vendredi 1 septembre 2017

Hubert LaRue, ou l'enracinement national qui ouvre sur l'universel

Hubert LaRue (1833-1881)

(Source : Pierre-Georges Roy, L'Ile d'Orléans,
Québec, 1928, p. 428) 

Complètement oublié de nos jours, Hubert LaRue a pourtant profondément marqué notre nationalité à son époque et même après, et ce, pour le meilleur. Professeur de médecine à l'Université Laval, à Québec, il était aussi écrivain, inventeur passionné de sciences, historien, polémiste, conférencier très couru, animateur de revues en plus d'avoir, en littérature, contribué à la fondation de ce qu'on a appelé l'École patriotique de Québec. En ce sens, cet esprit éclairé et pétillant, que l'on peut considérer comme l'un de nos personnages historiques les plus sympathiques, a fait partie des précurseurs du mouvement national québécois. 

Pour donner un aperçu de l'influence que LaRue a exercée sur son époque et même sur les décennies qui ont suivi son décès prématuré à l'âge de 48 ans, on n'a qu'à mentionner le fait qu'à l'occasion de l'événement majeur que fut le Premier congrès de la langue française au Canada, en 1912, soit plus de trente ans après sa mort, fut publié Le Docteur Hubert LaRue et l'idée canadienne-française, un volume visant à souligner son apport non seulement au combat pour la langue française, mais aussi à la diffusion de la culture et du savoir chez ses compatriotes canadien-français. 

Ouvrage en mémoire de la contribution d'Hubert LaRue à la
langue française et à la culture canadienne-française, à l'occasion
du Premier Congrès de la langue française au Canada, Québec, 1912.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir). 

Si LaRue attachait tellement d'importance à l'accès de ses compatriotes à la culture et aux connaissances, c'est que pour cet ardent défenseur de la langue française, celle-ci ne saurait survivre en cette terre d'Amérique que si elle s'appuie sur une culture vaste et approfondie. Pour cela, croyait LaRue, il est crucial que le peuple s'approprie cette même culture, qu'elle ne soit pas seulement l'apanage des élites. À cet effet, le nationaliste qu'était LaRue aurait sans doute été d'accord avec le propos que, près de 100 ans après lui, tenait l'écrivain Pierre Baillargeon : «À l'anglicisation, le nationalisme s'opposa avec quelques succès. Mais il n'a pas suffi à développer notre culture, ce qui nous aurait définitivement mis à l'abri».

En somme, selon Hubert LaRue, « l'idée canadienne-française », c'est une nation vaillante et allumée qui mise sur l'intelligence, sur la culture, sur la fierté quant à son histoire et son identité, et qui s'appuie sur ses racines pour aborder le monde. C'est l'exact contraire du culte de la médiocrité et du nivellement par le bas, qui en ce 21e siècle continuent de gangrener notre nation.


En effet, tout comme l'ont fait après lui les Ernest Gagnon, Sylva Clapin, Jules Fournier, Olivar AsselinHermas Bastien, Pierre Baillargeon, Charles-Marie Ducharme, Louis Francoeur, Narcisse Furois, que ces Glanures ont présentés, Hubert LaRue pourfendait le culte de la paresse intellectuelle et de l'à-peu-près, de même que l'esprit de servilité qui, depuis trop longtemps, tuent la nation québécoise à petit feu, notamment en la condamnant à l'impuissance politique. Il aurait certainement dit, à l'instar d'un Paul-Émile Lamarche : « Regénérons l'opinion publique. [...] Travaillons à l'intérêt national. Secouons nos ailes et élevons-nous ». 

Et Hubert LaRue, comme on le lira ci-dessous dans les témoignages de personnages qui l'ont connu, était profondément attaché à notre patrie. Pour cet homme dont la curiosité intellectuelle ne connaissait ni limites ni frontières, il est aussi stérile qu'illusoire de prétendre s'ouvrir à l'universel si l'on n'est pas d'abord enraciné dans le terreau de sa propre nation. 

Pour LaRue, l'enracinement national est donc une condition incontournable de l'ouverture à l'universel. C'est pourquoi nous, les Québécois d'aujourd'hui, gagnerions beaucoup à fréquenter de nouveau les écrits de ce patriote et humaniste remarquable qu'était Hubert LaRue, et ce, particulièrement à notre époque où des poseurs semi-lettrés plus ou moins incultes qui nous tiennent lieu d'élites prêchent le déracinement au nom d'une ouverture factice et sans substance ni saveur. (Pour télécharger gratuitement certaines oeuvres de LaRue, cliquez ICI). 

En 2011, Autour de l'île, le journal communautaire de l'île d'Orléans, présentait en pages 1 et 2 un intéressant portrait de LaRue, que l'on peut consulter ICI

Sur son île d'Orléans natale, LaRue a d'ailleurs publié en 1861, dans la revue littéraire Les Soirées canadiennes, un récit historique et légendaire captivant intitulé Voyage autour de l'île d'Orléans, dont on se demande pourquoi une œuvre littéraire d'une telle qualité n'a jamais été rééditée ni présentée aux jeunes générations, ce qui est une autre aberration des autorités littéraires et éducationnelles québécoises que l'on subit depuis trop longtemps. En tout cas, on peut télécharger gratuitement le Voyage autour de l'île d'Orléans d'Hubert LaRue en cliquant sur la reproduction des couvertures des deux numéros des Soirées Canadiennes où le récit vit le jour pour la premier fois il y a maintenant 160 ans : 


Ces Glanures vous présentent donc ce grand canadien-français que fut Hubert LaRue, d'abord en reproduisant les portraits que firent de lui certains grands écrivains de son temps qui l'ont bien connu et qui aussi l'ont estimé et aimé. Car l'homme était effectivement attachant et sa pétillante compagnie était des plus recherchées. 

Suite à ces témoignages aux notes aussi touchantes que révélatrices de sa haute stature intellectuelle, patriotique et humaine, vous pourrez prendre connaissance ici-bas d'extraits substantiels des écrits d'Hubert LaRue sur les thèmes de la lutte contre la paresse intellectuelle et de l'attachement à la patrie : 

Hubert LaRue, à 20 ans. (source : Hubert LaRue
et l'idée canadienne-française
, Québec, 1912).

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Portraits et témoignages  


Dans ses Souvenances canadiennes, l'abbé Henri-Raymond Casgrain, écrivain et historien, a présenté ce portrait de son ami et complice littéraire : 

«Le Dr Larue, professeur de médecine à l'Université Laval et conférencier très applaudi, avait du relief même à côté des figures caractéristiques que je viens de passer en revue. Il aimait à se dire enfant de l'Ile d'Orléans qu'il appelait l'île des sorciers avec le peuple des environs. Il était resté par goût homme des champs. Obligé de passer sa vie en ville à cause de sa profession, il rêvait toujours le bonheur champêtre, et ce bonheur il le plaçait dans sa paroisse natale, Saint-Jean de l'île, pour laquelle il avait un culte de prédilection. Le côteau charmant qui a vue sur le fleuve, où il avait passé ses premières années, lui semblait un coin de paradis terrestre. 


Aussi bien la maison paternelle qui s'étale spacieuse et solide dans la sérénité des prairies vertes, a-t-elle l'air d'être heureuse à regarder le soleil levant. C'est là que Larue eut aimé vivre et mourir : là seulement, il jouissait de la plénitude du bonheur qu'on peut avoir ici-bas. Hors de sa paroisse natale il se sentait en exil. Il y repose maintenant et doit dormir en paix. 

Le Manoir Mauvide-Genest, où est né Hubert Larue, et que
l'on peut visiter de nos jours, à Saint-Jean-de-l'Ile-d'Orléans.
La photo ancienne est tirée de : Le Docteur Hubert LaRue et l'idée
canadienne-française
, 1912.
(Cliquer sur l'image pour l'agrandir).


Aucun professeur de Laval n'a été plus goûté que le Dr Larue. Il avait le don du professorat, parole nette, claire, sonore, lucidité toujours la même, soit qu'il fit l'analyse ou la synthèse des questions qu'il avait à traiter, pureté de langage irréprochable et cette distinction qui ne peut être acquise qu'à l'école des maîtres qu'il avait entendus à Paris.

Comme conférencier, il se distinguait par l'humour, le tour gaulois, le mot d'esprit qui éclatait à l'improviste comme un coup de pistolet et faisait crouler la salle sous les applaudissements.

Un mot sur l'apparence extérieure du Dr Larue en faveur de la génération qui ne l'a pas connu : taille moyenne, svelte, allure vive, traits réguliers, teint légèrement bilieux, marche droite et ferme. Au moral, caractère d'acier, ouvert, franchise parfois excessive avec des réparties mordantes, père de famille modèle, fou de ses enfants, sacrifiant tous ses loisirs à leurs amusements et à leur éducation, composant de petits traités à leur usage, les faisant imprimer pour les mettre entre leurs mains, les expliquant à chacun d'entre eux avec une sollicitude vraiment touchante. Tel était le Dr Larue ; il n'a eu dans sa vie qu'un seul tort, celui de mourir trop jeune, usé par le travail et le surmenage».
 


Extrait de : Henri-Raymond Casgrain, Souvenances canadiennes, Les Cahiers d'histoire de la Société historique de la Côte-du-Sud, 2016, p. 303-304. 

Les mémoires de l'abbé-historien Henri-Raymond Casgrain, 
d'où est tiré le portrait d'Hubert LaRue qui précède, viennent
d'être publiés pour la première fois par la 

Société d'histoire de la Côte-du-Sud.
On peut se procurer
 le volume
à la librairie L'Option.
(Cliquer sur l'image pour l'agrandir)


Dans ses mémoires estudiantins intitulés Les étapes d'une classe au Petit séminaire de Québec 1859-1868, parus en 1908, l'abbé David Gosselin, qui deviendra chanoine, a eu Hubert LaRue pour professeur de chimie. Voici le souvenir fort vivace qu'il en a conservé : 

« Les professeurs parfaits sont rares, mais s'il y en a, le docteur Hubert LaRue, ancien titulaire des cours de chimie, doit être classé parmi les privilégiés. Lorsque nous étions ses élèves, il nous apparaissait comme tel, et les années écoulées depuis n'ont pas modifié cette impression. Précis, clair, méthodique au superlatif, il donnait son cours sans notes sous les yeux. Cependant il n'hésitait jamais, le mot technique lui arrivait toujours à temps, sa phrase était invariablement irréprochable. Celui qui avait la main assez légère pour saisir au vol le texte intégral, aurait pu le porter à l'imprimeur sans le réviser.

Son cours était une causerie familière, mais soignée, vive, alerte, et agrémentée par-ci, par-là, d'une plaisanterie toujours spirituelle, ou d'une boutade qui n'était jamais banale. Savait-il par cœur le mot à mot de son cours ? Nous l'ignorons. Mais nous constations qu'il répétait la même chose dans les mêmes termes lorsqu'il se rééditait. 

Plus chanceux que M. Hamel, les expériences, dont nous étions si friands, faisaient rarement long feu. S'il nous annonçait un précipité blanc, jaune, rouge ou brun-marron, la prophétie se réalisait à la lettre. 

Nous suivions tous son cours avec plaisir, intérêt, et même une religieuse attention.  Les écoliers, on le sait, après Dieu, ne craignent rien tant que le ridicule ; c'est pourquoi nous filions doux, sachant d'avance que les rieurs ne seraient pas de notre côté. Aussi, la classe toute entière ― les indépendants et les fanfarons comme les autres  laissaient à la porte de l'amphithéâtre ce qui aurait pu agacer le professeur, ou simplement attirer son attention. C'est de beaucoup la meilleure politique à suivre en tout temps, mais surtout dans les circonstances analogues à celles que je viens de mentionner. On s'épargne ainsi une foule de désagréments, et l'on échappe à des interrogatoires que l'on n'est pas toujours préparé à subir avec honneur ». 
 
Extrait de : Abbé David Gosselin, Les étapes d'une classe au Petit séminaire de Québec 1859-1868, Québec, Imprimerie H. Chassé, 1908, p. 214-215.

Natif de l'île d'Orléans comme Hubert LaRue, l'abbé David Gosselin
a publié en 1908 ses souvenirs estudiantins, d'où est tiré l'extrait ci-
dessus. On peut en télécharger le volume ICI.

(Photo : Fonds d'archives du Séminaire de Québec ;
cliquer sur l'image pour l'agrandir).


À l'occasion de la mort de LaRue, l'écrivain Arthur Buies a écrit ces lignes poignantes dans la revue Nouvelles Soirées canadiennes : 

« Ne comptons pas nos morts ; il y en a trop, et le coeur saigne assez de ses propres blessures sans qu'on lui ajoute les regrets intarissables de l'amitié à jamais perdue. Ce n'était pas assez de Lucien Turcotte ; toi aussi, pauvre Dr LaRue, tu es parti. Qu'est-ce qui t'attirait donc vers cette tombe avide où tu avais rêvé un jour de trouver le ciel, comme tu l'as dit dans des vers désespérés ? Ah ! nous sommes restés, nous, et pourquoi ? Pour vous pleurer et pour attendre l'heure d'aller vous rejoindre dans l'éternel rendez-vous. Sphères célestes où tant de nos amis se sont envolés, ouvrez donc, ouvrez donc un peu vos portes ; laissez-moi les apercevoir un instant seulement dans cette vie dont vous gardez l'impénétrable secret ; écartez devant mes yeux l'abîme de l'immensité et que ma pensée y plonge avec son cortège infini de regrets et de souvenirs. 

Mes amis ont passé ; soit. Cette terre est maudite ; nous sommes nés pour mourir, mais nous devons jusqu'au dernier jour labourer le sol ingrat. À tous le devoir pénible, incessant, trop souvent infécond, mais salutaire et sacré. Nous vous continuerons et nous tâcherons de ne pas trop déchoir. Nous essaierons de valoir un peu de vous : c'est le meilleur et le dernier tribut que nous puissions rendre à votre mémoire ». 

Extrait de : Arthur Buies, Nouvelles Soirées canadiennes, vol. 1, no 1-2, p. 10-11. 


Premier numéro de la revue Nouvelles Soirées canadiennes,
qui contient les hommages d'Arthur Buies et de Faucher
de Saint-Maurice à l'occasion du décès 
d'Hubert LaRue.

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Dans la même revue, en plus du vibrant hommage de Buies qui précède, l'écrivain Faucher de Saint-Maurice a publié ce portrait aussi vif qu'émouvant de son ami intime Hubert LaRue : 

« Je le vois encore assis dans ce fauteuil en cuir auquel il tenait tant, peut-être parce qu'il lui venait du
juge Panet. C'était là qu'il aimait causer.

—"Ma maison, disait-il, c'est une petite patrie renfermée dans la grande patrie, la patrie commune. Vous y retrouvez votre bon vieux canapé, vos livres, votre tabac et votre vieille pipe si bien culottée".

Et ses idées d'aller à tire-d'aile. Agriculture, lettres, beaux-arts, philosophie, voyages, science, économie politique, tout était familier à ce docteur en médecine qui aurait voulu être notaire. 

Le premier des LaRue qui vint au Canada fut Guillaume de la Rue, notaire royal et juge à Champlain

—"Ce Guillaume est mon ancêtre, écrivait Hubert LaRue. De lui la maladie du notariat a passé à sa descendance comme une affection héréditaire. J'espère que le germe de cette affection est éteint : je rends grâce au ciel d'y avoir échappé, d'autant plus que mon tempérament m'y prédisposait". 

Il écrivait comme il parlait, et que d'enseignements n'avons-nous pas entendu tomber des lèvres de ce savant [...] , aussi érudit que modeste, qui lisait Homère, Tacite, Tite-Live, Horace, dans le texte [...]

Près du fauteuil du docteur, à gauche, il y avait une bibliothèque en bois d'érable. C'était l'arsenal. Nous y puisions nos armes pour la discussion. À droite s'allongeait une table carrée, où s'étalaient lampes, pot-à-tabac, journaux, fioles de pharmacie, plumes, encrier, instruments de chirurgie, échantillons minéralogiques. Les manuscrits de l'écrivain avaient trouvé refuge dans un des tiroirs de ce meuble gigantesque. 

Un soir, il en tira quelques feuillets et me dit : 

— Comment trouvez-vous ce portrait ?

Et il me lut l'histoire d'Un politicien désabusé, auteur d'un petit manuel d'agriculture à l'usage des écoles

En quelques pages fort enlevées  publiées plus tard dans son Voyage sentimental sur la rue Saint-Jean, le docteur LaRue dévoilait l'originalité de sa nature, et j'engage ceux qui aiment l'esprit gaulois à relire cette boutade à la Paul-Louis Courier

Taille moyenne, large d’épaules, un peu voûté par le travail, par le poids du jour, voix brève, parole vibrante, figure sévère, cœur d’une sœur de charité, tel était celui que nous regrettons. Né à Saint-Jean de l’île d’Orléans le 25 mars 1833, de maître Nazaire LaRue, notaire, et de dame Adélaïde Roy, il appartenait par sa mère et par son père à cette vieille bourgeoisie canadienne-française qui fait l’orgueil et la force de notre race en Amérique. Elle seule a créé, elle seule continue cette Nouvelle-France si féconde, si vivace, si fidèle aux souvenirs, aux traditions du passé, si attachée à sa langue, à ses lois, [...] si admirée aujourd’hui par ceux qui savent priser tout ce que peut faire le dévouement et les saines idées.

[...] Treize enfants vinrent se grouper autour du foyer paternel, et ils furent élevés dans ces sentiments de droiture, de religion, d’esprit de travail qui firent l’honneur de la vie d’Hubert LaRue. Dès l’âge de neuf ans et demi, il était au séminaire de Québec, où il fit un cours rapide, brillant. 

Cinq ans après on le retrouve étudiant en médecine. L’Université Laval venait d’être fondée par l’énergie du grand vicaire Casault et de ses collaborateurs : elle était à la recherche de tout ce qui pouvait donner de la force, du fonds, du prestige à ses chaires d’enseignement. D’avance les talents et le travail d’Hubert LaRue le désignaient au choix de ces hommes qui s’y connaissent en hommes, et il fut envoyé en Europe pour se former et puiser aux meilleures sources de la science. Un an de stage à l’Université catholique de Louvain, six mois d’études à Paris firent bientôt de l’élève un maître, et à son retour en 1859, il fut nommé titulaire de chaires de chimie, de toxicologie, d’histologie et de médecine légale.

En passant les épreuves du doctorat, Hubert LaRue avait choisi comme sujet de sa thèse, le suicide. J’ai relu dernièrement ce beau travail où une délicate question est traitée si habilement qu’on oublie le jeune homme pour ne voir en l’auteur qu’un médecin expérimenté qui aurait déjà un quart de siècle de pratique. Après avoir donné la définition du suicide, l’aspirant au doctorat nous décrit le suicide volontaire criminel, sans folie, causé par la débauche, les dégoûts de la vie, les chagrins domestiques, la honte, le remords, la souffrance physique, les humiliations de l’amour-propre, les revers de la fortune. Puis il passe au suicide volontaire excusable et au suicide involontaire ou accidentel. Il nous démontre l’influence des saisons, des climats, des âges, de la civilisation sur cette mystérieuse maladie, qui quelquefois est épidémique, d’autres fois héréditaire. Il indique les remèdes les plus efficaces pour la combattre et termine par une curieuse étude, d’après les notes des abbés Durocher, Bolduc et Belcour, sur le suicide chez les sauvages de l’Amérique du Nord. Cette thèse, brillamment soutenue, valut à son auteur les félicitations de toute la jeunesse de l’époque et l’anneau d’or de docteur en médecine. 


Un réveil littéraire se faisait alors au Canada. Nous ne pouvions guère oublier le succès que venait de remporter Huston avec la publication du Répertoire national. Le 21 février 1861, quelques hommes de lettres se réunissaient rue de Buade, à l’atelier de MM. Brousseau, et y fondaient la revue Soirées canadiennes. Parmi les noms de ces vaillants lutteurs, je retrouve celui d’Hubert LaRue, à côté de ceux de Jean-Charles Taché, de l’abbé Ferland, de notre grand historien Garneau, de Chauveau, Parent, Trudel, Fiset, Octave Crémazie, Gérin, Légaré, Fréchette. Ce fut aux Soirées canadiennes que Hubert LaRue donna le manuscrit de son Voyage autour de l’île d’Orléans, étude bien faite, et qui plaît autant par l’originalité de la forme que par les qualités du style. 

En 1863 on discuta la création d’un second recueil de littérature canadienne. Le Foyer canadien fut imprimé ; et un bureau se constitua sous la présidence de l’abbé Ferland, avec Hubert LaRue comme secrétaire. Il publia dans cette revue une étude remarquable sur les chansons populaires du Canada. 

— "Les recherches que vous avez faites, Monsieur, lui écrivait alors Champfleury, le célèbre auteur des Chansons populaires des provinces françaises, sont d'une riche importance dans cette question si neuve encore en France. Une étude telle que la vôtre dédommage largement des efforts qu'il m'a fallu faire pendant trois ans pour mon livre, si incomplet qu'il soit". 

La seconde partie de cette intéressante étude devait être exclusivement consacrée aux chansons historiques du Canada. La mort a frappé l'auteur avant qu'il n'ait eu le temps de compléter son oeuvre si patriotique ! 

Aimant la lutte, le travail, les exercices de la pensée, cet esprit ardent, une fois dans la mêlée, ne devait plus la quitter. Depuis 1859, les études, les conférences, les livres, les travaux de tout genre se succèdent sans interruption sous sa plume. Toujours sur la brèche, Hubert LaRue combat vaillamment ; il défend ses idées ; il cherche, et presque toujours il trouve ce qui peut faire progresser et améliorer le Canada français. L’instruction publique, les industries, l’agriculture, attirent l’attention de ce penseur. Ce dernier art est surtout pour lui plus qu’une question patriotique, plus qu’une question politique. Il en fait une question religieuse, assurant à qui veut l’entendre que le sort du Canadien-français catholique est entièrement entre les mains du cultivateur. 

[...] Chez Hubert LaRue, il y a deux notes prédominantes. La gaieté, la tristesse. Relisez, dans le premier volume de ses Mélanges historiques et littéraires, les pages qu’il consacre à Nos qualités et nos défauts. Tour à tour il s’y montre philosophe profond, homme de cœur, écrivain spirituel, mordant. Les notaires, les avocats, les médecins, subissent les traits de ce rieur de bon aloi, qui est de l’avis d’Horace : Castigat ridendo mores (trad. du latin : Corriger les moeurs en riant). 

Le mariage de Brindavoine, la description de l'album de photographies et d'autographes dans sa conférence Luxe et vanité, le contrat de mariage dans son étude sur le notaire, la description d'une cour de circuit dans sa monographie de l'avocat, celle du médecin tant pis, du médecin tant mieux, du médecin timide, du médecin hardi, sont autant de francs éclats de rire gaulois. Ils dérident ceux qui en sont l'objet et les forcent à se reconnaître dans ces tableautins signés par un maître. 

Il en est ainsi du Patrice et Jean-Baptiste, curieuse étude, pleine de vérité, d'enseignement sur les divisions stupides entre Irlandais et Canadiens français. 

Hubert LaRue excelle dans ces descriptions qui font dire à plus d’un de nos compatriotes d’outremer:

— "Serait-ce dans la Nouvelle-France qu’il faudrait retrouver l’ancienne?" 

Les pages qu’il consacre à son endroit natal, à l’île d’Orléans, sont belles, érudites, écrites sans effort. Il nous parle de nos danses rondes, de nos chemins d’hiver, du feu de la Saint-Jean, des sorciers de l’île, des loups-garous, de la chasse-galerie, en termes aussi graphiques, aussi fidèles que le ferait notre meilleur coloriste canadien-français, Aubert de Gaspé

 — "Pourquoi, disait-il, ma plume se refuserait-elle à retracer ces légendes naïves qui peignent si bien la bonne foi de nos ancêtres ? Ceux qui nous ont légué ces contes les racontaient au bivouac, au milieu de la forêt, à la belle étoile, entre le combat du jour et celui du lendemain. Et ces héros, soldats aussi fiers sur le champ de bataille que citoyens paisibles à la chaumière, versaient des larmes en les transmettant à leurs enfants : car, pour eux, c’était le souvenir de leur belle Normandie, ou de leur noble Bretagne qui se retraçait à leur esprit. Ainsi donc pourquoi ne pas les rappeler ?" 

Et il l’a fait dans des lignes chaudes, émues, qu’on aime à relire au coin du feu, quand le vent de bise passe et que l’on trouve bon de remonter vers le passé. 

L’œuvre principale de celui que nous regrettons, est à mon avis son Histoire populaire du Canada, "racontée à ses petits enfants, par madame Genest". La scène se passe toujours à l'endroit aimé, à l'île d'Orléans. C'est là que l'aïeule supposée — ou plutôt faisons connaître Madame Genest sous son vrai nom — c'est là que Madame LaRue raconte à cette famille vigoureuse, intelligente qui honore aujourd'hui la patrie, l'histoire de la patrie elle-même. Ce livre destiné à la jeunesse a été un succès de pédagogie, d'analyse historique.


Une oeuvre caractéristique de l'esprit pédagogique et du patriotisme
d'Hubert LaRue, et que l'on lit encore avec plaisir et profit, même près de
150 ans après sa publication. On remarque la touchante dédicace de
cette troisième édition à la mémoire de son fils Hubert Junior,
décédé peu avant.

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[...] Nous avons souvent ri de bon cœur avec ce Canadien-français qui connaissait à fonds Molière, Rabelais, mais sur cette figure si franche, si sensitive, le sourire n’avait jamais de longue durée. Le voici soudain sombre, pensif. [...] Méry, qu’il aimait à citer, résume ainsi l’existence : 

         Un jour de fête, 
          Un jour de deuil, 
          La vie est faite 
          En un clin d’œil. 

Le psalmiste la compare à un navire, à un nuage, à une ombre : Sicut nubes, quasi naves, velut umbra. La vie d’Hubert LaRue n’a pas même dépassé la moyenne accordée aux hommes. Il est mort à quarante-huit ans. Mais en retour comme cette vie a été bien remplie. Scrutez-la avec moi. 

Il est bon de causer avec les morts, nous a-t-il dit : eh bien ! causons. Demandez-lui ce qu’il a fait pour la race canadienne-française. Tout son tact, toute sa droiture, toute son expérience des choses et des hommes ont été mis au service des siens. 

Personne mieux que lui ne sait traiter les grandes questions qui nous touchent de près. Pour les mères il écrit sur la manière d’élever les jeunes enfants. À ceux-ci il fredonne, il rappelle les chants populaires qui jadis ont bercé l’aïeule et mené les ancêtres au combat et au défrichement. Aux étudiants il lègue la science, l’amour du travail, le respect de la discipline.



Hubert LaRue, vers la fin de sa vie.

(Source : Mgr Camille Roy, Histoire de la
littérature canadienne
, cinquième édition,
Québec, L'Action sociale, 1930, p. 119) 



Aux maîtres, à ses pairs, il laisse le souvenir de son érudition, de son affabilité, de son habileté dans l’art, plus que difficile, de bien enseigner. Aux lettrés, il démontre le respect de la langue, l’exactitude dans les recherches, l’élévation des idées, la pureté du style. Aux ouvriers il est toujours de bon conseil et il les convainc par le sens pratique. Aux cultivateurs, il ne cesse de dire qu’ils sont la patrie, et que, chefs du sol, ils doivent se méfier du luxe, de la prodigalité, de la routine, de l’esprit de division et de dénigrement. 

À tous, il ne cesse de répéter qu’il faut méditer l’histoire de notre passé et que c’est ainsi que nous apprendrons le respect, l’attachement dûs à notre religion, à notre langue, à nos lois. Pour en arriver à ces buts multiples tout lui est bon : conférences, livres, brochures, inventions utiles, articles de journaux, causeries. 

Et vous croyez qu’après cette tâche, Hubert LaRue a fini ce qu’il s’est si noblement proposé. Non, tout ceci n’est que le repos accordé après le travail obligatoire, accompli. Ces grandes choses ne se pensent, ne s’écrivent qu’après une journée de labeur, de cours donnés, d’analyses chimiques, de conseils médico-légaux, de soins rendus pendant le jour à l’hôpital, au dispensaire, à la maternité, à l’Hôtel-Dieu, pendant le jour et la nuit à sa clientèle. 

Quand un homme de cette force s’éteint, le deuil d’une famille s’étend à toute une nation. [...]  Marié à mademoiselle Alphonsine Panet, le docteur LaRue trouva le bonheur terrestre dans la vie domestique. De beaux enfants faisaient la joie de la maison, lorsque la mort vint frapper à cette porte si bien close à tous les bruits du dehors. Une maladie rapide enleva Hubert, le fils aîné ; la phtisie emporta, à l’âge de dix-neuf ans, Alphonsine, grande brune, aux yeux doux, rêveurs, vrai type de la beauté, de l’éducation, de la distinction canadienne-française. 

Dès lors la pensée du savant se tourna vers les mystères de la tombe. Il ne souriait plus. 

— La maison natale, l’église, le cimetière, disait-il souvent, le cimetière surtout, voilà la patrie. 

Au milieu d’une dissertation, d’une conférence, dans un salon, chez un ami, chez lui, au milieu d’un cours, son œil se voilait. Il balbutiait, terminait brusquement par un trait, par un axiome. Les uns ne constataient que de l’originalité. Ceux qui le connaissaient mieux n’y voyaient que des larmes. Son esprit ailleurs planait sur ces tombes chéries, dans ce petit cimetière, où il m’entraîna par une nuit de clair de lune, et où pendant plus d’une heure il s’agenouilla et sanglota comme un enfant. 


Hubert Junior, mort à l'âge de 11 ans, et Alphonsine, morte à l'âge de 19 ans,
enfants d'Hubert LaRue, qui fut durement affligé de ces disparitions.

(Illustration : Le Docteur Hubert LaRue et l'idée canadienne-française, 1912).


Pierres tombales, brisées, des deux enfants d'Hubert
LaRue, Alphonsine, 19 ans,  et Hubert  junior, 11 ans.
Sur la pierre du garçon est inscrit : « À notre cher Hubert ».
La tombe de leur père est voisine de quelques pied à droite, 
au cimetière de Saint-Jean-de-l'Ile-d'Orléans.

(Photo : Daniel Laprès, 2015)


Au milieu de ces départs, il ne faut pas s’étonner si le père s’en est allé vers ses enfants. Huit jours de maladie suffirent. 

[...] Maintenant il attend l’heure de la résurrection dans le cimetière de l’île de Saint-Jean d’Orléans, dans l’endroit chéri, arrosé de ses larmes, où pour lui était le cœur de la patrie. Il dort au pied de son père, entre ses enfants, au bruit de ce « mugissement vague, sourd, indéfinissable dans sa grandiose splendeur, qui s’élève du grand fleuve ». Cette description est de lui. 

La dernière page de son dernier livre se termine ainsi : 

          J’y rêve bien souvent à mon bon cimetière, 
          J’y rêve aussi souvent à cette bonne bière, 
          Où blanchiront mes os. 
          J’aurai pour me pleurer les larmes d’une mère, 
          D’un enfant bien-aimé l’efficace prière, 
          Et l’éternel repos. 


Extrait de : «Hubert Larue», par Faucher de Saint-Maurice, Nouvelles soirées canadiennes ; Recueil de littérature nationale, 1er volume, 1ère et 2ème livraison, janvier 1882, p. 12-33.



Église et cimetière de Saint-Jean-de-l'Ile d'Orléans. Illustration tirée de : 
Le Docteur Hubert LaRue et l'idée canadienne-française, 1912.
La pierre tombale d'Hubert LaRue est indiquée par une flèche blanche.

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Monument funéraire d'Hubert LaRue, cimetière de Saint-Jean-de-l'Ile-d'Orléans.
La pierre est en mauvais état et les inscriptions sont difficilement lisibles. 

Derrière, à gauche, on aperçoit le monument de l'historien Louis-Philippe Turcotte
un contemporain admirable d'Hubert LaRue.

(Photo: Daniel Laprès, 2015 ; cliquer sur l'image pour l'agrandir).



Quelques écrits d'Hubert LaRue :


1) Contre la paresse intellectuelle 


«À vingt ans 
— terme moyen en ce pays, — on sort du collège. Voilà donc vingt années entières, et les plus belles, toutes consommées dans une lutte incessante et désespérée contre le lourd démon de la paresse. 

Encore, si après cette lutte acharnée, il pouvait nous être donné de crier victoire ! Encore, si de nombreux trophées remportés sur l'ennemi pouvaient nous assurer à l'avenir un champ libre de tout obstacle ! Mais hélas ! combien, à cette heureuse époque de la vie, se laissent amollir par ces énervantes délices de Capoue, que l'occasion semble faire naître à dessein sous leurs pas ! combien prêtent encore, avec plus de docilité que jamais, le cou au joug de la paresse !

C'est alors qu'on voit celle-ci, pour triompher plus sûrement, appeler à son aide les illusions toutes-puissantes de son fidèle Achate, l'orgueil. Tous deux, réunissant désormais leurs efforts, ne manquent pas de trouver bien vite le défaut de la cuirasse ; et que de jeunes gens ne voit-on pas alors s'imaginer qu'ils ont tout appris, qu'ils savent tout, et qu'il n'y a plus pour eux qu'un seul souci en ce monde, celui de désapprendre au plus vite ! Ils se regardent complaisamment comme des puits de science, des trésors de sagesse ; quelques-uns même, doués d'une sensibilité nerveuse exagérée, vont jusqu'à concevoir de vives inquiétudes sur l'état de leur santé ; ils craignent de succomber à une pléthore scientifique ! 


On a inventé une phrase en ce pays pour exprimer tout cela, et l'on dit : "C'est un homme instruit, il a fait toutes ses études !", tout comme si l'on disait : "C'est un Arago, un Faraday, un Liébig ou un abbé Moigno".

Heureux ceux qui ne s'appliquent pas à se faire croire de pareilles lubies ! Heureux les jeunes gens qui sortent du collège bien persuadés qu'ils n'ont fait que défricher un petit recoin du vaste domaine de leur intelligence, bien convaincus que sans des efforts persévérants, l'ivraie ne tardera pas à étouffer les germes précieux qu'ils ont ensemencés avant tant de soins et de fatigues ! Heureux ceux qui savent qu'ils ne savent rien !

[...] La paresse est ingénieuse à s'abriter sous certains mots ; et, parmi ces derniers, il n'en est pas dont elle fasse un plus mauvais usage que les mots "pratique" et "expérience".

Mais, autant il faut s'incliner respectueusement devant l'expérience de bon aloi, et se soumettre aveuglément à ses décrets, autant aussi il faut se défier de cette expérience mensongère à l'aide de laquelle tant de gens cherchent à dissimuler leur ignorance. 


Il ne faut pas s'y tromper ; si l'expérience accompagne souvent les cheveux blancs, les cheveux blancs seuls ne peuvent pas la donner. L'expérience ne s'acquiert que par beaucoup d'étude unie à beaucoup d'observation. L'étude, ou, comme on dit encore, la théorie, qu'est-ce, sinon l'expérience ou la pratique des autres ? Et l'expérience seule, ou la pratique sans étude, qu'est-ce, surtout dans l'exercice de certaines professions, sinon, presque toujours, une routine aussi invétérée que dangereuse ? Voir et observer sont deux choses différentes : que de gens qui ne regardent et ne voient point ! Que de gens qui voient et n'observent point ! Oculos habent et non videbunt (traduction du latin : "Ils ont des yeux, et ne verront point").  

Une autre excuse que l'on invoque souvent pour ne pas s'infliger le travail de l'étude, est la suivante : "Je suis trop vieux pour apprendre !"

Trop vieux pour apprendre ! Jamais ! Car la dernière fin de l'homme est d'apprendre, c'est-à-dire, de connaître tout, de savoir tout, de saisir tout, apprehendere, c'est-à-dire de savoir l'infini, de savoir Dieu ! 

[...] C'est le privilège des gouvernements représentatifs comme le nôtre de passionner beaucoup les jeunes gens pour ce qu'on est convenu d'appeler "la politique" ; et c'est là, pour plusieurs, la cause d'une grande perte de temps. 

À Dieu ne plaise que je veuille rabaisser le mérite de ceux qui tiennent en mains les rênes de l'État, et dirigent les destinées de leur pays. Si beaucoup de reconnaissance peut alléger un peu le lourd fardeau qui pèse sur leurs épaules, la mienne leur est acquise d'avance. Néanmoins, laissez-moi vous dire toute ma pensée sur cette question si brûlante de la politique. Si c'est la recherche de la gloire qui anime vos démarches, inspire vos efforts, détrompez-vous : sur mille qui cherchent la gloire dans ces sentiers raboteux et difficiles, à peine un la trouve-t-il. 

En effet, la plupart de ces questions politiques qui émeuvent tant les contemporains laissent à peine derrière elles une petite trace dans les annales de l'histoire. Cependant, si c'est votre ambition, si vos goûts et vos aptitudes vous portent à embrasser cette carrière ingrate, croyez-moi, la meilleure préparation que vous puissiez apporter à ce genre d'étude, c'est de bien faire vos cours de littérature, d'arts, de droit, de médecine. Par ces études fortes, vous développez votre intelligence, vous mûrissez votre jugement, bien mieux que vous ne le pourriez faire avec toute la "politiquaillerie" du monde.

Il est une chose entre toutes qu'il est urgent de développer en ce jeune pays : c'est le goût, c'est la passion de l'étude. Or, cette passion ne peut naître et se développer que par l'étude. Quel travail pénible, n'est-ce pas, que d'étudier, pour celui qui le fait sans goût, avec répugnance ! Au contraire, quelle source de jouissances infinies n'est pas l'étude pour celui qui est parvenu une fois à cultiver ce goût jusqu'à la passion ! De toutes les passions, il n'en est pas de plus fortes, ni de plus tenaces, une fois qu'on est parvenu, par des soins intelligents, à lui donner son plein développement. Que sont pour l'amant de la science tous les plaisirs du monde, comparés aux sereines jouissances que lui donnent ses livres et ses bouquins ? 


[...] Eh bien ! je voudrais que chacun de nous portât le même amour à ce fruit de l'arbre de la science qui, Dieu merci, n'est autre chose, en ce pays, que l'arbre du bien. Je voudrais que chacun de nous apprît l'art de déguster un beau livre, comme le gourmet apprend à déguster un mets savoureux. Je voudrais que la lecture d'un beau chapitre, que le souvenir d'une belle page, fissent éclater sur vos figures les rayons de contentement intellectuel, les plus beaux de tous les rayons ; je voudrais que vous fussiez des gourmets de la science. 

[...] On a beau dire, on a beau faire, la paresse a des charmes incomparables et rien ne saurait la dépouiller de ses séduisants attraits. La paresse tient enchaînés à son char doré tous les hommes, non seulement avec leurs vices, mais un grand nombre même avec leurs vertus. 

Le travail lui-même n'est bien souvent que l'esclave de la paresse ; disons le mot, le travail n'est parfois que la paresse déguisée. Pourquoi cet homme dont vous ne cessez d'admirer le bouillant esprit d'entreprise, l'inépuisable énergie, pourquoi, tout entier à ses travaux, ne donne-t-il à son corps, non plus qu'à son esprit, ni trêve ni relâche ? Ah ! c'est que dans le lointain, là-bas, au bout de la carrière, il voit poindre le mirage enchanteur de la paresse, avec sa brillante escorte de jouissances et de plaisirs. Il travaille aujourd'hui afin d'être paresseux demain ; et plus la soif de la paresse le tourmente, plus il travaille, plus il s'agite. 

[...] La variété en toutes choses est un véritable besoin pour l'homme ; et celui qui ne sait pas varier ses études, qui roule toujours dans le même cercle d'idées, finit nécessairement par s'abestir, comme a dit un ancien.  

Non ! La mission de l'homme en ce monde n'est pas de remplir, jusqu'à ce qu'il éclate, un seul de ces nombreux tiroirs qui, suivant la pittoresque expression de Bonaparte, partagent l'organisation du cerveau, et de laisser tous les autres vides. "Il faut s'astreindre à la loi d'intermittence cérébrale", a dit Réveillé-Parise, même lorsqu'il en coûte beaucoup de s'arracher à une science que l'on aime, et que l'on aime d'autant mieux qu'on l'a le plus approfondie. Le cerveau est comme l'estomac : tous deux s'accommodent mal d'un seul genre d'aliment ; et, avec un peu de vouloir et de prudence, on réussit facilement à faire supporter à l'un et à l'autre une nourriture pour laquelle ils ne sentaient d'abord que peu d'appétit. 

[...] Les jeunes gens ne doivent pas improviser ; car, pour apprendre à parler, il faut apprendre à penser ; et l'on n'apprend à penser qu'avec de l'étude, de la réflexion et de l'expérience. 

[...] Aux seuls hommes mûris par l'âge, nourris d'idées, et qui ont vieilli dans l'étude, il devrait être permis, suivant Plutarque, de parler sans préparation. et encore bien rarement, et surtout peu longuement.  C'est ainsi que le comprenaient Démosthènes, Périclès, qui s'y entendaient, eux, en éloquence ; et à plusieurs reprises, on les a vus s'excuser devant les Athéniens de ne point prendre part aux délibérations, vu qu'ils n'étaient pas préparés.



2) Pour la Patrie


[...] Il est un mot, il est un nom qui, sous tous les climats, sous toutes les latitudes, a le privilège d'enflammer les esprits des jeunes gens, de réchauffer les coeurs de vingt ans ; ce mot mille fois vénéré, ce nom mille fois béni, c'est le doux nom de la Patrie ! 

La Patrie est une mère. Parfois, vieille, décrépite, infirme, boîteuse, elle se présente avec des rides au front, avec tous les tristes attributs de la deuxième enfance. Trop souvent, alors, ses fils ingrats, dénaturés, n'écoutant que les instincts d'un sauvage égoïsme, l'abandonnent à son pénible sort ; et la Patrie, mourante et délaissée, traîne, appuyée sur de faibles béquilles, la plus triste des existences, au milieux des pleurs et des déboires de toute nature. 

Ailleurs, la Patrie est forte, puissante, dans toute la vigueur de l'âge adulte. Ses enfants, nombreux comme les sables du rivage, forts comme les lions du désert, se persuadent facilement que leur mère peut se passer de leurs services. Imbus de cette croyance, ils abandonnent à quelques esprits privilégiés le soin de pourvoir à son salut, l'honneur de veiller aux intérêts de sa gloire. 

Ici, la Patrie s'offre à nos yeux avec tous les attraits d'une mère encore brillante de jeunesse et de beauté, d'une mère dont la couronne de fleurs d'oranger a subi à peine une légère flétrissure. Orpheline depuis hier, la face recouverte d'un crêpe funèbre, elle n'a pour tout appui que les bras de ses enfants ! Qu'un seul lui fasse défaut, et la Patrie souffre, elle pleure ! 

Pressons-la donc sur notre sein, cette mère chérie, réchauffons-la de notre haleine ; apportons à ses pieds le salaire de la journée. En retour du talent qu'elle nous a donné, rapportons-lui dix talents. Que nos neveux et nos arrière-neveux ne puissent jamais nous reprocher notre insouciance, notre paresse ! 

Notre honneur est engagé ; veillons à ce que la Patrie ne soit jamais obligée d'aller... 

             "........crier famine
             "Chez la fourmi, sa voisine,
             "Quelque grain pour subsister ! ..."

Faisons de notre mieux pour que nos descendants ne nous fassent pas le reproche que...

            "Quand la bise fut venue", 

...la Patrie n'a même pas trouvé...

            "... un seul petit morceau" 
            "De mouche ou de vermisseau !..."

Extraits de textes d'Hubert LaRue dans Le Docteur Hubert Larue et l'idée canadienne-française, Québec, Compagnie de publication Le Soleil, 1912, p. 45-75.


Quelques ouvrages d'Hubert LaRue : 


Les deux tomes des Mélanges historiques, littéraires et
d'économie politique
, d'Hubert LaRue, 1870 et 1881

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L'un des ouvrages les plus
captivants d'Hubert LaRue.

(Cliquer sur l'image pour l'agrandir). 

Hubert LaRue n'était pas que professeur de médecine,
mais aussi un homme de lettres et un passionné de sciences
et techniques, comme en fait foi cet entrefilet qui fait mention
d'une de ses inventions, Journal de Québec, 6 octobre 1876.



Mention des funérailles d'Hubert LaRue
Le Courrier du Canada, 28 sept. 1881.


Annonce de la vente à l'encan de
la bibliothèque d'Hubert LaRue au
profit de sa veuve, dans le journal
L'Électeur, 18 mars 1882.

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2 commentaires:

  1. Il ne faut pas oublier Larue comme auteur scientifique:
    L’année 1870 marque un point tournant dans l’édition de manuels agricoles au Québec. Durant plus de deux décennies, les différentes instances publiques se sont plaintes de l’absence d’un manuel adapté à la clientèle. La publication du Petit manuel d'agriculture à l'usage des écoles élémentaires de F.A.Hubert Larue viendra combler ce vide et occuper le marché. Par la place centrale qu’il occupe dans l’édition de manuels agricoles, ce dernier a attiré l’intérêt de plusieurs auteurs contemporains . Ils ont analysé et apprécié le contenu de l’ouvrage mais certaines contradictions et oppositions sont apparues quant à l’édition, elle-même. Alors que Luc Chartrand place la première édition de ce manuel en 1873, Paul Aubin corrige cette date pour préciser avec justesse que c’est bien en 1870 que parait la première édition. Il signale une seconde impression presque à l’identique en 1872. L’édition de 1873 est, quant à elle, augmentée et passe de 52 (55 p. en 1872) à 68 pages. Larue a ajouté des sections sur les engrais chimiques et les rotations pour cette édition qui bénéficie des mentions "Approuvé par le Conseil de l'instruction publique et par le Conseil d'agriculture." et "Edition spéciale publiée par l'ordre de l'Honorable Ministre de l'Agriculture de la Province de Québec." Le titre est légèrement modifié pour cette seule édition, revenant au titre antérieur dès l’année suivante (1874). Alors qu’Aubin considère cette édition de 1874 comme la dernière, plusieurs autres ont en réalité suivi au cours des années suivantes. L’édition de 1876 comporte une nouvelle section sur la comptabilité agricole , absente en 1874. Pour la seule année 1877, apparaissent une 13e et 14e édition. Léon Lortie avait d’ailleurs déjà signalé une 13e édition en 1877. L’année suivante (1878), Larue publie son Petit manuel d'agriculture, d'horticulture et d'arboriculture qu’Aubin considère un ouvrage différent. Un regard attentif des éditions de 1877 et de 1878 laisse toutefois entrevoir que Larue a procédé, comme il l’avait fait en 1873 et en 1876 : il a ajouté une nouvelle partie au manuel existant et a profité de ces ajouts pour ajuster le titre au contenu. Le « jardinage ou horticulture » occupe maintenant les pages 75 à 94 et « l’arboriculture » les pages 95 à 106, le début du texte demeurant inchangé. Au dos de l’édition de 1878 , l’éditeur présente d’ailleurs cette dernière comme une « nouvelle édition ». L’édition de 1878 et les suivantes continuent de se réclamer de l’approbation de 1870. Alors que Luc Chartrand dit que le manuel de Larue a connu une traduction en 1879, il n’a pas tout-à-fait tort, si l’on précise que c’est l’édition comportant les ajouts de 1873, de 1876 et de 1878 qui a été traduite.
    Sous ce nouveau titre, le manuel de Larue connaitra encore plusieurs éditions (1879, 1880, 1881, 1882, 1885, 1886, 1891) jusqu’à 1891 alors que l’auteur est décédé depuis déjà 10 ans. Au total, on compte au moins 18 éditions françaises du manuel de Larue dans ses quatre factures de 1870, 1873, 1876 et 1878, sans compter une traduction en anglais. La numérotation des éditions est quelque peu confondante et une recension de visu a été nécessaire pour éclairer cette question. Il n’est pas impossible que d’autres éditions existent particulièrement pour la période de 1870 à 1876 alors que les éditions ne sont généralement pas numérotées.
    Malgré la totale domination d’Hubert Larue et de son manuel, les années 1870 verront deux timides tentatives de s’immiscer sur le marché du manuel agricole. L’agronome Édouard A. Barnard publie, en 1875, Une leçon d'agriculture, Causeries agricoles, orné de 120 gravures qui reçoit l’approbation du Département de l’Instruction publique . Cet ouvrage ne connaitra pas d’autres éditions. En 1878, A.C.P.R. Landry publie un Traité populaire d’agriculture théorique et pratique, ouvrage couronné par le Conseil d'agriculture de la province de Québec, qui sera imprimé à nouveau en 1886.

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