Joseph-Désiré Marcoux (1850-1888), agriculteur et musicien. |
Nous vivons présentement au Québec une époque affligeante où, comme en témoigne le récent et pathétique phénomène nommé «Rambo», surnom devenu familier d'un triste individu dont les principaux exploits se résument à avoir recouru à l'intimidation brutale pour établir son pouvoir personnel, certains tentent de nous faire croire que, pour exprimer ce qu'est le peuple et pour être compris de lui, il faudrait nécessairement faire preuve de la plus abjecte vulgarité, en ajoutant par exemple un «sacre» à tous les trois mots ou en incluant le terme «marde» dans chaque phrase que l'on prononce.
Pourtant, ce sordide culte du nivellement par le bas révèle essentiellement un authentique mépris envers le peuple québécois, dont, bien au contraire de la volonté de le vautrer dans la médiocrité dont nous sommes témoins aujourd'hui, l'histoire a souvent montré de manière convaincante son aspiration à ce qui élève et ennoblit l'esprit.
Et cette aspiration à ce qui secoue les ailes et rend meilleur était partagée, et cela de manière particulièrement vive et profonde, jusque dans les milieux les plus modestes et les moins formellement «instruits » chez nos compatriotes, comme en témoignent particulièrement certaines des présentes Glanures, dont celle consacrée aux merveilleux «poètes illettrés de Lotbinière» mis en valeur par l'écrivain Pamphile Lemay en 1877. Ou encore l'exemple d'un Louis-Philippe Turcotte, ce tout jeune homme de Saint-Jean-de-l'île-d'Orléans qui, en faisant preuve d'un courage exceptionnel, su surmonter un lourd handicap causé par un accident pour embrasser la vocation d'historien par laquelle il rendit de précieux service à notre patrie.
Et cette aspiration à ce qui secoue les ailes et rend meilleur était partagée, et cela de manière particulièrement vive et profonde, jusque dans les milieux les plus modestes et les moins formellement «instruits » chez nos compatriotes, comme en témoignent particulièrement certaines des présentes Glanures, dont celle consacrée aux merveilleux «poètes illettrés de Lotbinière» mis en valeur par l'écrivain Pamphile Lemay en 1877. Ou encore l'exemple d'un Louis-Philippe Turcotte, ce tout jeune homme de Saint-Jean-de-l'île-d'Orléans qui, en faisant preuve d'un courage exceptionnel, su surmonter un lourd handicap causé par un accident pour embrasser la vocation d'historien par laquelle il rendit de précieux service à notre patrie.
En témoigne aussi, de très forte sinon stupéfiante manière, la vie d'un homme dont vous n'avez quasi certainement jamais entendu parler, Joseph-Désiré Marcoux, qui était à la fois agriculteur à Beauport puis au Lac-Saint-Jean et un musicien d'élite dont l'art émerveilla nos compatriotes de l'époque et rayonna même au-delà de nos frontières.
Né le 20 mai 1850 à Beauport, près de Québec, Joseph-Désiré Marcoux embrassa le métier d'agriculteur et s'établit dans la région du Lac Saint-Jean. Mais il fut surtout connu en tant que musicien d'une exceptionnelle virtuosité et qui fut célèbre dans tout le Québec de l'époque et même par-delà nos frontières.
C'est de ses propres efforts et en autodidacte que Joseph-Désiré Marcoux se perfectionna dans l'art musical. Ayant effectué ses premières prestations musicales dans sa région natale de Québec, il triompha au concours des Fanfares tenu dans le cadre du Jubilé musical de Montréal, le 25 juin 1878.
En 1885, il s'établit à Saint-Prime, au Lac-Saint-Jean, où il prit la direction de sociétés musicales. Deux ans plus tard, Marcoux fondait l'Union musicale Sainte-Cécile, principal corps musical de Roberval. En plus de se dédier à son métier d'agriculteur afin de faire vivre sa nombreuse famille et de constamment se perfectionner musicalement, Marcoux donnait des leçons gratuites à tous les musiciens des corps de musique dont il était membre.
Comme le raconte sa fille Albertine dans l'ouvrage qu'elle lui consacra en 1957, Joseph-Désiré Marcoux était peu fortuné financièrement et, «n'ayant pu suivre de cours complet dans la musique, il se perfectionna en pratiquant la nuit et s'imposant maints sacrifices, alors qu'il se fit une place enviable dans la profession musicale, grâce à son habileté à jouer son instrument favori, la clarinette. Il parvint en peu de temps à mettre en valeur son talent et à captiver son auditoire».
Joseph-Désiré Marcoux vers la fin de sa trop courte vie. |
L'ouvrage biographique qu'Albertine consacra à son père a pour titre : Musicien et paysan. Fatal destin d'un agriculteur-musicien. Et, fait qui dément de manière cinglante les démagogues aussi vulgaires qu'imbéciles qui, de nos jours, prétendent qu'il faut rabaisser notre peuple et le maintenir dans la médiocrité sous prétexte d'exprimer ses vues et préoccupations, la fille de Joseph-Désiré Marcoux a inséré cette maxime de Fénélon en exergue à la biographie de son père :
«Heureux ceux qui se divertissent en s'instruisant et qui se plaisent à cultiver leur esprit par les sciences et les arts».
Le parcours de Joseph-Désiré Marcoux n'est effectivement pas issu de ce qu'on pourrait appeler les élites de la société, lesquelles, même chez les plus instruits formellement, ne sont pas dépourvues de sots et d'ignares qui, trop souvent, ne dépassent pas le niveau semi-lettré. La vie de ce fascinant et inspirant agriculteur-musicien émane plutôt des milieux populaires, ouvriers et agricoles de Québec et du Lac Saint-Jean et elle met en relief les aspirations à l'élévation et à la beauté qui animaient nombre de nos compatriotes d'alors, et ce, même durant un siècle que plusieurs de nos péteux de broue pseudo intellectuels d'aujourd'hui qualifient bien à tort de «peu éclairé».
Joseph-Désiré Marcoux est malheureusement mort de façon prématurée, à l'âge de 37 ans, victime d'un accident de travail où il perdit un bras et dont il mourut le 5 février 1888, ce qui était un sort terriblement tragique pour un clarinettiste aussi passionné que prodigieusement doué. Ses concitoyens de Saint-Prime lui firent l'hommage d'inhumer sa dépouille dans l'église du village.
Couverture de la biographie de Joseph-Désiré Marcoux publiée en 1957 par sa fille Albertine. |
Pour vous donner un meilleur aperçu de la haute valeur de notre compatriote Joseph-Désiré Marcoux et de l'exemple inspirant qu'il nous lègue tout en montrant ce dont peuvent être capables les gens de chez nous en autant qu'ils rejettent la médiocrité et l'avilissement dans lesquels cherchent à les enliser certains démagogues avides de pouvoir, voici quelques extraits substantiels tirés de l'oeuvre que sa fille signa en souvenir de son père :
«Voici ce qu'un reporter de La Presse demanda un jour à un monsieur qu'il interviewait à Montréal : "Voulez-vous me dire quel est le meilleur souvenir de votre vie ?"
"Eh bien ! monsieur, dit-il : J'ai entendu un jour jouer de la clarinette par un nommé Joseph Marcoux, de Beauport, et je n'avais jamais entendu jouer de la clarinette comme cela. Il jouait de façon si harmonieuse et si merveilleuse que c'était hors de l'ordinaire. J'ai gardé de ce musicien un souvenir inoubliable et impérissable, et c'est là le meilleur souvenir de ma vie."
Un monsieur Villeneuve raconta : "Je n'ai jamais connu de joueur de clarinette comme lui! Il jouait! ... il jouait! ... comme je n'en ai jamais vu, ni entendu! Il était extraordinaire dans son jeu. Je n'ai jamais rencontré de musicien aussi habile que lui. Joseph Marcoux, il n'avait pas son pareil! Il pouvait jouer toute une nuit sans ressentir la moindre fatigue et surtout lorsqu'il exécutait toutes les danses avec une harmonie indescriptible qu'on était soulevé malgré nous autres, et avec cela, toujours prêt à faire plaisir à tout le monde".
"Quand on voyait arriver Joseph Marcoux pour nos veillées, disait-il, la joie régnait sur tous les visages et dans les coeurs, et les amateurs de danse en le voyant arriver criaient d'enthousiasme. Les mélodies les plus belles finissent pas fatiguer à force d'être jouées, mais Joseph Marcoux quand même il les aurait répétées cent fois, il leur donnait toujours une expression nouvelle, avec une perfection de rythme et une interprétation que lui seul avait l'art d'exécuter."
"Modeste dans toute l'acception du mot, ce bon musicien ne se glorifiait jamais des éloges qu'il recevait, ni même des attentions qu'on lui portait", disait encore ce bon M. Villeneuve.
Un monsieur Villeneuve raconta : "Je n'ai jamais connu de joueur de clarinette comme lui! Il jouait! ... il jouait! ... comme je n'en ai jamais vu, ni entendu! Il était extraordinaire dans son jeu. Je n'ai jamais rencontré de musicien aussi habile que lui. Joseph Marcoux, il n'avait pas son pareil! Il pouvait jouer toute une nuit sans ressentir la moindre fatigue et surtout lorsqu'il exécutait toutes les danses avec une harmonie indescriptible qu'on était soulevé malgré nous autres, et avec cela, toujours prêt à faire plaisir à tout le monde".
"Quand on voyait arriver Joseph Marcoux pour nos veillées, disait-il, la joie régnait sur tous les visages et dans les coeurs, et les amateurs de danse en le voyant arriver criaient d'enthousiasme. Les mélodies les plus belles finissent pas fatiguer à force d'être jouées, mais Joseph Marcoux quand même il les aurait répétées cent fois, il leur donnait toujours une expression nouvelle, avec une perfection de rythme et une interprétation que lui seul avait l'art d'exécuter."
"Modeste dans toute l'acception du mot, ce bon musicien ne se glorifiait jamais des éloges qu'il recevait, ni même des attentions qu'on lui portait", disait encore ce bon M. Villeneuve.
DES AMÉRICAINS INTÉRESSÉS PAR SON ART
[Un jour vinrent des visiteurs américains attirés par la renommée de l'agriculteur-musicien]. Revenu du fourneau [où il travaillait], le clarinettiste se fit un brin de toilette, salua les visiteurs qui lui demandèrent, après les présentations d'usage, de leur jouer à première vue la pièce de musique qu'ils lui présentèrent.
Sans plus d'hésitation, notre jeune virtuose s'exécuta et joua à toute haleine et à première vue la pièce demandée, sans la moindre difficulté.
Les Américains ébahis, surpris et étonnés de l'exécution rapide qu'il leur avait donnée, lui parlèrent aussitôt d'un engagement à long terme pour un de leurs théâtres aux États-Unis, avec un contrat de longue durée et d'un revenu alléchant.
Notre clarinettiste, embarrassé de son présent succès. se vit dans l'obligation de refuser leur offre, au grand désappointement des Américains venus spécialement pour retenir ses services, car il avait des engagements deux fois la semaine, le soir, à l'Académie de Musique, sur la rue Saint-Louis, à Québec.
Voici une preuve convaincante que sa popularité se répandait un peu partout et dépassait déjà nos frontières.
Tout le monde s'accordait à dire qu'il avait une longue haleine et avait des poumons d'acier, mais en plus il était enrichi d'un coeur d'or. Ces riches métaux réunis ensemble faisaient vibrer son âme d'artiste aux sons les plus mélodieux, concordaient avec l'harmonie de ses pensées et de ses actes, et sans que ce métal précieux ne perde l'intensité du timbre particulier qui s'échappait de son instrument, sans même que la fusion harmonieuse de cet alliage de bois et de métaux composés de clefs multiples de sa clarinette ne se ternissent. Puis, la poitrine gonflée de son souffle puissant, sachant mettre la douceur dans les sons aigus ou la force dans les plus graves, qui, avec ses doigts de défricheur, contournait avec une aisance extraordinaire tous les angles de son instrument de l'anche du pavillon avec la rapidité de l'éclair, démontrant une merveilleuse facilité d'exécution.
TRIOMPHE AU JUBILÉ MUSICAL DE MONTRÉAL
[...] Joseph Marcoux prit une part active au concours des Fanfares du Canada qui eut lieu à Montréal, le 25 juin 1878. [...] Il n'était âgé que de 28 ans. À ce Jubilé musical toutes les fanfares du Canada était invitées à participer. La bande de Beauport faisait partie de ce concours.
À ce concours, les chefs de fanfares avaient le droit d'assister aux exécutions des autres fanfares et, pendant l'éxécution, les juges présentaient aux musiciens une pièce qu'ils devaient jouer à première vue. Toutes les fanfares de ces classes avaient bloqué dans l'exécution de cette pièce, manquant principalement le solo de clarinette inclus dans la pièce de musique.
Quand vint le tour de la Fanfare de Beauport, [celle-ci] se mit à jouer la pièce composée du solo de clarinette, que Joseph Marcoux exécuta avec une souplesse de doigté extraordinaire, une exécution vraiment artistique, une technique sûre et approfondie, et la cadence et le rythme étaient des plus harmonieux et des mieux observés.
Il joua si brillamment le solo que toute l'assistance, au nombre de 6 000 à 7 000 personnes, éclata en applaudissements assourdissants. Notre musicien souleva d'emblée l'auditoire enthousiasmé, ébahi, délirant, et ce furent des ovations prolongées, des bravos et des rappels interminables.
Il joua si brillamment le solo que toute l'assistance, au nombre de 6 000 à 7 000 personnes, éclata en applaudissements assourdissants. Notre musicien souleva d'emblée l'auditoire enthousiasmé, ébahi, délirant, et ce furent des ovations prolongées, des bravos et des rappels interminables.
Après l'audition des fanfares, tout le monde se porta à sa rencontre pour le féliciter et, surtout, pour lui examiner les doigts. L'un des juges s'approcha du directeur et lui demanda : "Quelle est la profession de ce musicien ?" M. Vézina répondit : "Ce monsieur ne manie que les mancherons de la charrue, examinez-lui les doigts". Chacun s'approcha pour vérifier les paroles du directeur et satisfaire sa curiosité. Joseph Marcoux, clarinettiste, leur dit :
"Je ne suis ni un avocat, ni un médecin, je suis cultivateur. Je joue un instrument de musique qui me permet d'exprimer la douceur, la joie, tous mes meilleurs sentiments, sans orgueil, comme l'oiseau se joue dans le feuillage ou le ruisseau qui se joue dans la prairie. Ce qui vous surprend, j'en suis sûr. C'est là ma meilleure distraction et je ne rougis pas de mes doigts de défricheur!"
Les juges étonnés lui posèrent maintes questions sur la musique, pensant probablement embarrasser et embêter le jeune habitant, mais à ce que l'on nous a dit, rien ne pouvait l'intimider, du moins sur le côté musique.
Après cet examen et cet interrogatoire, les juges ne se contentèrent pas de cela, ils lui firent passer une autre épreuve en lui demandant de jouer gamme par-dessus gamme, y compris la gamme chromatique, pour voir la souplesse de ses doigts. C'est ce qu'il fit avec autant d'assurance que d'habileté que lorsqu'il exécuta le solo de clarinette au concours, et cela encore à l'ébahissement des juges et des auditeurs qui l'écoutaient. Un tonnerre d'applaudissements éclata de nouveau parmi l'assistance.
Entouré de vénération ce jour-là, il connut une légitime gloire. Sans orgueil et sans vanité, il cherchait plutôt à se perfectionner qu'à s'enorgueillir de ses succès. C'est ainsi qu'on lui attribua le mérite de ne se laisser aucunement influencer par ses victoires.
Cela confirme la preuve de son talent et de sa compréhension de la musique qui n'appartient qu'aux véritables artistes.
Cela confirme la preuve de son talent et de sa compréhension de la musique qui n'appartient qu'aux véritables artistes.
[...] Joseph, virtuose et artiste, dramatisait ses actes sans orgueil, toujours dans le but de semer de nouvelles joies, et cela sans retour. L'art du beau et de l'utile était le trait-d'union de son travail quotidien, c'était la joie de sa vie de semer du bonheur autour de lui.
HONORÉ MERCIER TÉMOIN DE L'ART
DE JOSEPH-DÉSIRÉ MARCOUX À SAINT-PRIME
[...] Honoré Mercier, premier ministre de la province, avait fait une tournée dans le Lac-Saint-Jean et il était passé par Saint-Prime.
Joseph-Désiré Marcoux, qui avait vu venir le cortège accompagnant le premier ministre, sortit de sa maison et, du haut de sa galerie, entonna tous les airs canadiens en l'honneur du distingué visiteur qui s'était arrêté devant sa résidence pour l'écouter.
Des "Vive le premier ministre!", des "Vive Joseph Marcoux!", des "Hourrahs!" s'élancèrent dans les airs de la part de gens enthousiastes de la présence d'esprit qu'avait eue Joseph Marcoux de saluer par la voix de son instrument celui qui honorait de sa présence l'humble village de Saint-Prime et qui passait à sa porte. Ce fut une joie délirante de saluts et de cris joyeux parmi le défilé. [...] Les coeurs vibraient à l'unisson. C'était grande fête ce jour-là».
EXTRAITS TIRÉS DE : Albertine Marcoux, Fatal destin d'un agriculteur-musicien, Québec, 1957, 428 pages.
N.B. La biographie de Joseph-Désiré Marcoux est extrêmement difficile à trouver. Pour le moment, il semble que seuls le libraire Jean-Claude Veilleux et la librairie Ô Vieux Bouquins en offrent un exemplaire chacun et à des prix plutôt abordables vu sa rareté extrême ; à qui la chance ?
Sinon, il se peut que vous le trouviez dans une bibliothèque publique ou scolaire.
N.B. La biographie de Joseph-Désiré Marcoux est extrêmement difficile à trouver. Pour le moment, il semble que seuls le libraire Jean-Claude Veilleux et la librairie Ô Vieux Bouquins en offrent un exemplaire chacun et à des prix plutôt abordables vu sa rareté extrême ; à qui la chance ?
Sinon, il se peut que vous le trouviez dans une bibliothèque publique ou scolaire.
(Les illustrations ci-dessus, sauf celle plus récente du «cran» de Roberval,
sont tirées du livre d'Albertine Marcoux)
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