbe, mettant au jeu et son expérience de soixante-dix ans,
et la perspicacité de ses scieurs de bois ?...
Et
ne faudrait-il pas aussi vous parler de la nuit, qu'on eût dit tirée au
laminoir, tant elle paraissait longue, même aux Petits [on nommait à l’époque «
les Petits » les élèves des premières années d’étude au Petit séminaire] ; du
son argentin de la cloche matinale, qui, pour cette fois, n'avait devancé le
réveil de personne ; des regards interrogateurs jetés sur un ciel quelque peu
indécis ; des cris joyeux qui accueillirent l'ordre de partir ; de l'ébahissement
de plus d'un bourgeois, qui, la tête à la fenêtre, à moitié endormi, se
demandait en vain la cause de cette procession quasi nocturne…
Mais
savez-vous bien, aimable postérité, que le scrupule me vient en écrivant. Rapporter
fidèlement tous les incidents, narrer sans emphase tout ce qui se rattache à la
promenade dont j'ai entrepris de parler, c'est bien, très bien même ; mais tout
commencement doit avoir des limites, comme toute fin doit avoir un terme.
Et,
du train que je vais, je prévois que mon commencement n'aura pas de fin, du
moins d'ici à longtemps. Tenez, l'affaire est, qu'après tout, entre vous et
moi, et du reste entre le plus et le moins, il n'y a souvent que très peu de
différence ; de sorte que, réflexion faite, je tairai complètement les
préparatifs, et les concomitances susdites, et je commencerai sans préface par…
LE VOYAGE
Nous
voilà donc à voguer sur l'eau bleue — métaphoriquement parlant — cela s'entend
; car devant la ville, le « majestueux Saint-Laurent » n'a de bleu que ce que
lui donne l'azur du ciel à d'assez rares intervalles. Nous voilà, dis-je, partis.
Le Saint-George, à qui nous avions confié nos destinées, a pris
— si l’on excepte le capitaine — un air de gaieté tout-à-fait de mise avec la
circonstance. De nombreux pavillons flottent au vent, de jeunes érables bordent
le pont et font ressortir davantage l’admirable éclat de ses flancs bleus. Nous touchons à la
Pointe-Lévis, où nous prenons une berge, « pour aider — disait un original — la
digestion du bateau-à-vapeur à la grande
ferme » [l’abbé Doherty fait ici allusion à la « grande ferme » du
Séminaire de Québec, au Petit-Cap, à Saint-Joachim sur la Côte-de-Beaupré].
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Le Petit séminaire de Québec avait nolisé le bateau à vapeur Saint-Georges pour assurer le transport de ses élèves vers le domaine du Petit-Cap, le 5 juin 1867.
(Source : Le Courrier du Canada, 3 août 1866) |
Oh
! le gentil voyage que nous avons fait ! Figurez-vous, aimable lecteur de trois
cents ans, que nous avions là réuni tout ce qui peut contribuer, d’une manière
éloignée ou prochaine, au charme d’une promenade, et cela avec une surabondance
qui tenait du luxe. Une cuisine bien garnie, un temps des plus propices, une
musique qui produisait des gerbes de sons gais et folâtres que les échos se
hâtaient de répéter avec complaisance, une compagnie aussi nombreuse
qu’aimable, et surtout, oh ! oui, avant tout, un paysage dont la beauté fraîche
et pure ne trouvait d’égal que dans sa riche variété.
Mais
voilà que les groupes se forment. Ils sont, comme toujours, caractéristiques.
Voyez : ce sont les physiciens ;
ils étalent au grand vent leur science de calorique. Ils ont appris hier la
théorie des bateaux-à-vapeur, et ils épuisent tous les charmes techniques de la
science sur les machines du Saint-George.
J’entends le bruit cadencé d’un vers hexamètre : c’est un cercle de rhétoriciens et de seconds qui prétendent au monopole de la poésie. Ils posent en
administrateurs exclusifs de la belle nature : eux seuls savent combien est
doux le murmure des vents, combien est limpide la plaine liquide.
C'est
ici une réunion de troisièmes et de quatrièmes. Ils n'ont pas encore gravi
le Parnasse, mais ils sont au-dessus des régions où l'on ne travaille qu'à coup
de dictionnaire. Leurs causeries se ressentent quelque peu de leur état de
chrysalides, c'est un peu de tout.
Mais,
grands dieux ! Quel est ce caquet interminable qu'on entend à l'arrière, et qui
va parfois jusqu'à couvrir le bruit des grandes roues motrices ? Eh ! C'est la
grande république des Petits. Les
propos se croisent, se multiplient, se heurtent, se pressent ; règle générale,
on n'y parle jamais moins de trois à la fois. Déjà vingt sujets ont été
épuisés, et cent autres restent à examiner. Mais de quoi parlent-ils ? Que peuvent-ils
avoir à dire ? Bah ! demandez-le aux vents qui emportent leurs idées au passage
; pour moi, je n'en sais rien. Tout ce que je sais, c'est que ces petits
gosiers ont gazouillé depuis le départ, et gazouilleront jusqu'au retour, et se
reposeront ce soir, pour reprendre demain : sine
fine dicentes [dire sans cesse].
Cependant
le bateau a fait du chemin pendant que nous étions à causer. La ville dort
encore avec confiance sur le versant du cap. Mais ce cap, tantôt si menaçant,
diminue, s'aplatit. La mâture des vaisseaux, qui découpait l'horizon en lignes
sévères, se mêle et se confond. Mille et une embarcations quittant les quais,
où elles ont sommeillé durant la nuit, déploient leurs ailes et sillonnent le
fleuve, comme ces mouches légères qu'on voit glisser sur la surface des étangs.
Nous
sommes au bout de l'île [d’Orléans] à l'entrée du chenal du nord. Les bords du
Saint-Laurent sont enchanteurs. Leur pittoresque beauté a été mille fois
exploitée par des poètes et des prosateurs sans nombre, depuis Jacques Cartier
jusqu'à nos jours. Le marin de Saint-Malo les décrit tels qu'il les a trouvés :
majestueux et solitaires ; Charlevoix nous les montre au temps des premiers
efforts de la civilisation ; Garneau et Ferland ont cru pouvoir interrompre la
chaîne des événements historiques, pour consacrer à leur description des pages
fraîches et belles ; l'abbé Casgrain et le Dr LaRue ont puisé l'inspiration
dans ce thème fécond…
Or
donc, considérant ce que je viens de dire, je n'ai pas besoin de consigner ici
la description des lieux charmants devant lesquels nous glissons si gaiment ;
le lecteur de trois cents ans trouvera moyen de satisfaire sa curiosité sur ce
point dans la cinquantième édition des œuvres des écrivains susmentionnés.
La
prière du matin se fit, par une heureuse coïncidence, vis-à-vis de l'église de
l'Ange-Gardien. J'ai toujours trouvé un charme ravissant dans la prière du
matin faite en communauté, mais ce jour-là surtout, il y avait je-ne-sais-quoi
de saisissant dans ces groupes nombreux qui, agenouillés en plein air, confiaient
à la brise matinale leurs premières aspirations d'amour envers le Créateur. Oh
! Si toutes les excursions commençaient ainsi par la pensée de Dieu ! Si toutes
les journées de plaisir étaient ainsi consacrées par la prière !
Un
philosophe chinois a dit que l’attente enlève l'appétit. De cette assertion on
peut de suite tirer deux conclusions ; premièrement que le susdit chinois était
fin observateur, et deuxièmement que nos élèves sont à cet endroit aussi
chinois que ceux dont ce philosophe parlait. Depuis deux jours, la promenade
était le thème universel des causeries, et la veille on était précisément
arrivé à ce point culminant de la surexcitation où l’appétit disparaît. Au
souper, les coupeurs de pain étaient, comme l’Othello de Shakespeare, sans occupation; le plus maussade des
lecteurs du réfectoire eût pu dominer le cliquetis des fourchettes.
Mais
dame ! En attendant les estomacs s'étaient creusés. Si l'appétit vient en
mangeant, je vous le certifie, il vient plus vite en jeûnant. Aussi, quand,
après la prière, M. le Directeur eut annoncé le déjeuner, je crus pour un
instant qu’il avait proclamé l'ouverture des vacances, tant furent spontanés
les cris de joie qui accueillirent cette nouvelle. Tels, lorsque sur le bord du
nid que l’amour maternel a bâti au sommet de l'orme, l’oiseau-mère paraît avec
la pâture désirée, les oisillons, encore vierges de plumages, ouvrent un large
bec et s'agitent convulsivement, tels les écoliers affamés s'agitaient autour
d'un immense plat de jambon et de corn
beef, dont les tranches succulentes disparaissaient, disparaissaient,
disparaissaient…
Arrivés
en face de la Bonne Sainte-Anne [de Beaupré], nous chantâmes l’Ave Maris
Stella, ensuite les accords de la musique saluèrent l'apparition du Petit-Cap,
terme de notre voyage. Il nous parut d'abord soulevé au-dessus des eaux, comme
un présent qui nous descendait des cieux ; mais quand nous fûmes arrivés au
bout de l’île, il prit une assiette plus ferme, et déjà nous distinguions les pins, les falaises, les maisons de la
grande ferme, le tout dominé par la cime majestueuse du Cap Tourmente.
L'ancre est jetée au milieu de bruyants hourrahs
— terme anglais qui, de nos jours, exprimait la plus vive satisfaction — la berge est mise à l’eau, une soixantaine
de personnes, prêtres, ecclésiastiques [à l’époque où écrivait l’abbé Doherty,
on désignait par ecclésiastiques les
candidats au sacerdoce ayant reçu les ordres mineurs] et écoliers, y trouvent
place ; les avirons fendent l'onde, cinq ou six minutes s'écoulent, le bord est
atteint, et le premier quart des excursionnistes est débarqué sans accident sur
une belle grève tapissée de verdure. Le spectacle offrait alors dans son
ensemble quelque chose de vraiment beau. En face, nous avions la campagne parée
de toute la première fraîcheur d'un printemps un peu en retard ; sur les eaux,
qui dormaient tranquilles et transparentes, se réfléchissaient les formes
arrondies du Saint-George ; les
groupes joyeux que nous voyions à travers les érables, les vivats énergiques,
les gais propos, entremêlés des accords de la musique, tout cela formait un
tableau dont les charmes n'échappèrent à personne.
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Le cap Tourmente en 1903.
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Plusieurs
prêtres, avec MM. les ecclésiastiques et quelques écoliers, prirent les devants,
afin de pouvoir dire la sainte messe avant l’arrivée de la communauté. M. X. [dans
divers écrits, l’abbé Doherty désigne par « M. X. » l’abbé Charles-Honoré
Laverdière (1826-1873), historien, archéologue et musicien] resta en arrière,
afin de surveiller le débarquement qui fut des plus heureux.
J'aurai
occasion dans le cours de ces annales de vous parler, cher lecteur de trois
cents ans, des beautés qui ornent le Petit-Cap. Je m'en fais même une
obligation très stricte. Car ces beautés sont hélas ! du genre de toutes celles
que nous trouvons sur la terre : elles passent, et passent bien rapidement ;
et, si je ne puis arrêter les ravages du temps, je me crois au moins en
conscience d’arracher, en autant qu’il m’est possible, leur souvenir de l’oubli.
Je me contenterai donc de dire, pour le présent, que les premiers arrivés y
trouvèrent tout à sa place, comme aux plus beaux jours des vacances, grâce au
zèle éclairé de M. V. qui avait fait poser les oratoires, balayer les allées,
orner la chapelle, préparer Liesse
[nom donné à la maison au Petit-Cap réservée aux élèves du Petit séminaire] et
la salle de billards. Bref, il n’y avait que lui-même qui ne fût pas en bon
ordre ; et, disons-le, il était passablement chiffonné par la fatigue qu’il
s’était donnée.
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L'entrée du domaine du Petit-Cap, propriété du Séminaire de Québec. Photo datant du début des années 1900. |
Vers
huit heures, nous étions à causer autour de la table du déjeuner, lorsque
tout-à-coup les échos du petit bois, qui s’étaient réveillés aux sons de la bande, nous apportèrent la nouvelle de
l’arrivée prochaine de nos compagnons.
Nous
sortons à la hâte, et deux minutes après, ils défilaient quatre par quatre,
précédés de M. X., à travers la route Wellington, et débouchaient sur la
pelouse, en face du Château Bellevue. Une chaleureuse harangue [note de
l’éditeur : cette harangue fut prononcée par l’abbé Doherty lui-même. Se
donnant comme le Seigneur du château, il souhaita la bienvenue à ses nombreux
visiteurs, dans un discours pétillant d’esprit], un air de musique, de nouveaux
hourrahs, et les rangs se remplirent au son de la cloche de la chapelle qui
annonçait la messe. Elle fut dite par M. le G. V. T. [le Grand Vicaire
Elzéar-A. Taschereau (1820-1898), futur cardinal-archevêque de Québec]. Un
chœur bien organisé exécuta plusieurs morceaux de chant ; il va sans dire que
le goût de M. V. se trahissait partout dans l'ornementation du sanctuaire. Au
sortir de l'église, on visita Liesse,
le petit bois, le fort Saint-Louis, et comme l'heure avançait, on organisa sans
tarder…
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Le château Bellevue, tel qu'il paraissait en 1867 (cette photo date de 1869). C'est là que s'est déroulée la scène décrite dans le paragraphe précédent, y compris la harangue de l'abbé Doherty. |
LA
PROMENADE DE LA CIME
Le
chroniqueur, à qui l'on a imposé le devoir de faire le rapport de cette
promenade sent au début qu'il a une rude tâche à accomplir. Lorsqu'une course
se fait avec ce qu'on est convenu d'appeler « la petite bande », vous êtes facilement au fait de tout ; rien ne
vous échappe, vous avez vu et entendu tout le monde. Les bons mots, les facéties,
les impressions drolatiques de chacun, en vous mettant à même d'enjoliver votre
compte-rendu, vous permettent de rendre justice à tous. Mais quand la foule des
promeneurs s'appelle la communauté, et que la file s'étend depuis le haut de la
côte Saint-Louis-de-Gonzague jusqu'au chemin du Roi et au-delà, on comprend
qu'il est impossible de tout saisir, de tout noter. Je me vois donc dans la
triste nécessité de passer sous silence moult hauts faits de tout genre, de
laisser dans l'ombre mille traits scintillant d'esprit, mille réparties vives
et enjouées qui auraient illuminé mon récit, comme ils ont fait carillonner les
éclats de rire joyeux parmi les rangs, durant tout le parcours. C'est pourquoi
l'on voudra ne pas me taxer d'égoïsme, si je ne relate, à peu de chose près,
que les incidents particuliers au cercle dont je formais un modeste rayon.
Cette
réserve faite, en faveur de la vérité, et en guise d'amende honorable, je sens
que ma conscience est plus à l'aise, et que ma plume coulera plus facilement.
«
Ceux qui désirent faire partie de la promenade voudront passer à droite, pour
que nous puissions en voir le nombre, et faire ensuite un partage égal des
provisions entre ceux qui partent et ceux qui demeurent ici. C'est une course
un peu fatigante ; voyez-y avant de l'entreprendre ». Ce petit discours, que M.
C. nous adressa du haut du perron, laissait tout le monde libre de choisir ses
amusements de la journée ; mais il ne diminua pas le nombre des promeneurs.
Toute la communauté, à l'exception peut-être d'une vingtaine, se rangea vers la
droite, et la distribution des vivres commença…
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Des élèves s'amusent devant « Liesse », la maison réservée aux élèves du Petit Séminaire au domaine du Petit-Cap. La photo date du début des années 1900. |
À
nous voir en ce moment on eût dit la nation juive au sortir des ombres de la
terre d'Egypte. Chacun, en effet, ou du moins presque tous portaient quelque
objet qui devenait précieux, à raison du voyage que nous allions entreprendre.
Celui-ci pliait sous le faix d'un énorme sac de pain ; celui-là le suivait de
près avec le beurre tout fraîchement enlevé à la Petite Ferme ; l'un portait de la viande fraîche, un autre un
jambon des plus arrondis ; ceux-ci étaient munis de gourdes, ceux-là de tasses
de fer-blanc ; d'autres étaient chargés à la manière du quatrième officier qui
assistait au convoi funèbre du défunt Malbrook, mais ils se
consolaient par la perspective d'être souvent de relai. M. X., dont la science
s'appuie sur une longue expérience, nous donna quelques avis sur la manière de
marcher sans se fatiguer, nous fit quelques recommandations, puis, la
clochette, à la main, se mit à la tète de la colonne qui partit incontinent
dans l'ordre suivant. A l'avant-garde, MM. les ecclésiastiques, précédés de M.
T. ; au centre, MM. les Grands avec
le gros… des provisions. MM. les Petits
fermaient la marche avec ordre de pousser devant eux les traînards, et de ne
pas trop lambiner.
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Le cap Tourmente, vu en 1903 depuis le domaine du Petit-Cap. |
Presqu’à
chaque pas aux alentours du Petit-Cap vous rencontrez des endroits consacrés par
quelque souvenir. C'est ici la rivière de l’étang, fameuse par ses goujons, et
les ébats fréquents de nos petits barbotteurs ; c'est là la grotte aux punaises, autour de laquelle
voltigent les échos à la voix moqueuse et stridente ; plus loin coule la Friponne, qui fait grincer la scie du petit moulin, et tout près, à l’ombre des
falaises, fleurit le pommier qu'un personnage célèbre planta, dit-on, sans s’en
douter. Dans la route Saint-Charles, on trouve les rivières Rouge et Billion ; et, sur le versant de la montagne, le classique Simoïs, le Pactole, le Léthée, et ainsi
de suite. Or, comme M. X., qui s'était chargé du rôle de cicérone, ne pouvant
communiquer à tous les intéressants détails qui se rattachent aux lieux
traversés, il convint d'en faire part à ceux qui l'entouraient, et ceux-ci à
leur tour devaient les télégraphier de rang en rang, tout comme nos pères se
renvoyaient les nouvelles avant que Franklin eut arraché au ciel le secret de
l'étincelle électrique.
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Élèves du Petit séminaire de Québec. Au loin le cap Tourmente. |
Nous
étions partis du château Bellevue à neuf heures, et à neuf heures et demie nous
faisions notre première étape au petit
moulin. Nous pensions pouvoir gravir la falaise sans arrêt, mais rendus au
haut de la première côte, notre guide crut devoir ménager les faibles, et
ordonna une halte, qui fut, du reste, du goût de tous. MM. les ecclésiastiques
continuèrent cependant leur route, et nous ne les revîmes qu'au pied de la
croix, sur le sommet de la montagne. Après quelques minutes de repos, on nous
cria de nouveau en route ; et nous
nous engageâmes dans la sinuosité de la montée, par une route comparativement
récente, due à l'industrie de M. L. ; ce chemin est moins raide que l’ancien ;
il est cependant assez âpre, et les effets de la fatigue commencèrent à se
faire sentir, d'une manière visible, parmi MM. les Petits qui n'atteignirent le haut de la falaise que dix minutes
après la première division. M. X., en ce voyant, se hâta d'ajouter un nouvel
item à son code de lois, et publia que nous aurions à diminuer la pression,
afin de ralentir davantage la marche : ce qui se fit en effet, et si bien que
nous mîmes — horresco referens ! [Je
frémis en le racontant !] — trois longues heures à parcourir le chemin qui nous
restait à faire.
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Début du sentier conduisant à la cime du Cap Tourmente. Photo datant des années 1910. |
Il
était une heure et dix minutes p. m. lorsque la queue de la colonne arriva sur
le premier plateau qui fait face à l'île d'Orléans. De cette position la vue
s'étend au loin.
La
croix plantée sur le roc au milieu du plateau, est à 1663 pieds au-dessus du
niveau de la mer; et, disons-le en passant, ce chiffre correspond exactement à
la date de la fondation du Petit Séminaire. Vous avez à vos pieds la
Grosse-Ile, l’Ile-aux-Beaux, l’île Madame, et l’île d'Orléans, dans toute son
étendue ; au nord, la côte de Beaupré, avec la succession de ses maisons
blanches qui serpentent le long de la grève jusqu'à la ville de Champlain, dont
on distingue les flèches par un temps clair ; au sud, vous voyez reluire les
clochers de Beaumont, de Saint-Michel, de Saint-Vallier, de Saint-Thomas, de
Saint-Ignace, de l'Islet, de Saint-Roch [des Aulnaies], et ainsi de suite
jusqu'à je ne sais plus quelle paroisse, où le ciel, se confondant avec les
eaux du fleuve, termine le plus magnifique panorama qu'on puisse embrasser d’un
seul coup d'œil, peut-être dans tout le pays.
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Groupe d'élèves et de prêtres du Petit séminaire de Québec au pied de la croix de la mi-chemin du parcours vers la cime du cap Tourmente. Août 1903. |
Il
est entendu que nous ne pûmes admirer pleinement ce spectacle qu'après avoir pris
part à un dîner copieux, au bord du petit ruisseau qui glougloute dans un lit
rocailleux, tout près de la cime. Après le repas, ceux qui désiraient voir
miroiter le lac Saint-Joachim, qui s'encadre derrière le cap dans une forêt de
sapins, se rendirent sur le second plateau ; les autres demeurèrent sur le
premier, où ils passèrent le temps à causer, à chanter, et à se remettre des
fatigues de la montée.
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L'une des étapes de la montée du cap Tourmente. 1905. |
À
trois heures p.m., nous étions parfaitement reposés. M. X. nous démontra qu'en
vertu du principe complexe de l'attraction, de la gravitation et du poids
spécifique, la descente serait moins pénible que l'ascension, et nous permit,
en conséquence, de partir au pas accéléré, nous imposant néanmoins un arrêt au
Pactole. Le point de ralliement
général était fixé au Moulin, où
toute la caravane devait se concentrer, pour de là pousser ensemble sur le Petit-Cap.
Tout
cela se fit avec le plus rare bonheur. Au bout de trois quarts d’heures, nous
campions, pour un instant, au bord de la Friponne,
et vingt-cinq minutes après, nous arrivions à Liesse dans le même ordre que nous en étions partis, sans avoir eu
à constater le moindre accident fâcheux dans tout le cours de la promenade.
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Le lac Saint-Joachim, vu depuis la cime du cap Tourmente. Photo prise vers 1910. |
Nous
fraternisâmes immédiatement, pour me servir d'un terme de guerre, avec ceux de
nos compagnons que nous avions laissés derrière nous, et nous bûmes à leur
santé le doux lait que la prévoyance bienveillante de M. C. avait fait préparer
pour notre retour. Bien entendu que tous avaient des épisodes à raconter :
chacun avait été héros en quelque manière, et, comme cela se fait toujours en
pareille circonstance, personne ne se faisait prier pour narrer ses exploits.
Nous
étions à causer ainsi gaiement, étendus sur l’herbette, lorsque la cloche nous
annonça la bénédiction solennelle du Saint-Sacrement, par laquelle devaient se
terminer dignement les réjouissances de la journée.
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La chapelle Saint-Louis-de-Gonzague du Petit-Cap. 1903. |
Je
n'entrerai pas dans le détail de toutes les beautés qui frappèrent nos regards
en entrant dans la chapelle, car l’éloge, a-t-on dit, languit auprès de certaines
œuvres, et, du reste, je n'ai plus qu'une page et quart pour me rendre jusqu'à
la ville. Qu'il me suffise donc de dire qu'elle était rayonnante de splendeur ;
et que les fleurs et la lumière se mariaient sur l'autel transformé en chapelle
ardente, comme les sacristains de la congrégation savent seuls les marier. M.
T. [le Grand Vicaire Taschereau, précédemment mentionné] nous fit une courte
allocution, pleine d'onction et de piété ; puis il donna la bénédiction,
pendant laquelle le chœur s'acquitta, avec son bonheur accoutumé, de la partie
musicale. Nous sortîmes le cœur rempli de douces émotions, après avoir remercié
le bon Dieu des grâces dont il nous avait comblés jusqu'alors.
L’heure
du départ était arrivée… Quoi
! Déjà !... Hélas
oui ! Le soleil était à son déclin, et pas un de nous n’avait la puissance de
Josué pour arrêter sa marche rapide. Donc, nous plions tristement bagage. Nous
partons ; nous sommes partis. Mr. X., toujours en tête, nous conduisit par la
route Champlain, à travers les champs ensemencés, jusqu'à la demeure de M.
Fortin, de la Grande Ferme, que nous
remerciâmes cordialement de la peine qu'il s'était donnée à nous préparer un
débarquement sûr et commode. Arrivés sur la grève, la berge fut de nouveau mise
en réquisition. À chaque voyage, elle emportait au bateau entre soixante-dix à
quatre-vingts passagers, qui partaient et arrivaient au milieu des hourrahs de
ceux qui restaient sur le rivage, et qui ressemblaient, disait quelqu’un, aux
grues d’Homère sur les remparts d’Illion [Est-ce bien là qu’elles se tenaient ?
Note de M. Doherty].
À
sept heures nous levions l’ancre, et peu après nous gagnions, à toute pression
de vapeur, le chenal du sud, dans lequel nous sommes entrés au jour tombant.
La
dernière page qui me reste ne suffira certainement pas pour vous redire tous
les charmes de la soirée que nous passâmes au retour. C'est pourquoi je livre à
l'ère de la postérité le nom de M. N. En effet, si ce charmant chroniqueur
avait commencé ses Annales de 1867
seulement aux deux pages plus loin, j'aurais pu vous parler de la courtoisie des
gens de l'Ile [d’Orléans], qui
allumèrent sur plusieurs points élevés des feux de joie, pour nous saluer au
passage ; mais, comme vous le voyez, cette faveur m'est refusée. Je vois bien
qu’il en sera de même des accords de musique instrumentale et vocale, entremêlés
de discours, de récitations, de contes joyeux etc., qui firent résonner le
salon d'applaudissements répétés, et changèrent les heures en minutes, jusqu'à
notre arrivée au quai, à neuf heures et demie.
Mais
ce qui formera surtout un sujet de regret éternel, c'est qu'il me faudra taire
l'agréable surprise que M. l’économe ménageait à toute la communauté, sous la
forme d'une collation très friande. Je suis donc réduit à dire que nous avons
fait honneur au régal, que nous avons voté des remerciements à M. l’économe, et
qu’à onze heures nous étions au lit.
Tiré de : L’abbé Doherty, ses principaux écrits en français, par un ami,
Québec, Augustin Côté et Cie, 1872, p. 47-68.
Diverses photos prises en 1869 et 1915
de promenades et jeux d'élèves du Petit
séminaire de Québec au Petit-Cap, durant
une ascension du cap Tourmente ou
autres activités :
(cliquer sur les images pour les élargir)
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Le château Bellevue du Petit-Cap, en 1869. Il a été agrandi dans les années suivantes. |
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À gauche, « Liesse », maison mise à la disposition des élèves du Petit séminaire de Québec. À droite, le château Bellevue, résidence de vacances des abbés du Séminaire de Québec. |
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Jeux d'élèves devant « Liesse ». |
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Élèves se chamaillant près du château Bellevue. |
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Élèves s'amusant entre « Liesse » et le château Bellevue. |
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Élèves faisant la pyramide. |
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À gauche, le château Bellevue ; au fond, la chapelle ; à droite « Liesse ». |
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Élèves du Petit séminaire de Québec devant le château Bellevue. |
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Élèves devant le château Bellevue. |
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Élèves et abbés sur le perron du château Bellevue. |
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Élèves et abbés au pied du cap Tourmente. |
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Plate-forme au pied du cap Tourmente. |
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Plate-forme au pied du cap Tourmente. Le Saint-Laurent est visible à l'arrière. |
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Élèves et abbés en excursion au cap Tourmente. |
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Groupe se restaurant durant une montée du cap Tourmente. |
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Élèves se reposant à une étape de l'ascension du cap Tourmente. |
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Élèves prenant une pause durant une ascension du cap Tourmente. |
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Élèves et un abbé sur l'un des sentiers du Petit-Cap. |
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Élèves et abbés en pause durant une ascension du cap Tourmente. |
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Groupe d'élèves du Petit séminaire de Québec de retour d'une excursion au cap Tourmente. |
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Élèves faisant de l'émondage face au château Bellevue. |
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Élèves dans le salon du château Bellevue. |
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Élèves et abbés faisant la lecture des journaux sur le perron du château Bellevue. |
Les photos suivantes furent toutes prises
sur la cime du cap Tourmente :