vendredi 9 juillet 2021

Paul Dupré, un médecin à la main qui donnait plus qu'elle ne prenait

Le Dr Paul Dupré (1889-1930) et l'hôpital de l'Hôtel-Dieu
de Québec, où il a débuté sa carrière médicale.

(Sources : Dr Paul Dupré : Le Soleil, 8 juillet 1930 ; Hôtel-Dieu de Québec : BANQ)




  Ces glanures ont récemment présenté quelques-uns de nos compatriotes d'antan qui ont eu, entre divers mérites, celui de contribuer à rendre notre peuple meilleur. Certains étaient très jeunes, et tous auraient de leur vivant été les premiers étonnés d'apprendre que, dans les années 2020, soit plus de 90, 100 sinon 150 ans après leur mort, leur contribution à l'embellissement intellectuel, moral et spirituel de notre peuple, contribution connue tout de même d'assez peu de gens à leur époque, remonte à la surface de l'oubli, comme c'est désormais le cas par l'entremise de nos glanures. Nous l'avons d'ailleurs fait avec une insistance particulière depuis le début de l'année en cours, en extirpant de l'oubli les Louis-Georges Godin, Auguste Soulard, Thomas MauraultErnest Roy, Narcisse Dufresne et Narcisse Furois (cliquer sur leurs noms pour consulter les dossiers qui leur sont consacrés). 
   Nous poursuivons donc sur cette lancée en vous présentant aujourd'hui le Dr Paul Dupré, dont le nom n'a été mentionné nulle part depuis sa mort il y a 91 ans.
   On trouve de fort belles pages dans Tibi, le captivant récit qu'a publié, en 1935, Paul Rainville, de son séjour de deux années au sanatorium pour tuberculeux du Lac-Édouard, en Haute-Mauricie. Rainville, né à Arthabaska en 1887 et mort à Québec en 1952, était un homme de lettres et critique d'art qui devint notamment conservateur du Musée du Québec, dans la Vieille Capitale (pour télécharger gratuitement ce volume devenu rarissime, voyez ici-bas). 
   Parmi ces pages exquises, l'émouvant témoignage de l'auteur au sujet de son meilleur ami, le Dr Paul Dupré, mort âgé d'à peine quarante ans, en juillet 1930, d'une péritonite foudroyante. Rainville débute en racontant qu'il a pu visiter son ami à sa chambre d'hôpital puis assister à ses funérailles durant un congé que lui avait autorisé son médecin-traitant du sanatorium. Puis il esquisse un portrait moral de Paul Dupré qui donne le goût d'en savoir plus sur ce médecin comme on n'en voit presque plus depuis longtemps au Québec, ce qui nous fait aussi mesurer une part non banale de ce que nous avons collectivement perdu avec l'étatisme frénétique et la modernité à tout crin qui ont affecté les plus importants secteurs de la société au Québec depuis les années 1960. 
   Pour dire les choses brièvement, on peut concevoir sans trop de risque de se tromper que le Dr Paul Dupré, par son rejet de l'arrivisme et de l'enrichissement à tout prix, de même qu'en érigeant le mieux-être du patient au sommet de ses soucis, s'accorderait plutôt mal avec ce qu'est devenue la profession médicale de nos jours. On peut aussi douter qu'il serait édifié par le Collège des médecins du Québec, lequel, quand il s'agit de remplir les goussets de ses membres dont pourtant les salaires sont loin de les exposer à la famine, n'hésite jamais à prendre les contribuables à la gorge par gouvernement interposé, tout en imposant une implacable dictature aux médecins dissidents, comme d'ailleurs on l'a vu à plusieurs reprises depuis le début de l'actuelle crise du covid, avec la répression brutale exercée par le Collège envers les médecins qui osèrent questionner le bien-fondé de certaines politiques et mesures du gouvernement Legault. 
   Il est vrai que les généreuses valeurs morales et spirituelles qui guidaient le Dr Paul Dupré dans l'exercice de sa profession sont depuis longtemps absentes des instances qui contrôlent le système de santé ― que l'on devrait plutôt appeler le système de maladie  du Québec en ce 21e siècle. Avec pour résultat, entre autres, que l'hôpital public est, en nos contrées, le dernier endroit où l'on voudrait mourir, tellement l'ambiance y est celle d'un bureaucratisme froid, impersonnel, insensible sinon insensé. Et bien sûr, dont les coûts sont pharaonesques, la corporation médicale y prenant d'ailleurs, et non sans voracité, sa part du lion. 
  Paul Dupré est né à Lévis le 30 novembre 1889, d'Hector-Edmond Dupré et d'Élise-Alphonsine Blanchet. Son père était un commerçant bien en vue dans la région de la Vieille Capitale et fut maire de Lévis de 1900 à 1903. Son frère, Maurice Dupré, fut député conservateur fédéral de Québec-Est et ministre de 1930 à 1935, et son grand-père maternel, Joseph-Goderic Blanchet, fut député et tour à tour président de l'Assemblée législative du Québec puis de la Chambre des communes à Ottawa. 
  Paul Dupré fit son cours classique au Collège de Lévis, puis étudia la médecine à l'Université Laval, qui lui décerna son diplôme en le couronnant des plus hautes distinctions honorifiques. Tout en pratiquant la chirurgie à l'Hôtel-Dieu de Québec, puis à l'hôpital Saint-Sacrement, il avait son propre cabinet médical et il enseignait la médecine à l'Université Laval. 
   Le 8 juillet 1930, après moins de deux semaines de maladie, Paul Dupré mourait à l'hôpital Saint-Sacrement de Québec, celui-là même où il œuvrait. 
   Après cette brève esquisse, découvrez maintenant l'inspirant et touchant portrait moral que Paul Rainville, dans son récit de tuberculeux intitulé Tibi, a dressé de son ami intime le Dr Paul Dupré, lui dont la vie, si elle fut certes beaucoup trop courte, montre clairement qu'il y avait en surabondance du bon, du beau et du bien, et aussi beaucoup de lumière, dans ce petit peuple français d'Amérique qui est le nôtre, et ce, à une époque que d'aucuns ont encore la bêtise d'appeler « grande noirceur ».
    Juste après le témoignage de Paul Rainville, vous trouverez un extrait de la revue de l'Université Laval qui rend également hommage au médecin trop tôt disparu, suivi d'un dossier de presse constitué d'articles parus dans les principaux journaux du Québec à l'occasion du décès de Paul Dupré : 


Le Dr Paul Dupré 

Témoignage de Paul Rainville tiré de
son livre Tibi, carnet de sanatorium :

Tibi, carnet de sanatorium, publié par Paul Rainville en 1935, d'où 
est tiré l'extrait ci-dessous sur le Dr Paul Dupré, ami de l'auteur.
Pour télécharger gratuitement cet ouvrage, cliquer ICI.

(Source de la photo de Paul Rainville : BANQ)

   Bonheur indicible du retour au foyer, d'un séjour trop court dans le cadre familial...
   Toutes les grandes joies se payent. Pendant que le train de dix heures me ramène vers le sanatorium pour une nouvelle et très longue étape, je jette un regard triste vers la ville qui s'étend à gauche.
   Par la pensée, je suis un autre convoi, funèbre celui-là. Tout à l'heure, en passant par la Basilique, j'ai entendu le Dies irae dans l'église tendue de noir. On enterre ce matin mon meilleur ami, emporté par une appendicite foudroyante, à quarante ans. 
   Lui s'en va vers son dernier repos, pendant que le train me ramène dans le repos de la montagne continuer la lutte pour la vie. 
   Je le revois encore, distingué, souple, mince, front haut, cheveux ondulés, regard clair et droit, sourire sympathique, démarche élégante, il me tend une main fine de patricien qui donne plus qu'elle ne prend.
   C'était il y a quinze ans, dans son cabinet de la rue Saint-Louis, à son retour de France. Après son cours à Lévis, il était sorti Summa cum Laude de l'École de médecine de l'Université Laval. Ses études à Paris, dans les grandes cliniques, avaient complété sa formation. 
  De sa voix chaude, rude parfois, il me dit ses impressions de la France en guerre et d'après-guerre, sa joie du retour au pays, ses espoirs de début, sa volonté de réussir. On reconnaissait un homme sous cette enveloppe un peu frêle. 
   Nous nous voyions souvent, causions intimement, le cœur ouvert. Sa manière était noble et simple. Ses lettres d'une écriture fine étaient faites de clarté et de précision. Sa probité, poussée au plus haut point, tout comme sa discrétion absolue et sa profonde sincérité.
   Il aimait la musique, le folklore, les mélodies surtout. Il goûtait Wagner, Bizet, Sibelius ; mais Johann Strauss avait sa préférence. Dans ses valses, il admirait « l'étoffe musicale, riche et souple à la fois ». 
  Épris de littérature, le roman l'intéressait peu ; l'histoire le captivait, la petite histoire surtout, genre Lenôtre et Funck-Brentano. Il y consacrait ses moments de loisirs, trop rares, et le peu de liberté que lui laissaient son service, et ses études toujours poursuivies. 
 Travailleur inlassable, on lui reprochait d'être comme un arc toujours tendu ; il l'admettait en souriant, mais ne se détendait pas. Peut-être s'était-il dit que l'important n'est pas de vivre longtemps, mais de bien remplir sa vie.
  La science chez lui aidait la Foi ; l'anatomiste, de son scalpel, avait fouillé le cerveau, taillé dans le cœur ; il savait ne pouvoir trouver l'âme au fil d'une lame. La matière ne l'avait pas rabaissé. Croyant, il voyait partout la main puissante du Créateur. 
   Enthousiaste, portant Dieu en lui, il était modeste, trop même. Timide, il fallait le forcer à parler de lui-même, de ses œuvres, ses succès, ses aspirations. Il dédaignait le bruit, la réclame, tout comme le grand Virolle. 
   Pieux sans ostentation, il allait à la Table Sainte chaque dimanche, récitait chaque jour le chapelet. Doit-on s'étonner qu'il ait fait de son art un sacerdoce ? Médecin des âmes, eut-il été mieux à sa place ? Le mariage ne l'avait pas attiré. Cachait-il une grande peine d'amour, ou croyait-il que son devoir était de rester auprès de ses parents pour soutenir, égayer leur vieillesse ? C'est possible.
   Surmené, le mal le frappe. D'une incroyable énergie, en pleine crise, il conduit lui-même sa voiture à l'Hôtel-Dieu, parce que des malades comptent sur lui. Il est tombé à l'hôpital, comme tant d'autres, infirmières et médecins, porteurs de lumière...
   Une dernière fois je le revis, veille de sa mort. Son regard voilé s'embua. La fièvre l'avait quitté. Il me dit ses angoisses, ses souffrances, son « retour de la mort », son espoir de revivre. Nous le croyions sauvé...
   Dieu le reprit le lendemain. Une complication l'emporta. Lucide jusqu'au bout, la grande épreuve le trouva prêt. D'une voix ferme, il répond aux prières d'agonie. Croyant en la Survie, il offre son sacrifice en expiation, accepte la destruction totale de l'être en hommage à la Souveraine Grandeur, tend à sa sœur cette main qui donne plus qu'elle ne prend, puis, simple dans la vie, grand dans la mort, il ouvre ses yeux à la Lumière, et s'en va... disant... « Bonjour ! »
   Tel fut Paul Dupré ! 
  Sur cette tombe qui renferme tant de souvenirs mais qui s'ouvre dans l'Espérance, je pense à ces vers du poète, tristes et doux :

           Mon coeur est comparable à ces immenses plaines
           Où la moisson future au printemps a levé ;
           Moissonneur ! Moissonneur ! aux fauchaisons prochaines, 
           Viens te remplir les bras de ce que j'ai rêvé !

Extrait de : Paul Rainville, Tibi ; carnet de sanatorium, Beauceville, Imprimerie de l'Éclaireur, 1935, p. 89-93. 


La mort du Dr Paul Dupré a été évoquée dans l'édition 
d'octobre 1930 de la revue Le Canada français, publiée
par l'Université Laval, à Québec. Voici l'extrait de la 
« Chronique de l'Université » qui fait état de ce deuil :

  « Durant les dernières vacances, l’Université eut la douleur de perdre l’un de ses professeurs de la Faculté de médecine, M. le docteur Paul Dupré, décédé à l’hôpital du Saint-Sacrement, le 8 juillet.
   Ce jeune praticien, car il n’avait que quarante ans, ancien élève du Collège de Lévis et de l’Université Laval, était on ne peut plus estimé pour le charme tout à fait exceptionnel de sa personne. Distingué, au vrai sens du mot, il ne comptait que des amis. 
  Et ses nombreux clients qui l’aimaient pour son incomparable politesse et ses grandes connaissances médicales, qui avaient confiance en lui à cause de son diagnostic sûr et de sa peur instinctive de toute apparence de charlatanisme, ont perdu en lui un véritable médecin, un médecin qui sait que son rôle est de soulager l’humanité souffrante, et qui fait passer en deuxième lieu le désir trop visible de s’enrichir, de faire de l’argent avant tout. 
   Paul Dupré laisse aux jeunes un bel exemple de désintéressement professionnel, lequel, malheureusement, tend à devenir de plus en plus rare de nos jours. Sa probité, sa distinction, son grand esprit chrétien, ne l’ont pas empêché de réussir. La voie droite, c’est celle qu’il a sans cesse suivie, la loyauté, la franchise, ce sont les procédés qu’il a toujours mis en usage. 
   Aussi bien sa mort, si édifiante pour son entourage, si consolante pour ses chers parents, a-t-elle été l’écho de sa vie. Il eût pu rendre encore de signalés services à la pauvre humanité, à son pays. La Providence en a disposé autrement. Le sacrifice qu’elle lui a demandé, dur sans doute, il l’a fait avec une admirable générosité. 
   Sa douce, sa souriante mémoire ne sera pas de sitôt oubliée. Que sa noble vie reste une constante leçon aux jeunes de notre époque tiraillés en tous sens par un arrivisme de mauvais aloi, ennemi de toute formation sérieuse et de toute noble ambition ! »

Extrait de la « Chronique de l'Université », dans Le Canada français, publication de l'Université Laval, Québec, octobre 1930, p. 128.



Un dossier de presse sur 
le Dr Paul Dupré : 


Cet entrefilet paru dans Le Soleil du 27
juin 1930, soit une dizaine de jours avant
la mort du Dr Paul Dupré, laissait espérer
que celui-ci allait se tirer du mal dont il 
était atteint, ce qui, malheureusement, 
n'allait pas arriver.

(Source : BANQ)

Le Soleil, 8 juillet 1930.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'agrandir)

L'Action catholique, 8 juillet 1930.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'agrandir)

Le Devoir, 8 juillet 1930.

(Source : BANQ)

La Presse, 8 juillet 1930.

(Source : BANQ)

Article paru dans L'Action catholique du 10 juillet 1930 relatant les funérailles,
le même jour, du Dr Paul Dupré à la basilique Notre-Dame-de-Québec, le 10
 juillet 1930. Parmi les nombreuses personnalités qui y ont assisté, on remarque
notamment l'homme politique et tribun nationaliste Armand LaVergne.

(Source : BANQ ; cliquer sur l'article pour l'agrandir)

Cette annonce parue dans Le Soleil du 17 septembre 1930, soit deux
mois après la mort du Dr Paul Dupré, nous indique que son cabinet
médical était situé au 47 rue d'Auteuil, à Québec.

(Photo : Street View)

Le Dr Paul Dupré repose dans le lot familial au
cimetière Notre-Dame-de-Belmont, à Québec.

(Photos : Daniel Laprès, 13 juillet 2021 ;
cliquer sur l'image pour l'élargir) 

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