Glissement de terrain à Saint-Luc-de-Vincennes, survenu le 9 novembre 2016. (Photo : L'Hebdo du Saint-Maurice) |
Comme le montrent les médias en ce début de printemps 2017, un nouveau glissement de terrain vient de survenir à Saint-Luc-de-Vincennes, en Mauricie. On peut mesurer l'ampleur des dégâts sur la vidéo de Météo-Média que l'on peut consulter ICI.
En novembre dernier, Saint-Luc-de-Vincennes était frappé d'un autre glissement de terrain, dont l'ampleur était semblable à celui qui vient de sévir, tel qu'on peut le constater ICI.
Il semble que ce secteur de la Mauricie soit fortement sujet à ce genre de cataclysme, et ce, depuis longtemps déjà. C'est du moins ce qu'on constate à la lecture de l'article de l'historien trifluvien Éric Veillette paru en novembre 2016 sur le site Historiquement logique, de même que dans Entre nous, un recueil, paru en 1889, de chroniques dans lequel le journaliste Léon Ledieu (1845-1907) décrit quelques glissements de terrain ayant à l'époque frappé Saint-Luc-de-Vincennes et d'autres localités du Québec.
Ces Glanures ont retranscrit cette chronique que l'on peut parcourir ci-dessous. On appréciera la plume élégante et captivante de Léon Ledieu, qui profite de l'occasion pour enrichir les connaissances historiques et scientifiques de ses lecteurs, un trait que l'on trouve plutôt rarement chez les journalistes de notre époque, dont le blablatage aussi répétitif qu'insipide, particulièrement lorsque surviennent des cataclysmes naturels, se révèle vite d'un ennui aussi mortel qu'abêtissant. Tout un contraste, donc, entre les platitudes ineptes de la caste journalistique que nous avons le malheur d'avoir pour contemporaine, et la vicacité de l'esprit et l'élégance du style d'un Léon Ledieu, de même que le désir d'éclairer ses concitoyens et de stimuler leur curiosité intellectuelle qui, d'évidence, animait ce journaliste remarquable.
Sur Léon Ledieu, on peut souligner le fait qu'il a été un journaliste très apprécié du public lecteur et de ses collègues, tel que l'attestent les quelques éléments de son parcours que l'on peut découvrir dans les notices publiées au moment de son décès et qui sont reproduites tout au bas de la présente Glanure. On peut notamment y lire un mot touchant de la première femme journaliste québécoise et intellectuelle d'envergure, Robertine Barry (alias Françoise), qui, d'évidence, tenait Léon Ledieu en haute estime.
Dans le tome quatrième (p. 273-274) de la véritable mine d'or — et secret bien gardé — sur l'histoire des idées au Québec qu'est l'ouvrage collectif La vie littéraire au Québec, on peut lire ceci sur Léon Ledieu :
«Français d'origine, [Ledieu], écrit une chronique hebdomadaire pour Le Monde illustré pendant une quinzaine d'années (1884-1898). [Ledieu] collabore aussi à quelques autres périodiques (Le Monde, La Presse, La Gazette médicale de Montréal, etc.).
Dans le regard que pose Ledieu sur la société canadienne se mélangent un reste d'attachement à la mère patrie, une affection réelle pour sa terre d'adoption et plusieurs traces de l'éducation qu'il a reçue en France. «Entre nous», c'est la chronique qui mélange les genres (conte, récit de voyage, dialogue) et dont le prétexte varie à l'intérieur d'un espace thématique limité : comptes rendus de livres, résumés de conférences, reportages, pièces de circonstance, commentaires de faits divers. Pour le lectorat du Monde illustré, journal populaire et bon marché, Léon Ledieu est l'intelligence encyclopédique de service et le raisonnement philosophique à la portée de tous. Pour ce faire, il [...] rapporte les propos des journaux, montre la relativité des choses par des mises en contexte et des prises de recul».
Une rue commémore Léon Ledieu dans l'arrondissement Ahuntsic-Cartierville, à Montréal.
Dans le tome quatrième (p. 273-274) de la véritable mine d'or — et secret bien gardé — sur l'histoire des idées au Québec qu'est l'ouvrage collectif La vie littéraire au Québec, on peut lire ceci sur Léon Ledieu :
«Français d'origine, [Ledieu], écrit une chronique hebdomadaire pour Le Monde illustré pendant une quinzaine d'années (1884-1898). [Ledieu] collabore aussi à quelques autres périodiques (Le Monde, La Presse, La Gazette médicale de Montréal, etc.).
Dans le regard que pose Ledieu sur la société canadienne se mélangent un reste d'attachement à la mère patrie, une affection réelle pour sa terre d'adoption et plusieurs traces de l'éducation qu'il a reçue en France. «Entre nous», c'est la chronique qui mélange les genres (conte, récit de voyage, dialogue) et dont le prétexte varie à l'intérieur d'un espace thématique limité : comptes rendus de livres, résumés de conférences, reportages, pièces de circonstance, commentaires de faits divers. Pour le lectorat du Monde illustré, journal populaire et bon marché, Léon Ledieu est l'intelligence encyclopédique de service et le raisonnement philosophique à la portée de tous. Pour ce faire, il [...] rapporte les propos des journaux, montre la relativité des choses par des mises en contexte et des prises de recul».
Une rue commémore Léon Ledieu dans l'arrondissement Ahuntsic-Cartierville, à Montréal.
Léon Ledieu (1845-1907), journaliste (Source : Archives de Montréal) |
Éboulements
par Léon Ledieu
«Il vient de se passer, il y a de cela huit jours, un singulier événement dans une paroisse riveraine du Saint-Laurent, et bien que quelques journaux l'aient rapporté en style télégraphique, il est peu de personnes, sans doute, qui y aient attaché une grande importance.
Le fait n'est cependant pas ordinaire, et je sais quelqu'un qui ne l'oubliera pas de longtemps. Ce quelqu'un, c'est M. Savignac, cultivateur de Berthier.
Ce jour-là, les rayons du soleil de janvier étaient plus chauds que ne semblaient le permettre la saison et les prophéties des faiseurs d'almanachs ; la bise était endormie, les silhouettes des grands arbres maigres étaient immobiles et le morne silence de la plaine blanche n'était brisé parfois que par le cri des moineaux tout en joie de ne pas sentir les piqûres des vents du nord. La terre dormait sous son manteau de neige et le cultivateur songeait, au coin du feu, aux semailles prochaines qui devaient, Dieu aidant, produire de belles et riches moissons, quand un bruit étrange frappa son oreille.
Étonné, les yeux agrandis et le regard fixe, il se lève, il écoute... Quel est ce bruit ? On dirait un bruit de voiture lourdement chargée qui roule en heurtant les cailloux du chemin ! Mais la terre est couverte et les traîneaux seuls glissent sur les routes en cette saison... Les murs frémissent ! Que se passe-t-il donc ? Le sol vibre, tressaille et palpite !
Il se précipite vers la porte et, en l'ouvrant, il est prêt de défaillir en voyant la scène de désolation qui se déroule devant lui : comme un radeau poussé par le vent et les flots sur le grand fleuve, les arbres, les champs et les granges passent devant lui comme dans un rêve. Il est bien éveillé cependant, et ce qu'il voit existe.
Cette terre qu'il a labourée, hersée, retournée, fouillée tant de fois ; cette terre, son bien, sa chose, inerte et fixe ; cette terre qu'il possède et que nul ne peut lui enlever ; cette terre bouge, s'affaisse, glisse, s'en va, s'abîme dans le fleuve et disparaît.
Les granges, les écuries et les étables, emportées dans le mouvement, se disloquent et s'effondrent. Les chevaux ? Disparus. Les grands boeufs ? Écrasés. Les moutons ? Morts. À la place de la rive féconde... un trou !
Tout est parti, et une énorme cavité, profonde de trente pieds et large de six arpents, s'est creusée tout à coup. Partout la ruine !
À quelque distance de là une crevasse, large de six pouces, s'est formée et de nouveaux désastres sont à craindre.
Et quelques instants ont suffi pour produire toutes ces ruines !
Ce n'est cependant pas la première fois que pareil fait se présente, et comme je parlais hier à M. Saint-Cyr, conservateur du musée de l'Instruction publique, du bouleversement qui vient d'avoir lieu à Berthier, cet excellent homme doublé d'un savant me rappelait d'autres événements du même genre.
Vers 1877 ou 1878, je ne puis préciser au juste, à Saint-Luc, dans le comté de Champlain, un affaissement subit se produisit sur une étendue de terrain de seize arpents de longueur sur autant de largeur, soit donc un déplacement sur une superficie de deux cent cinquante arpents. Le niveau du sol baissa en certains endroits de quinze à vingt pieds, et on constata ailleurs la production non moins rapide de mamelons de vingt-cinq à trente pieds de hauteur.
Une maison fut emportée et toute une famille fut ensevelie sous les décombres au moment où l'on se mettait à table. Grâce aux secours intelligents que l'on porta aussitôt aux malheureuses victimes de ce phénomène, il n'y eut pas d'accidents très graves à déplorer.
En cette occasion, le déplacement du sol produisit, dit-on, un bruit semblable à un violent coup de tonnerre qui fut entendu à plusieurs milles de distance.
En 1880, un effondrement considérable eut lieu à Sainte-Geneviève-de Batiscan, sur les bords de la Rivière-à-Veillette, sur une largeur de près d'un mille ; des collines de cent pieds de hauteur s'affaissèrent et cette fois l'accident eut un caractère des plus graves. Un moulin fut enlevé et c'est sous ses débris que le meunier trouva la mort ainsi qu'un cultivateur de Saint-Prosper, qui se trouvait là par hasard, M. Cloutier, père du chanoine de ce nom. (Note des Glanures : le chanoine François-Xavier Cloutier devint par la suite évêque de Trois-Rivières de 1899 à 1934).
En remontant plus haut on se rappelle qu'il y a une trentaine d'années, à Bon-Désir, dans le bas du Saguenay, un déplacement considérable du sol eut lieu également. Une famille établie à cet endroit s'aperçut tout à coup que la maison qu'elle occupait bougeait et était entraînée avec le terrain, mais les habitants en furent quittes pour la peur, car le mouvement s'arrêta bientôt sans causer trop de dégâts. Il était temps, du reste, car le fleuve n'était pas loin.
À Nicolet, toute une famille a péri il y a quelques années dans une catastrophe de ce genre. Le terrain déplacé, parti de la rive nord, traversa la rivière et alla détruire une maison située sur la rive ouest.
Je pourrais citer vingt exemples. Ces mouvements du sol, qui ont, par leurs effets, tant de rapports avec les tremblements de terre, sont bien faits pour inspirer de graves et saines pensées. Arnold Boscowitz, qui a décrit de main de maître les principales révolutions du globe, s'exprime ainsi :
"Subitement, le drame a commencé ; en quelques secondes, il s'est déroulé ; et quelques secondes ont suffi pour couvrir de ruines la contrée. C'est là un spectacle à nul autre incomparable. Grand, lugubre, foudroyant, il émeut, il épouvante l'âme humaine.
Mais ce n'est pas seulement par le spectacle terrifiant auquel il fait assister que le tremblement de terre produit en nous une profonde et ineffaçable impression ; il nous surprend, il nous émeut et nous trouble ainsi parce que, brusquement, il nous laisse entrevoir la terre sous un aspect nouveau et saisissant. On la croyait rigide, passsive ; et voici le terrible phénomène qui la montre comme un astre agissant et formidable, dont le moindre frissonnement, en se prolongeant, suffirait pour anéantir toute la ruche humaine qui bourdonne à sa surface. Et cette universelle catastrophe, le sens intime nous dit qu'elle surviendrait fatalement et sur l'heure, si une loi suprême ne tenait en équilibre, si une sagesse souveraine ne modérait les énergies dont on vient d'éprouver la redoutable puissance."
Affaissements du sol, tremblements de terre et déplacements de terrain, tous ces phénomènes rentrent dans la même catégorie et sont dûs probablement à des causes semblables.
L'éboulement qui a eu lieu à Berthier est attribué à l'effondrement d'une croûte de terrain (croûte dont l'épaisseur est très vieille, paraît-il), dans une cavité qui se serait formée à la longue.
Boussingault, Virlet, Otto Volger et plusieurs autres savants, considèrent, en effet, comme la cause principale des tremblements de terre l'affaissement ou la rupture des cavernes souterraines par suite de la pression des masses qu'elles supportent. Boussingault et Darwin, qui ont si bien étudié l'Amérique du Sud, ayant constaté que, dans cette région hérissée de montagnes de feu, la plupart des grandes secousses se produisent sans éruptions volcaniques, ont émis l'opinion que dans l'intérieur du massif des Cordillières, il y a des cavités profondes, dont les parois éclatent sous le poids qui les surcharge. Ces éboulements souterrains détermineraient les secousses auxquelles semble éternellement soumise toute cette vaste région, où le voyageur est constamment sollicité à rechercher les causes des grands phénomènes souterrains, dont il voit partout autour de lui les prodigieux effets.
L'eau des sources, par son action érosive, finit par séparer, à de grandes distances, les couches friables ou faciles à dissoudre, et par former des cavités qui peuvent acquérir des proportions considérables. M. Saint-Cyr est parfaitement de cette opinion.
On remarque que le terrain où se produisent généralement en Canada ces déplacements, éboulements ou effondrements, est formé de couches de terre glaise et de sable superposées, la terre glaise ayant, en certains endroits, une épaisseur de six à douze pouces, et le sable environ un à deux pouces.
On conçoit parfaitement que les eaux pluviables, en pénétrant par les crevasses de la terre glaise, glissent dans les couches de sable qu'elles entraînent peu à peu, et qu'il se forme ainsi un vide très minime, pris isolément, mais qui acquiert une grande importance quand ces couches de sable atteignent un nombre sérieux, de plusieurs centaines parfois.
Il arrive dès lors un moment où les couches d'argile ou de terre glaise, se trouvant sans appui intérieur, s'effondrent ensemble et où la configuration du terrain change complètement, une colline devient vallée, etc.
Quelquefois, quand le terrain se trouve en pente et que les couches de terre glaise s'effondrent, celles-ci, trouvant sur la dernière couche de même nature une surface humide et ne permettant pas d'adhérence solide, glissent et se trouvent entraînées dans un mouvement de translation, comme cela a eu lieu à Berthier, à Sainte-Geneviève de Batiscan, à Nicolet, etc.
Une tradition nous dit que vers l'année 1663, un éboulement considérable eut lieu en pleine forêt à quelque distance de Trois-Rivières. La terre s'affaissa tout à coup sur une largeur de près d'une lieue, à près de cent pieds de profondeur, le cours du Saint-Maurice fut détourné, et une autre rivière se fit un lit et créa les fameuses chutes de Shaweenigan, l'un des plus beaux sites du monde. (Note des Glanures : voyez ICI pour une étude en profondeur du cataclysme de 1663).
Ferland en parle dans son histoire du Canada :
"Des Sauvages et des Français, dit-il, rapportèrent que dans le Saint-Maurice, à cinq ou six lieues de Trois-Rivières, des côteaux fort escarpés furent aplanis, ayant été enlevés de dessus leurs bases et, pour ainsi dire, déracinés, jusqu'au niveau de l'eau. Ainsi renversés dans la rivière avec des massifs d'arbres, ils formèrent une puissante digue ; les eaux arrêtées s'élevèrent, se répandirent sur les rivages, minèrent les terres éboulées et les entraînèrent en si grande abondance vers le Saint-Laurent, que sa couleur en fut entièrement changée pendant plus de trois mois. Le sol léger et sablonneux du pays qui avoisine le Saint-Maurice et le Batiscan, cédant facilement à l'action des eaux, du dégel et des secousses, bien des changements s'opérèrent sur leurs rivages. Des nouveaux lacs se formèrent, des côteaux s'affaissèrent, des sauts furent aplanis, de petites rivières disparurent, de grandes forêts furent renversées."
L'homme devient parfois aussi une des causes inconscientes de ces révolutions partielles du sol. Le déboisement est, en effet, une des actions de la résultante qui produit des éboulements ; car, en détruisant les arbres, on fait disparaître les racines qui constituent les liens qui unissent entre elles les différentes couches de terrain.
La rivière Sainte-Anne, dans le comté de Champlain, autrefois étroite, profonde et poissonneuse, a complètement changé d'aspect. À mesure qu'ils se sont établis sur ses rives, les colons ont détruit les saules, puis les pins, les ormes, les hêtres, etc., et le sol, privé des rameaux souterrains qui retenaient ses différentes parties, s'est effondré peu à peu, et si bien que, de nos jours, la rivière est large, peu profonde et semée de bancs de sable.
Je ne sais si je me fais bien comprendre, mais je n'ai pas la prétention ici de faire un cours de géologie, je désire simplement attirer l'attention de mes lecteurs sur ces faits et leur donner le goût de les étudier.
Tout se meut dans l'univers, les mondes gravitent dans l'espace et la surface de la terre s'abaisse et se soulève comme une immense poitrine qu'animerait le souffle d'une puissante et régulière respiration.
Les phénomènes atmosphériques ne sont pas moins grandioses et terribles ; les ondulations de l'air produisent d'effroyables catastrophes, et la gigantesque vague aérienne qui vient de passer sur notre continent le prouve bien. Le pont suspendu du Niagara a été emporté, de grands établissements industriels ont été détruits, nombre de maisons se sont écroulées, en plusieurs endroits les rivières ont grossi à tel point que leur niveau s'est élevé de vingt-cinq pieds. Les pertes de vie sont nombreuses et les dégâts sont immenses.
Il est assez curieux de constater que cette tempête ait été précédée d'une éruption du Vésuve, et ce fait tendrait, une fois de plus, à militer en faveur des savants qui soutiennent que chaque éruption de volcan est précédée ou suivie immédiatement d'une perturbation atmosphérique dont les effets se font ressentir à des distances énormes.
Il y a encore matière à étude.»
Tiré de : Léon Ledieu, Entre nous, Québec, Imprimerie d'Elz. Vincent, 1889, p. 213-223.
Et quelques instants ont suffi pour produire toutes ces ruines !
Ce n'est cependant pas la première fois que pareil fait se présente, et comme je parlais hier à M. Saint-Cyr, conservateur du musée de l'Instruction publique, du bouleversement qui vient d'avoir lieu à Berthier, cet excellent homme doublé d'un savant me rappelait d'autres événements du même genre.
Vers 1877 ou 1878, je ne puis préciser au juste, à Saint-Luc, dans le comté de Champlain, un affaissement subit se produisit sur une étendue de terrain de seize arpents de longueur sur autant de largeur, soit donc un déplacement sur une superficie de deux cent cinquante arpents. Le niveau du sol baissa en certains endroits de quinze à vingt pieds, et on constata ailleurs la production non moins rapide de mamelons de vingt-cinq à trente pieds de hauteur.
Une maison fut emportée et toute une famille fut ensevelie sous les décombres au moment où l'on se mettait à table. Grâce aux secours intelligents que l'on porta aussitôt aux malheureuses victimes de ce phénomène, il n'y eut pas d'accidents très graves à déplorer.
En cette occasion, le déplacement du sol produisit, dit-on, un bruit semblable à un violent coup de tonnerre qui fut entendu à plusieurs milles de distance.
En 1880, un effondrement considérable eut lieu à Sainte-Geneviève-de Batiscan, sur les bords de la Rivière-à-Veillette, sur une largeur de près d'un mille ; des collines de cent pieds de hauteur s'affaissèrent et cette fois l'accident eut un caractère des plus graves. Un moulin fut enlevé et c'est sous ses débris que le meunier trouva la mort ainsi qu'un cultivateur de Saint-Prosper, qui se trouvait là par hasard, M. Cloutier, père du chanoine de ce nom. (Note des Glanures : le chanoine François-Xavier Cloutier devint par la suite évêque de Trois-Rivières de 1899 à 1934).
En remontant plus haut on se rappelle qu'il y a une trentaine d'années, à Bon-Désir, dans le bas du Saguenay, un déplacement considérable du sol eut lieu également. Une famille établie à cet endroit s'aperçut tout à coup que la maison qu'elle occupait bougeait et était entraînée avec le terrain, mais les habitants en furent quittes pour la peur, car le mouvement s'arrêta bientôt sans causer trop de dégâts. Il était temps, du reste, car le fleuve n'était pas loin.
À Nicolet, toute une famille a péri il y a quelques années dans une catastrophe de ce genre. Le terrain déplacé, parti de la rive nord, traversa la rivière et alla détruire une maison située sur la rive ouest.
Je pourrais citer vingt exemples. Ces mouvements du sol, qui ont, par leurs effets, tant de rapports avec les tremblements de terre, sont bien faits pour inspirer de graves et saines pensées. Arnold Boscowitz, qui a décrit de main de maître les principales révolutions du globe, s'exprime ainsi :
"Subitement, le drame a commencé ; en quelques secondes, il s'est déroulé ; et quelques secondes ont suffi pour couvrir de ruines la contrée. C'est là un spectacle à nul autre incomparable. Grand, lugubre, foudroyant, il émeut, il épouvante l'âme humaine.
Mais ce n'est pas seulement par le spectacle terrifiant auquel il fait assister que le tremblement de terre produit en nous une profonde et ineffaçable impression ; il nous surprend, il nous émeut et nous trouble ainsi parce que, brusquement, il nous laisse entrevoir la terre sous un aspect nouveau et saisissant. On la croyait rigide, passsive ; et voici le terrible phénomène qui la montre comme un astre agissant et formidable, dont le moindre frissonnement, en se prolongeant, suffirait pour anéantir toute la ruche humaine qui bourdonne à sa surface. Et cette universelle catastrophe, le sens intime nous dit qu'elle surviendrait fatalement et sur l'heure, si une loi suprême ne tenait en équilibre, si une sagesse souveraine ne modérait les énergies dont on vient d'éprouver la redoutable puissance."
Affaissements du sol, tremblements de terre et déplacements de terrain, tous ces phénomènes rentrent dans la même catégorie et sont dûs probablement à des causes semblables.
L'éboulement qui a eu lieu à Berthier est attribué à l'effondrement d'une croûte de terrain (croûte dont l'épaisseur est très vieille, paraît-il), dans une cavité qui se serait formée à la longue.
Boussingault, Virlet, Otto Volger et plusieurs autres savants, considèrent, en effet, comme la cause principale des tremblements de terre l'affaissement ou la rupture des cavernes souterraines par suite de la pression des masses qu'elles supportent. Boussingault et Darwin, qui ont si bien étudié l'Amérique du Sud, ayant constaté que, dans cette région hérissée de montagnes de feu, la plupart des grandes secousses se produisent sans éruptions volcaniques, ont émis l'opinion que dans l'intérieur du massif des Cordillières, il y a des cavités profondes, dont les parois éclatent sous le poids qui les surcharge. Ces éboulements souterrains détermineraient les secousses auxquelles semble éternellement soumise toute cette vaste région, où le voyageur est constamment sollicité à rechercher les causes des grands phénomènes souterrains, dont il voit partout autour de lui les prodigieux effets.
L'eau des sources, par son action érosive, finit par séparer, à de grandes distances, les couches friables ou faciles à dissoudre, et par former des cavités qui peuvent acquérir des proportions considérables. M. Saint-Cyr est parfaitement de cette opinion.
On remarque que le terrain où se produisent généralement en Canada ces déplacements, éboulements ou effondrements, est formé de couches de terre glaise et de sable superposées, la terre glaise ayant, en certains endroits, une épaisseur de six à douze pouces, et le sable environ un à deux pouces.
On conçoit parfaitement que les eaux pluviables, en pénétrant par les crevasses de la terre glaise, glissent dans les couches de sable qu'elles entraînent peu à peu, et qu'il se forme ainsi un vide très minime, pris isolément, mais qui acquiert une grande importance quand ces couches de sable atteignent un nombre sérieux, de plusieurs centaines parfois.
Il arrive dès lors un moment où les couches d'argile ou de terre glaise, se trouvant sans appui intérieur, s'effondrent ensemble et où la configuration du terrain change complètement, une colline devient vallée, etc.
Quelquefois, quand le terrain se trouve en pente et que les couches de terre glaise s'effondrent, celles-ci, trouvant sur la dernière couche de même nature une surface humide et ne permettant pas d'adhérence solide, glissent et se trouvent entraînées dans un mouvement de translation, comme cela a eu lieu à Berthier, à Sainte-Geneviève de Batiscan, à Nicolet, etc.
Une tradition nous dit que vers l'année 1663, un éboulement considérable eut lieu en pleine forêt à quelque distance de Trois-Rivières. La terre s'affaissa tout à coup sur une largeur de près d'une lieue, à près de cent pieds de profondeur, le cours du Saint-Maurice fut détourné, et une autre rivière se fit un lit et créa les fameuses chutes de Shaweenigan, l'un des plus beaux sites du monde. (Note des Glanures : voyez ICI pour une étude en profondeur du cataclysme de 1663).
Ferland en parle dans son histoire du Canada :
"Des Sauvages et des Français, dit-il, rapportèrent que dans le Saint-Maurice, à cinq ou six lieues de Trois-Rivières, des côteaux fort escarpés furent aplanis, ayant été enlevés de dessus leurs bases et, pour ainsi dire, déracinés, jusqu'au niveau de l'eau. Ainsi renversés dans la rivière avec des massifs d'arbres, ils formèrent une puissante digue ; les eaux arrêtées s'élevèrent, se répandirent sur les rivages, minèrent les terres éboulées et les entraînèrent en si grande abondance vers le Saint-Laurent, que sa couleur en fut entièrement changée pendant plus de trois mois. Le sol léger et sablonneux du pays qui avoisine le Saint-Maurice et le Batiscan, cédant facilement à l'action des eaux, du dégel et des secousses, bien des changements s'opérèrent sur leurs rivages. Des nouveaux lacs se formèrent, des côteaux s'affaissèrent, des sauts furent aplanis, de petites rivières disparurent, de grandes forêts furent renversées."
L'homme devient parfois aussi une des causes inconscientes de ces révolutions partielles du sol. Le déboisement est, en effet, une des actions de la résultante qui produit des éboulements ; car, en détruisant les arbres, on fait disparaître les racines qui constituent les liens qui unissent entre elles les différentes couches de terrain.
La rivière Sainte-Anne, dans le comté de Champlain, autrefois étroite, profonde et poissonneuse, a complètement changé d'aspect. À mesure qu'ils se sont établis sur ses rives, les colons ont détruit les saules, puis les pins, les ormes, les hêtres, etc., et le sol, privé des rameaux souterrains qui retenaient ses différentes parties, s'est effondré peu à peu, et si bien que, de nos jours, la rivière est large, peu profonde et semée de bancs de sable.
Je ne sais si je me fais bien comprendre, mais je n'ai pas la prétention ici de faire un cours de géologie, je désire simplement attirer l'attention de mes lecteurs sur ces faits et leur donner le goût de les étudier.
Tout se meut dans l'univers, les mondes gravitent dans l'espace et la surface de la terre s'abaisse et se soulève comme une immense poitrine qu'animerait le souffle d'une puissante et régulière respiration.
Les phénomènes atmosphériques ne sont pas moins grandioses et terribles ; les ondulations de l'air produisent d'effroyables catastrophes, et la gigantesque vague aérienne qui vient de passer sur notre continent le prouve bien. Le pont suspendu du Niagara a été emporté, de grands établissements industriels ont été détruits, nombre de maisons se sont écroulées, en plusieurs endroits les rivières ont grossi à tel point que leur niveau s'est élevé de vingt-cinq pieds. Les pertes de vie sont nombreuses et les dégâts sont immenses.
Il est assez curieux de constater que cette tempête ait été précédée d'une éruption du Vésuve, et ce fait tendrait, une fois de plus, à militer en faveur des savants qui soutiennent que chaque éruption de volcan est précédée ou suivie immédiatement d'une perturbation atmosphérique dont les effets se font ressentir à des distances énormes.
Il y a encore matière à étude.»
Tiré de : Léon Ledieu, Entre nous, Québec, Imprimerie d'Elz. Vincent, 1889, p. 213-223.
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Notice nécrologique parue dans Le Journal de Françoise, 4 mai 1907. (Source : BANQ) |
L'Avenir du Nord, 27 avril 1907. (Source : BANQ) |
Le Courrier de Saint-Hyacinthe, 20 avril 1907. (Source : BANQ) |
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