lundi 13 juillet 2015

Louis Fréchette et ses réparties acérées

Louis Fréchette

J'aime beaucoup replonger de temps à autre dans les écrits polémiques de Louis Fréchette (1839-1908), qui, en plus d'avoir tâté de la politique comme député fédéral de Lévis durant quatre ans, était surtout considéré de son vivant comme notre «poète national». 

La poésie de Fréchette, il faut l'admettre, a mal traversé le temps et ne nous dit plus grand'chose. Ses contes se sont toutefois mieux rendus jusqu'à nous. Mais chose certaine, les deux tomes de ses Satires et polémiques, qui incluent ses fameuses "Lettres à l'abbé Baillargé", procurent toujours de jouissifs plaisirs à l'esprit, tellement Fréchette déchiquette et pulvérise joyeusement et de toute sa verve les propos de ses adversaires ultramontains et conservateurs. Ce qu'il fait avec une combinaison de gouaille, de panache et d'intelligence qu'on ne rencontre pratiquement plus de nos jours.

À l'époque, devenue si lointaine, où les libéraux québécois étaient des gens cultivés et attachés au mieux-être du Québec et donc ne le trahissaient pas comme c'est le cas actuellement sous la gouverne de Philippe Couillard, Fréchette était un libéral résolu. Il était également anticlérical, tout en restant attaché à l'Église catholique. Laïque, Fréchette voulait tout simplement et clairement la séparation de la religion et de l'État, et il prônait la liberté de conscience et d'expression, y compris le droit de critiquer et de dénigrer toutes les croyances et idéologies. En ce sens, encore, Fréchette était un libéral digne de ce nom, contrairement au PLQ d'aujourd'hui qui, là aussi, piétine l'héritage de nos vrais libéraux d'antan.

(Pour les gens qui voudront en savoir plus sur le personnage hors de l'ordinaire qu'était Louis Fréchette, l'historien Jean-Claude Germain lui a consacré un petit livre assez bien foutu, La double vie littéraire de Louis Fréchette).

Louis Fréchette, donc, était un polémiste redoutable et aux dents acérées. Il maîtrisait également l'art de servir des réparties certes savoureuses aux oreilles des auditeurs, mais dévastatrices à qui en était la victime. Hier soir, en parcourant un recueil de courts récits du fondateur de nos archives nationales, Pierre-Georges Roy, je suis tombé sur ce passage relatant l'un des nombreux affrontements oratoires ayant opposé Fréchette à son adversaire le plus coriace :

«Louis Fréchette, alors qu'il faisait de la politique, était le plus redoutable lutteur du parti libéral dans la région de Québec. Sur les tribunes publiques, parmi les adversaires du parti libéral, celui qui pouvait répondre à Fréchette avec le plus de succès était Guillaume Amyot, député conservateur de Bellechasse. 

Fréchette et Amyot étaient avocats et plaidaient souvent l'un contre l'autre. Un jour, Fréchette, au lieu d'agir comme avocat, fut appelé comme témoin dans une cause où Amyot était un des avocats. Cette fois, le témoin l'emporta sur l'avocat. Qu'on en juge par le dialogue suivant tiré d'un journal du temps : 


Amyot : - Savez-vous que vous êtes sous serment ?


Fréchette : - Oui, monsieur, et je sais aussi que vous posez des questions pertinentes, impertinentes même. 


Amyot : - Inutile de faire de l'esprit, tout le monde sait que vous en avez. 


Fréchette : - Il est fâcheux que je sois sous serment, je serais très heureux de vous rendre le compliment. 


Amyot : - Il n'y a pas que l'esprit dans le monde, il y a aussi le coeur. 


Fréchette : - Je ne vous savais pas connaisseur en pareille matière. 


Amyot : - Jurez-vous que je n'ai pas de coeur ?!?


Fréchette : - Certainement non, pas plus que je pourrais jurer que vous en avez.


Ce dialogue a été interrompu à maintes reprises par les rires des auditeurs et le juge avait été obligé de menacer l'auditoire de faire évacuer la salle si on ne cessait de manifester. Évidemment, M. Amyot n'était pas en veine ce jour-là.»


Tiré de : Pierre-Georges Roy, Toutes petites choses du régime anglais, tome 2, Québec, éditions Garneau, 1946, p. 230-231.

Guillaume Amyot

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